Université Populaire de Perpignan
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur la précarité (2e année)


Séance 6 du 24-05-08


« La notion de transcendance »


15 participants
Introducteur et animateur : Michel
Présidente de séance : Jacky
Secrétaire de séance : Françoise


2) Introduction sur la notion de transcendance par Michel


- La transcendance, étymologiquement, est ce qui monte (racine indo-européenne skand, qui a donné en français échelle) au-delà (trans). Il y a un mouvement d’ « ascension » (mot de même origine). C’est ce qui élève, et permet de s’élever. Symbolique de la verticale, de la flèche qui part vers le haut, vers les cieux. Spiritualité qui allège l’âme du corps et lui permet de monter, de prendre son envol, de s’élever au ciel. Ce qui inspire et aspire. Me dépasse et me fait me dépasser. « La grâce, c’est la pesanteur qui me tire vers le haut » (S. Weil).
- La trancendance est mouvement, mais aussi état : c’est ce qui par son essence est « en haut » (le monde sublunaire des anciens, celui des sphères parfaites ; Dieu-notre-père-qui-est-aux-cieux), par opposition au monde corrompu d’ici-bas. Ce qui est à la fois antérieur (m’antécède chronologiquement), extérieur (extra-mondain, car cela me et nous déborde) et supérieur (en espace, puissance, fondement). C’est ontologiquement l’Absolu, le cosmos (Stoïciens), la totalité (Spinoza), Dieu, l’Esprit (Hegel), l’Idée (platonicienne), la Valeur (l’Amour –du Christ -, le Vrai, le Bien, la Justice, la Loi – impératif Kantien -, le Beau…), l’Omega (Theillard de Chardin), la « main invible » (Adam Smith)...
- Le propre de la modernité est d’avoir « déverticalisé » la transcendance, de l’avoir « horizontalisée », de l’avoir « déhiérarchisée », de l’avoir aussi « désenchantée » (M. Weber). La République a coupé la tête au Roi, et instauré comme valeur l’égalité ; le positivisme scientifique rendu inutile l’explication par Dieu-la-Cause ; Nietzche a proclamé la « mort de Dieu » et des « arrières mondes ».
La sécularisation des croyances « mondanise » la transcendance, qui ne disparaît pas, mais se fait intra-mondaine : les « lendemains qui chantent » sont désormais ici-bas pour Marx, et le désir qui pousse à la recherche et au « toujours plus loin et plus haut » (la sublimation) est dans les profondeurs de l’inconscient pour Freud (C’est du bas et non du haut que vient la poussée). D’autres figures d’une « transcendance laïque ou athée» émergent alors progressivement dans l’histoire : celle de la Raison universelle (commune à tous les hommes et fondant leur dignité) de l’idéologie des lumières ; celle des Droits de l’Homme (remplaçant les devoirs envers Dieu et le Souverain), idée régulatrice démocratique de tous les progrès sociaux ; celle des utopies sociétales, socialistes et communistes, possibles hic et nunc par la Révolution ; celle du surhomme qui prend fièrement de la hauteur sur sa montagne (Nietzsche) ; d’un homme par lui-même « trans-ascendance » par son existence (ex-sistance) : sa transcendance, c’est sa Liberté, qui le fait ex : sortir de soi, se pro-jeter (jeter en avant) sans cesse (Sartre) ; jusqu’à remonter sans cesse, tel Sisyphe, le rocher en haut de la montagne, dont cette dure ascension fait sens pour sa vie (Camus).
- Mais nous sommes dans la post-modernité, qui a acté la « fin des grands récits » (Lyotard) : celle d’une science intrinsèquement libératrice (elle pèse aujourd’hui son poids de menaces guerrières et écologiques), celle des utopies alternatives (qui se sont révélées au pouvoir totalitaires)…
- Y a-t-il encore un avenir pour la transcendance ?
Faut-il le voir dans le retour de l’extra-mondain, du religieux (sectes, vitalité de l’Islam et de l’évangélisme… ?). Dans le renouvellement des utopies collectives intra-mondaines (altermondialisme) ? Dans un spiritualisme athée (type Comte Sponville), qui récupère les valeurs religieuses mais sans Dieu ?
Ou faut-il se résoudre à la « fin de la transcendance », qu’elle soit classiquement divine ou plus récemment athée ? Avec un hédonisme à la Michel Onfray par exemple, fondé sur l’immanence du plaisir, renouant avec le jardin d’Epicure (les Dieux existent bien pour celui-ci, mais ne se préoccupent en rien des hommes). Se rabattre sur une éthique minimaliste (« Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse »).
A moins que la transcendance ne soit pour l’homme un besoin nécessaire, incontournable... Peut-on par exemple articuler le désir comme « propulsion » et la transcendance ?


