UNIVERSITE POPULAIRE DE PERPIGNAN   AVRIL 2009

 

 

 

                            LA TRANSMISSION DES VALEURS

             

                             par JACKY ARLETTAZ

 

 

 

 

 

Le dernier dŽbat a montrŽ que parler des valeurs ne va pas de soi : difficile de les dŽfinir, de les nommer (souvent implicites) ; elles sont problŽmatiques, dĠautant que leur contenu varie ainsi que leur hiŽrarchie (Sparte, par exemple, mettait le courage au-dessus de la justice contrairement ˆ Athnes) ; plurielles elles entrent en tension, et la question se complique encore lorsquĠil y a conflit de lŽgitimitŽ entre valeurs Žgalement respectables (ŽgalitŽ - ˆ chacun la mme chose- ou ŽquitŽ- donner plus ˆ ceux qui ont moins ; lĠordre ou le changement ? libertŽ de chacun ou sŽcuritŽ de tous ?É). Leur pluralitŽ, constitue une source inŽpuisable et sans doute indŽpassable de discordance.

 

Mais enfin, dĠo viennent-elles ? Ç On a lĠimpression quĠelles sĠimposent ˆ nous, sans que lĠon sache vraiment pourquoi ! È. Et si nous essayions de rŽflŽchir ˆ cette phrase qui a ponctuŽ le prŽcŽdent dŽbat ?

 

Les valeurs, comme ŽlŽments constituants dĠune cultureÉ

 

Nous pourrions faire rŽfŽrence ˆ Emile Henriot (1889-1961) auteur de la phrase dŽsormais cŽlbre : Ç la culture, cĠest ce qui reste quand on a tout oubliŽ È. La culture ŽvoquŽe sĠoppose doublement ˆ la fausse culture que reprŽsente lĠŽrudition (accumulation de savoir) cantonnŽe dans un secteur restreint. Les connaissances en tant que telles ont pu sĠeffacer, mais des aptitudes subsistent : ce qui Ç reste È sĠest incorporŽ ˆ la personnalitŽ si bien quĠon a lĠimpression que tout a ŽtŽ oubliŽ. De mme quĠayant oubliŽ toutes ces annŽes de vie, les valeurs sans que lĠon sĠen rende compte ont faonnŽ notre esprit.

Mais comment et par quelles stratŽgies et sous quelles contraintes lĠhumanitŽ se transmet-elle les valeurs et systmes quĠelle produit ou conserve dĠŽpoque en Žpoque ?

 

La transmission culturelle

 

Les valeurs nĠont jamais quittŽ  le monde de lĠŽducation pour la simple raison quĠil nĠy a pas dĠŽducation sans valeurs (prŽcise O.Reboul). Mais parler des valeurs de lĠŽducation nĠest-ce pas laisser entendre que ces valeurs cessent dĠtre ds quĠon a fini dĠŽduquer ? Et Žduquer vers quoi ?

Autrefois, lĠadulte Žtait le modle, la forme la plus achevŽe de lĠtre humain ; aujourdĠhui, on aurait tendance ˆ dire quĠil en est la dŽgŽnŽrescence.

 

   Des valeurs plut™t culturelles : on peut affirmer que ces valeurs ne font pas partie de notre bagage gŽnŽtique ˆ notre naissance. Toutefois elles sont doublement premires :

           - chronologiquement car ds les premiers instants de la vie nous y sommes confrontŽs

- qualitativement, parce quĠelles prŽsident, tout au long de notre existence, ˆ nos choix, ˆ nos engagements, nos refusÉ                                                             

Dans un premier temps, lĠŽducation est essentiellement parentale ; mais les parents prennent-ils toujours le risque, de mettre en pŽril, leur relation affective avec leurs enfants lorsquĠil sĠagit dĠinculquer des valeurs quĠon leur a inculquŽes ˆ eux-mmes ? De plus inculquent-ils encore des valeurs auxquelles eux-mmes  ne croient plus ?

 

Dans un monde qui est passŽ (dĠaprs F. de Singly) dĠun modle dĠidentification ˆ un modle dĠexpŽrimentation, les jeunes sĠŽloignent de leur groupe naturel vers des Ç sociŽtŽs È lointaines ou virtuelles, plus prestigieuses,É plus prometteuses. Cela diminue dĠautant la capacitŽ du groupe familial ˆ fournir des rŽfŽrences, et la rŽduit au relationnel affectif . Le groupe nĠest plus de ce fait pertinent, sur le plan des normes et des valeurs ; lĠinsŽcuritŽ est peut-tre de mise. Les jeunes sont dŽsormais libres dĠinventer et sont devenus des Ç rŽseaux pensants È.

Reste le problme de lĠautoritŽ : les jeunes en demandent tout en la rejetant, pendant que les adultes lĠexercent, tout en sĠy refusant.

 

Et quelles valeurs transmettre ?

 

Si nous disons que nos valeurs sont universelles on nous accuse dĠethnocentrisme et dĠoppression : car de quel droit imposer notre Žducation aux autres cultures ? Si nous nous rŽsignons ˆ ce que nos valeurs soient relatives, alors notre culture nĠest plus quĠune culture parmi les autres et perd sa lŽgitimitŽ : alors de quel droit imposons-nous ˆ nos propres enfants des valeurs qui nĠen sont pas pour les autres ? NĠest-ce pas un arbitraire culturel ?

