Université Populaire de Perpignan
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur la précarité (2e année)


Séance 5 du 12-04-08
« Liberté et engagement »


11 participants
Introducteur et animateur : Michel
Secrétaire de séance : Jacky


1) Introduction par Michel sur l’engagement


On peut définir de façon provisoire l’engagement comme :
- une façon de se lier soi-même à une personne, un groupe, une cause
- de façon plus ou moins durable dans le temps
- sous la forme d’un don de sa personne (en argent, temps, énergie…)
- motivé par un idéal, une valeur et/ou un intérêt, une gratification.
On peut définir l’engagement au niveau philosophique à plusieurs niveaux :
- engagement d’ordre existentiel. Dès qu’on est né, sans l’avoir choisi (sauf à visiter le mythe d’Er de Platon avec la réincarnation…), on est comme dit Pascal « embarqué ». En sport, avec le coup d’envoi, nommé l’engagement, la partie commence. Dans et par la naissance, on ne s’engage pas, on est déjà engagé. Condamné au sens, à donner une direction, à « s’orienter dans la vie » (Kant). « Faire quelque chose de ce que l’on a fait de nous » (Sartre). Dans la perspective sartrienne, nous sommes liberté absolue, et donc engagé, ayant toujours à choisir en situation, parce que nous sommes une existence (une ex-sistence, quelqu’un qui se tient et se soutient en sortant de soi), un pro-jet (se jeter en avant), un avenir (un à venir, un advenir) et non une essence déterminée, circonscrite et close sur soi, au passé (Il n’y a que la mort qui fait de nous un passé, un destin). Tout homme est engagé dans la vie comme existence, et ne pourra s’en dégager ou en être dégagé que par la mort : la vie, il va falloir faire avec par notre existence.
- Engagement d’ordre éthique. Exister, c’est être quelqu’un pour autrui, et être soi-même à autrui (comme au monde et à soi-même, et même à « soi-même comme un autre » Ricoeur). Dès qu’on est face à l’autre, devant sa face, Lévinas nous dit que son visage a la figure de l’infini. Il me transcende et m’excède par sa radicale altérité (au-delà de moi), car il m’oblige par sa dignité de personne au respect : je lui suis en dette sans exigence de réciprocité. L’autre m’engage à être son obligé. Le rapport à autrui est un engagement d’ordre éthique : la reconnaissance de son humanité pour l’humanisme athée, de sa dimension spirituelle et divine pour un croyant. Mais dès que ce type d’engagement vis-à-vis d’autrui prend la forme du devoir, cet engagement devient une vertu, car une obligation peut être transgressée, comme une promesse peut n’être pas tenue : il peut y aller, parce que la liberté engage une responsabilité, de l’effort, de la volonté, du courage…
- Engagement d’ordre politique. « Les philosophes se sont contentés jusqu’à présent de comprendre le monde, dit Marx. Il s’agit à présent de le transformer ». Les situations de domination, d’exploitation, d’aliénation, de mépris, d’humiliation dans les rapports entre les hommes, qu’ils soient de classe, de peuples, de sexe etc., peuvent alimenter un sentiment d’injustice sociale face à des exigences de droits provocant une révolte, voire des révolutions, face au « désordre établi ». Il en est de même face à la maltraitance de l’environnement, des espèces, de la vie et de la terre. D’où un possible engagement actif, le plus souvent collectif, qui prend le nom de militance, pour faire cesser des « pathologies sociales » (A. Honneth), ou écologiques, du vivre ensemble dans la polis (cité) ou la nature.
Il s’agira dans notre réflexion de comprendre les mobiles et motifs, la nature, les objets, les évolutions de ces différents processus de l’engagement humain.