3) Synthèse de la discussion par Françoise


Comment se positionner par rapport à ces trois positions : la transcendance de l’humanisme d’inspiration religieuse (Ricoeur, Lévinas), celle de l’humanisme athée (Camus, Sartre, Comte-Sponville), celle de la négation de toute transcendance (Nietszche, Onfray, Rosset) ?
- La mondialisation de la culture nous a fait connaître d’autres religions : ce besoin n’est-il pas universel ?
- Notre histoire renvoie à la tradition judéo-chrétienne : était-ce, est-ce toujours nécessaire ? D’après F. Lenoir, les droits de l’homme sont nés en Occident parce qu’il y eu le « Christ philosophe ».
- Même si la religion (religare, relier) se réclame de l’Esprit, ne faut-il pas distinguer religion et spiritualité ? On oppose la religion comme croyance ritualisée à une spiritualité plus intérieure, une recherche personnelle, au-delà de l’intellect, mais aussi de l’affectivité. Il pourrait en ce sens y avoir une spiritualité sans Dieu, un « esprit de l’athéisme » (Comte-Sponville).
- La transcendance est une ascension vers le haut : métaphore de gravir une montagne. Certains n’ont pas besoin de chemins tout tracés, ou gravissent en ignorant le but. D’autres ont besoin de compétition (les egos fabriquent des inégaux…).
- La transcendance apparaît comme une inspiration (pour l’artiste), une aspiration (pour le vertueux), une attirance pour l’inconnu et l’Absolu.
- Elle peut mener à la transe. Qu’en est-il de mon identité en relation avec la transcendance ?
- Elle semble être en nous, nous englober, comme un mystère.
- On distingue l’athée, incroyant, de l’agnostique, qui n’en peut rien savoir ni croire.
- D’un point de vue matérialiste, l’homme est régi par des besoins qui déterminent sa vie. La transcendance n’a pas grand sens, sinon d’endormir le peuple pour le dominer. Concept mou, son sens s’est affadi, est devenu simple dépassement de soi. Il faut déconstruire le langage.
- Difficile de penser la transcendance sans émotion qui vient du tréfonds de notre être. Elle s’éprouve et ne se prouve pas, ou se prouve en s’éprouvant. Mais elle ne s’épuise pas dans l’affectif, l’émotivité, car c’est « une pesanteur qui tire vers le haut » (S. Weil).
- On parle de transcendance immanente, intra-mondaine, par opposition à la transcendance verticale, extra-mondaine, celle des arrières mondes : c’est celle qui n’a pas besoin de Dieu pour que l’homme s’élève.
- L’homme est un être pensant et conscient de sa souffrance, qui a besoin de s’apprécier et d’être apprécié par les autres (estime de soi). Ce qui le fait se surpasser grâce à des représentations qu’il s’est construites : aspiration au Bien, à la vertu, notion de responsabilité, de culpabilité, de punition, donc d’éthique…
- Pour Freud, l’homme se crée une civilisation qui dépasse ses instincts, et l’élève au-dessus de ses pulsions : c’est un processus de sublimation. La religion est pour lui la « névrose obsessionnelle de l’humanité ».
- L’homme a besoin de vivre avec les autres : il doit dépasser son égocentrisme vers le collectif, d’où tout un système de normes et de valeurs pour rendre possible la coexistence.
- La spiritualité permet d’accéder à un autre niveau de connaissance, non réductible à du savoir ; de sensibilité, non réductible à l’émotivité : elle est créative, comme dans l’art.
- Les artistes sont « habités » par l’idée d’un absolu qui les pousse à créer. Pour donner un sens à leur vie ? Il y a là une posture devant le mystère, souvent la souffrance, de l’existence.
- On parle de la Beauté, forme d’élévation au même titre que la vertu.
- Mais aussi d’extase (et il y a l’extase des mystiques). Y a-t-il dans l’orgasme une spiritualité explicite (cf le Kamasoutra) ou cachée, ou/et le simple soulagement d’un besoin physiologique ?
- En Occident rationnel et matérialiste, on oublie parfois la profondeur sacrée du mythe, et le sens des autres cultures. La transcendance est au-dessus, elle domine, prend le visage du pouvoir spirituel, institutionnel (l’Eglise). Il y a un européocentrisme qui tente de s’imposer au reste du monde.
- Pour éviter la domination, la transcendance doit rester un élan, une aspiration, une recherche personnelle. Elle n’est ni savoir dogmatique d’une Vérité absolue, qui mène au fanatisme, ni pouvoir d’un maître, qui mène à l’Inquisition. Quelque chose nous dépasse qui permet de nous dépasser…
- La notion de transcendance peut prendre collectivement en Occident la figure humaniste du Progrès, de la Révolution, des Droits de l’homme.