Notre culture est trs relative et imparfaite, tranche O.Reboul, mais elle le sait. Écontrairement ˆ dĠautres.

 

Que peut faire lĠŽcole ?

 

LĠŽcole nĠest-elle pas faite tout dĠabord pour instruire, cĠest ˆ dire transmettre des savoirs ? (E. Bussienne et M. Tozzi) ˆ moins que les valeurs ne soient elles-mmes des savoirsÉ et quĠon puisse enseigner des valeurs comme savoirs. Peut-on ds lors se contenter dĠinstruire (cours dĠinstruction civique et morale dans les programmes de 2008) des valeurs, (mme si Montaigne dŽjˆ soulignait quĠune pŽdagogie de lĠapprentissage sera toujours prŽfŽrable ˆ une pŽdagogie du gavage) ? de transmettre des valeurs ? ou Žduquer aux valeurs ?

 

Cette Žcole a-t-elle toujours comme mission essentielle de transmettre des valeurs ?

Certes elle Žduque, participe ˆ la construction de connaissances, aide ˆ lĠŽlaboration dĠun jugement critiqueÉ mais un jugement de connaissances est diffŽrent dĠun jugement de valeurs : ce dernier sert ˆ reconna”tre non plus le vrai du faux (les scientifiques diront le juste du faux) mais le juste de lĠinjuste, le bien du mal et cela nous pousse ˆ agir.

Peut-on agir en portant seulement des jugements de connaissance ?

 

Notre sociŽtŽ est schizophrŽnique : dĠun c™tŽ elle valorise lĠabsence de contraintes, le style informel, le plaisir de vivre et dĠaimer, le Ç je fais ce qui me pla”t et je vais o je veux È : les valeurs de travail comme celles des engagements durables se trouvent discrŽditŽes et rŽcusŽes.

DĠun autre c™tŽ, au mme moment, le discours sur lĠŽcole exalte plus de sŽvŽritŽ, dĠeffort de travail. Peut-on inculquer dans et par lĠŽcole dĠautres valeurs que celles de la sociŽtŽ elle-mme ? Exaspre-t-on dans lĠŽcole une contradiction ?

 

Lui est-il possible dĠassumer les valeurs comme Žtant objectives, durables, universelles et de lĠautre comme subjectives, pŽrissables, actualisables ?

 

Quant ˆ lĠinjonction faite par la sociŽtŽ ˆ lĠEcole de sĠadapter ou dĠinnover, on pourrait rŽpondre : INNOVER, est-ce une valeur ? Peut-tre Žconomique, car on a besoin dĠinnover pour survivre, trouver de nouveaux marchŽs, de nouveaux clients : mais est-ce une valeur dĠŽducation ? Quant ˆ sĠadapterÉ pourquoi ne demanderions-nous pas ˆ la sociŽtŽ de le faire ?

Un enseignant ne travaille pas a dit A. JacquardÉ il participe ˆ une sociŽtŽ et ne doit pas oublier que les valeurs ne sont jamais dŽsincarnŽes : il transmet dĠabord les valeurs ˆ travers ses attitudes et ses actes (mme si certains sĠen dŽfendent et refusent dĠendosser le r™le dĠŽducateur) et en tout premier lieu ˆ travers les relations quĠil noue avec les jeunes.

 

Les autres influences

 

On ne peut passer sous silence lĠÇ Žducation clandestine È exercŽe par les mŽdia qui Žduquent mais ne le disent pasÉ sĠen dŽfendent parfois ; ils dŽlivrent aux yeux de tous, une morale chargŽe de valeurs implicites qui sont le plus souvent celles du chacun pour soi, lŽgitimant la violence, le sexe mercantileÉ et donc, lĠenseignement des valeurs Žducatives devient un acte de rŽsistance face ˆ cette concurrence dŽloyale vis ˆ vis de lĠEcole.

Et peut-tre que si nos espŽrances en lĠEcole (comme Žtant le seul moyen capable de rŽgler tous les problmes) sont dŽues, ce nĠest peut-tre pas lĠEcole qui a tort, ce sont peut-tre nos espŽrances. La crise actuelle de lĠŽducation  ne vient-elle pas de lĠŽlargissement de ses missions plus que de son Žchec ˆ les remplir ?

 

 

Le salut ne peut-il passer que par une rŽsistance farouche aux sirnes de la modernitŽ ? quĠen privilŽgiant la fidŽlitŽ ˆ des valeurs existantes sur lĠinvention de nouvelles valeurs ? quĠen permettant aux jeunes de se construire ou de choisir leurs propres valeurs ou de reprendre consciemment ˆ leur compte certaines valeurs ? quĠen construisant une culture de valeurs commune qui articule lĠindividuel, le subjectif, le dŽsir, le collectif, lĠuniversalisable ?É.

 

 

 Ne revient-il pas ˆ chacun de faire des choix, dont on sait quĠaucun ne pourrait prŽtendre ˆ une valeur universelle, sĠil nĠincluait pas le souci de lĠAUTRE ?