 


2) Synthèse de la discussion par Jacky


Au premier abord, l’engagement n’est pas la démarche la mieux partagée par les êtres humains : certains s’engagent, d’autres, non. Mais si nous sommes condamnés à être libres, contraints en permanence à faire des choix, comme l’affirme J.-P. Sartre dans sa philosophie existentialiste, pourquoi ce choix « choisit-il » l’engagement ? Quel en est le moteur : la passion ? l’émotion ? la sensibilité, l’affectivité… ou une compensation après de gros déboires, comme un dernier sursaut de vie ? Situés et impliqués dans un milieu historique, nous sommes immanquablement influencés par l’environnement, le contexte social et culturel. Est-ce donc un engagement par l’action ou par la réaction ?
On peut abandonner sa position de simple spectateur pour servir une cause, prendre le risque de dire «  non ! » à la marche en avant du monde, de s’opposer, de surmonter la peur, de s’engager pour un idéal, pour donner du sens à notre vie, à la vie ; l’homme a besoin de vivre des choses qui ne sont pas seulement de l’ordre du gratifiant, du matériel : alors, était-il pessimiste (ou réaliste), Lyotard, quand il annonçait que « le temps des grandes utopies était révolu » ? Etait-il visionnaire A. Camus, quand il déclarait en 1957, lors de la remise de son prix Nobel : « j’appartiens à la première génération qui contrairement à toutes les autres, n’aura pas à refaire le monde, mais à veiller à ce qu’il ne se défasse pas ». L’engagement aurait-il donc changé de nature, dans ses objets, dans sa vision ? Puisque le monde change sans arrêt et rapidement, cet engagement sera-t-il suffisamment tenace, capable de s’adapter… et combien la lucidité devra l’accompagner !
De cet engagement, devons-nous attendre des effets, des résultats ? Mais c’est rompre avec l’idéal de donner sans attendre de retour; sinon que de désillusions, de vaincus en perspective, et de motifs de renoncement ! L’énergie dépensée à son service est-elle la cause ou la conséquence de l’engagement ?  
De l’autre côté de cette face éclairée de l’engagement, n’y a-t-il pas une réalité plus sombre : ne fait-on pas en permanence le constat de désengagements (absence de civisme, d’éducation dans la relation qui nous oblige par rapport à nos enfants, dans la relation à soi, d’absence de dignité élémentaire, de respect de soi) ? N’est-il pas le dernier refuge pour échapper à la triste condition humaine, ou la dernière illusion pour s’extraire de l’anonymat, une fuite face à tous les problèmes du quotidien. Ne serait-ce pas une ambition messianique de changer le cours du monde, et d’occuper une place laissée vacante par le recul du sentiment religieux, de l’Etre suprême ? Et que dire de tous ceux qui se sont (l’histoire de France en regorge) trompés d’engagement ?
Les engagements se valent-ils tous ? Entre celui qui lutte pour sa survie.(a-t-il vraiment le choix ?), et celui dont la cause est celle d’améliorer le sort des autres ? Y a-t-il équivalence ?
Après réflexion, on ne peut s’empêcher de penser qu’il n’est pas possible de vivre sans engagement ; parler nous engage et l’on doit rendre compte de ce que l’on dit, parce que notre responsabilité est engagée.
Quant à la valeur morale de cet engagement, qui éclate dans l’action ou la parole, prudence doit-être gardée de ne pas sombrer dans un psychologisme qui ne mettrait en avant que l’intérêt, et ferait abstraction de toute recherche d’idéal : n’est-ce pas utopique de pouvoir vivre sans utopie ?


3) Régulation et planification des prochaines séances (10’)


Prochaines séances les samedis 24 mai, puis 28 juin.
Il est décidé de continuer sur le thème de la transcendance.