4) Régulation et planification des prochaines séances (10’)


Prochaine séance le 28 juin, sur la transgression.


ANNEXE 


Textes des participants


Selon le dictionnaire :


- Transcendance (1640) : caractère de ce qui est transcendant.
- Transcendant (1405) : (de trans et ascendere « monter ») qui s’élève au-dessus d’un niveau donné (synonymes : sublime, supérieur)
- Transcendant en philo (1538, log.) : Se disait des termes qui dépassent toutes les catégories (Un, Être, Vrai, etc.). Qui dépasse un ordre des réalités déterminé ; « ne résulte pas du jeu naturel d’une certaine classe d’êtres ou d’actions, mais suppose l’intervention d’un principe extérieur et supérieur à celle-ci » (Lalande). « Un ensemble de croyances exprimant la valeur transcendante de la vie » (Renan). Transcendant à…, d’une nature radicalement supérieure à… ou (en phénoménologie) extérieure à… Le phénomène, l’objet conçus comme transcendants (à la conscience).
- La transcendance, en philo : l’existence de réalités transcendantes (Dieu – substances permanentes et choses en soi – rapports de droit ou de vérité immuables indépendants des faits - objets extérieurs aux consciences, d’après Sartre).
- Transcendance de Dieu, par rapport au monde et aux consciences.
Mais, Dieu, objet extérieur à la conscience, est-ce qu’on peut le penser au-delà de la pensée ?
Non, il faut croire à sa réalité transcendante. Croire, pas penser, car un au-delà de la pensée est impensable !
Conclusion : en philo cela n’a de sens parler de la Transcendance qu’en se référant aux croyances ou aux termes « qui dépassent toutes les catégories » (Un, Être, Vrai, etc.), simplement parce qu’ils sont des concepts de l’entendement (« fondamentaux », Kant), de la pensée forgée pour nous représenter le monde et nous entendre.
Les termes Un, Être, Vrai, etc., ne sont donc des termes transcendants que parce qu’ils expriment des qualités génériques attribuées aux objets ou sujets. Ils ne peuvent avoir donc de la transcendance (dans le sens d’être supérieurs et extérieurs au monde) qu’en leur attribuant les qualités que l’on attribue à Dieu.