ANNEXE 


Textes des participants


Comme contribution à la réflexion sur l’engagement, et ayant trouvé dans le livre de Michel Onfray (L’Innocence du devenir) des idées coïncidant avec les miennes, il m’a semblé pertinent de m’en approprier pour rappeler ceci : 
Qu’ « une pensée ne tombe pas du ciel des idées, comme une étoile morte et froide, mais qu’elle monte de la terre, à la manière d’une lave incandescente, et, plus particulièrement, qu’elle surgit dans un corps, d’un corps même, au cœur d’une chair incarnée dans une vie, une époque, un milieu ». Et que cette « incandescence suppose une histoire, un contexte, un monde, avec des parents, une famille, des rencontres, des souffrances et des joies, des désirs et des plaisirs, des affects, des passions, des tristesses, des aspirations, enfin tout ce qui habituellement définit le vivant dans la vie ».De même, pour « l’être conscient de la nature tragique (précaire, nous avons dit ici) du monde », la liberté ne tombe pas du ciel des concepts et elle n’est pensable et définissable que dans le « règne de la pure nécessité de la volonté de puissance (qui est principe homéostatique de tout ce qui est, et non aveugle pulsion de violence…), de l’ontologie noire constituée par l’inexistence du libre arbitre et la toute-puissance du fatum ».
Bien entendu, comme le précise Onfray, « volonté de puissance » dans le sens du « surhomme » théorisé par Nietzsche. C’est-à-dire : le « surhumain » (lire sur ce sujet Nietzsche et Salomé de Jean-Pierre
Faye), l’être « conscient de cette réalité métaphysique » et « désireux de la vouloir, puis de l’aimer ».
Donc, l’engagement  (pensée en action) n’a de sens que connaissant le tragique (la précarité) de la vie, la voulant et l’aimant, car alors est possible le mariage entre pensée et action, verbe et comportement, discours et existence, théorie et pratique. Puisque, comme le rappelle Onfray pour le philosophe, il faut que le discours et les livres ne soient pas distincts mais corrélés aux engagements, « reliés de manière conséquente ». Et ce qui est valable pour le philosophe (celui qui réfléchit à ce qu’il pense) est aussi valable pour tout autre être humain.
En effet, pour qu’il y ait engagement, il faut qu’il y ait cohérence entre la pensée et l’action, et que dans cette configuration la pensée soutienne l’action et l’action génère la pensée « dans de perpétuels allers et retours. L’un nourrit l’autre, et vice versa ».Sans oublier que cette cohérence est un « combat pour une nécessaire cohérence », et quel’objectif n’est pas tant de la réussir que de la rechercher, de la tenter…L’engagement est, donc et avant tout, passage à l’acte pour soi-même dans une perspective existentielle qui nous relie de manière conséquente aux autres. C’est pourquoi, se référant aux philosophes, Onfray dit que « la compréhension des livres de philosophie ne saurait faire l’économie de la biographie de la signature », que c’est à partir de cet engagement (cohérent) que nous pouvons échapper aux maux de l’époque  (« égotisme, solipsisme, élitisme ou banditisme ») et dire comment, « dans leurs existences respectives, Plotin est plotinien, Kant kantien, Spinoza spinoziste et Sartre sartrien ». Ce qui veut dire que nous ne pouvons non plus faire l’économie de la biographie de notre signature si nous prétendons nous engager dans ce combat contre le repli sur soi-même (l’individualisme égotiste), la résignation au réel (le fatalisme solipsiste), le complexe de supériorité (le narcissisme élitiste) et la loi du marché (la barbarie du banditisme capitaliste).
Et pour conclure, nous rappeler en toute circonstance cette phrase du Gai Savoir : « N’aie cure de n’être fidèle qu’à toi-même, et tu m’auras suivi », qu’Onfray fait aussi sienne ; car non seulement l’engagement ne doit pas être rhétorique mais il doit être fidèle au costume dont nous prétendons nous habiter.
Octavio


Engagement ? ?
Faisant suite à notre réflexion sur la liberté toute relative, je pense que nous devenons cependant responsables de nos engagements : réflexion, décision, action, personnellement consenties, mais non libératoires pour autant ; l’engagement ayant pour effet de nous lier
moralement à une personne ou un groupe dans un objectif commun dans une intention responsable, individuelle et collective, où nous rencontrerons doute, conflit et marchandage.
Dualité : nous sommes responsables de nos choix et non coupables des circonstances dans lesquelles nous nous exprimons.  Aussi cette liberté relative peut nous sembler illusoire et prédéterminée, mais il nous reste la liberté de décision, du sens donnés à nos actions. Tout ou long du parcours de vie nous nous transformons selon les circonstances rencontrées, provoquées ou subies.  Et toutes nos erreurs resteront positives puisqu’elles nous inciteront à réajuster nous choix et nos motivations : processus évolutif d’une prise de conscience dans la nécessité d’intervenir propre à l’être humain. Il est d’ailleurs envisageable, incontournable même, de subir librement dans une finalité ciblée, gratifiante et personnelle. Et si nous ne faisons « pas gaffe », la vie peut-être une aliénation ou un accomplissement. D’où l’importante de nos options librement consenties ou refusées. Il n’appartient qu’à nous d’avancer ou de stagner, individuellement et ensemble.

Dorothée