Contribution de Octavio


J’aborderai cette réflexion sur la transcendance en commençant par une approche des mots s’y rapportant :
1) transcender peut vouloir dire dépasser une émotion négative, surmonter une situation difficile dans une connotation toujours positive. Dépasser par la voie de la réflexion et de l’action. Ceci par l’intermédiaire :
- du cerveau, siège de la pensée, des informations, centre des formations mentales, de ma mémoire ;
- de l’intelligence, faculté du savoir : instructions diverses, capacité d’adaptation, compréhension, communication, aptitudes compassionnelles dites intelligence du cœur ;
- de l’esprit, réalité pensante et conceptuelle. Le souffle : émanation de la vie et des sentiments sur le plan religieux ou mythologique des êtres divins ou désincarnés, tels les fées, les spectres, le Divin ;
- de la science, recherche et connaissance évolutives de la formation des phénomènes de l’univers ( devenant souvent obsolètes au fur et à mesure des découvertes nouvelles ), domaine des savoirs multiples vérifiés par des méthodes expérimentales ;
- de la conscience, capacité de connaître, de développer via l’esprit des jugements de valeur morale dont le cœur ( dans le sens de la générosité ) pourrait être le siège ;
- du spirituel, finesse de l’esprit, intelligence brillante ou immatérialité de l’âme, reflet d’un principe divin dans la religion ;
- du mysticisme, recherche philosophique ou religieuse de l’Union de l’Etre relié au mystère de l’univers portée vers l’inconnaissable ;
- de la métaphysique, recherche rationnelle et non sensible des causes et des effets de l’univers, principe premier de la connaissance de l’Etre Absolu d’ordre divin ou désincarné.
Cependant, il est une capacité d’être autrement, sans possibilité de précisions définissables, comme par exemple l’inspiration concrétisée par la création artistique. Comme René Char l’a exprimé : « Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Je me lance donc à nommer l’Indéfinissable.
2) Transcendance : état d’être au delà de la conscience même, dépassement de l’ego, hors de toute matérialité physique ou psychologique.
Je donnerai comme exemple, en mathématiques, il existe un nombre irrationnel qui n’est la racine d’aucune équation (algébrique à coefficient entier précise Octavio…).
L’homme, de par sa capacité à penser, vouloir comprendre, élargit le développement du savoir et de la conscience, tout en faisant naître la craindre d’échouer, de perdre, de ne plus avoir ou ne plus être.
La transcendance est d’être au delà du savoir et de la compréhension, par le chemin de la conscience : aller au delà de celle-ci dans un dépassement du Moi et du Soi dégagés du Connu, dans un totale Lâcher-prise.
Etat d’être que l’on ne peut appréhender intellectuellement ou scientifiquement, appelé aussi état de conscience modifié.
Etat illimité -unique- unifié de Pacification.
Expérience « impensable » ou immanente.
Etat de présence ultime intrinsèque. Dorothée
Tant qu’il y aura des croyants en des forces extérieures à la nature, et des Eglises (religieuses ou athées) pour les encadrer, il y aura un avenir pour l’idée de la « transcendance »  de Dieu ou de la Révolution, puisque pour cela il suffit d’y croire.
Mais dans les sociétés de la connaissance, la transcendance est un mot qui perdra son caractère sacré et qui n’aura d’autre signification que celle qu’il a étymologiquement : c’est-à-dire simplement pour souligner l’importance de certains faits ou problèmes par rapport à d’autres faits ou problèmes moins importants. La transcendance, en tant qu’idée d’au-delà du réel, n’est présente dans aucune société pour la gestion du quotidien, même dans celles où le pouvoir temporel se veut spirituel (religieux). Sauf comme croyance exploitée par le pouvoir pour asservir les masses.
Et pour ce qui concerne le désir, c’est encore nécessaire de rappeler que les besoins physiologiques et psychologiques de l’homme ont leur origine dans la spécificité de sa matérialité vivante ! Comment oublier que la vie est déterminée et fonctionne, même dans le cas de sa plus grande complexité, grâce à sa structure et aux rapports entre la matière et l’énergie, qui constituent l’espace-temps de l’univers dans lequel l’homme existe et habite ! Comment donc relier l’immanence du désir avec la croyance en la transcendance ? Le désir étant l’expression d’un besoin devenu pulsion par la chimie neuro-cérébrale, même quand il est conscient, et la
croyance en la transcendance étant un produit de la subjectivité culturelle… Et cela seulement dans les contextes où la croyance prend le dessus sur la connaissance, et où l’on croit possible une autre connaissance que la scientifique.
Qu’on l’accepte ou non, tout effort philosophique d’articuler le désir -même comme « (pro)pulsion »- et la transcendance nous ramènera au phénomène religieux, à la religion et au refus de la raison, de raisonner.  Et, comme dans la question de la centralité du Soleil par
rapport à la Terre posée par Galilée, il faut retenir pourquoi les nouvelles hypothèses astronomiques triomphèrent sur celles qui étaient contre la sphéricité, même si elles paraissaient raisonnables… Simplement parce qu’elles possédaient une grande force explicative face à l’intuition et à la foi.
La question est donc simple : raisonner ou croire. Et la philosophie, comme la science, ne peut poser des questions sur l’irréel qu’à travers des questions rationnelles. Le raisonnable me semble donc de laisser les questions irrationnelles à l’irrationalisme des religions.
Octavio