Université Populaire de Perpignan
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2006-2007)
Cycle sur la précarité (1er année)
Contact : michetozzi@aol.com
Séance 4 du 21-04-07
LA PRÉCARITÉ SOCIALE
Animateur : Michel
Introducteur : Michel
Président de séance : Dorothée
Secrétaire de séance : Evelyne
1 / Accueil par Michel
- Accueil des nouveaux participants : rappel des visées de l'atelier,
des règles de fonctionnement, du thème d'année, du calendrier
;
- le fonctionnement de l'atelier du 21/04/2007 :
* 1° temps : analyse du texte proposé par Michel (Le flexible et
le précaire,
de E. Aujaleu , professeur de philosophie à Montpellier).
* 2° temps : discussion.
* 3° temps : écriture (écrire permet de poser sa pensée).
* 4° temps : lecture des écrits.
* fin de l'atelier : régulation.
- Information sur le 2° printemps des Universités populaires, les
22 juin (à partir de 17h 30) et 23 à Narbonne, le 24 au matin
à Perpignan.
2 / Introduction par Michel
2-1/ texte du philosophe Rivarol (en exergue du document "Le flexible et
le précaire") :
- rappel de l'étymologie du mot précaire : "ce qui peut être
obtenu par la prière".
2-2/ lecture et éléments d'analyse du texte d'E. Aujaleu :
1° paragraphe :
- 2 modèles (paradigmes) : la stabilité opposée à
la mobilité ; il faudrait se saisir des opportunités, "bougisme"
(J.Attali : le nomadisme oblige à s'adapter à de nouveaux milieux
; interpénétration des idées).
Le début du texte d'E.Aujaleu met en lumière l'importance du langage
économique dominant. Selon A.Gorz : le travail est un facteur d'insertion
; il a une utilité sociale ; il est l'exercice de compétences,
connaissances et capacités, et l'opérationnalisation d'une culture.
Le travailleur est un sujet de droit.
2° paragraphe :
- lexique : ontologie : science de l'être ; phénoménologie
: la description de l'être (comment est-il en relation avec le monde ?).
Déréliction : tragique.
- Dans une approche politique et éthique "...il faut distinguer
la précarité "ontologique" (l'homme est mortel) et la
précarité "sociale" (qui dépend de l'organisation
des hommes) : la seconde ne découle pas de l'autre ! Au contraire, le
fait de travailler donne un statut, la sécurité est un droit,
et un "élément de l'estime de soi". La dignité
n'a pas de prix, elle ne s'achète pas. Il s'agit d'être reconnu
en tant qu'Homme.
3° paragraphe :
-l'identité éthique du moi : amour + respect + estime ;
- l'expérience du mépris (dignité bafouée par l'image
que me renvoie l'autre);
- Cf Hegel, la lutte pour la reconnaissance dans la relation dialectique maître-esclave,
et la co-dépendance du maître et de l'esclave. L'esclave lutte
pour sa reconnaissance par le maître ; ce qui est différent de
la subordination, de l'exploitation et de l'aliénation.
- Le mépris provoque une blessure narcissique ; la restauration de la
confiance en soi permet de faire l'expérience que l'on est un sujet humain.
Fin du texte :
- certains événements témoignent de la recherche de reconnaissance
plus que de revendications;
- mais la lutte pour la reconnaissance ne saurait justifier l'usage de la violence...
3 / Discussion
Lancement par Michel :
La difficulté de cette séance est de rester dans une approche
philosophique du concept de précarité sociale, d'envisager le
côté éthique et politique (au sens d'une philosophie politique),
et de ne pas s'engouffrer immédiatement dans l'économique.
Question : en quoi la précarité menace-t-elle la dignité
de l'Homme ? Comment la dignité humaine peut-elle se traduire dans une
justice sociale ?
Discussion (en caractères gras, les interventions de Michel).
* la relation "maître-esclave" et la recherche de reconnaissance.
- Y a-t-il une éthique du maître ? Laquelle ?
- Quelle reconnaissance possible dans un système capitaliste. Parle-t-on
d'"amour" ou de manipulation ? Comment l'épanouissement de
l'homme est-il possible dans ce système ? Le travail rémunère
mais n'épanouit pas (être & avoir !)
- La reconnaissance vient de la proximité interpersonnelle, physique.
Aujourd'hui maîtres et employés sont éloignés, et
les "maîtres" eux-mêmes sont dans la précarité
(ex. : les cadres). Ces catégories (cf. Hegel, Marx) fonctionnent-elles
encore aujourd'hui ?
- L'ouvrier recherche la reconnaissance de ses pairs, plutôt que celle
de ses supérieurs. Il fait partie d'un groupe ; il a la reconnaissance
de gens de même niveau.
- La reconnaissance, est-ce alors une lutte ?
* Ouvrier / esclave
- Reconnaissance dans le travail : esclavage moderne ? Où est l'évolution
? Même style de relation ; autre type de violence
- D'un point de vue dialectique : qu'est-ce qui demeure et qu'est-ce qui est
différent?
- Achète-t-on l'homme ou son travail ? Est-ce la même chose ? L'esclave
était acheté comme un bestiau, il ne choisissait pas. Le travailleur
aujourd'hui n'est pas obligé, il peut choisir : il se vend, peut-être
; il n'est pas vendu.
- 2 idées contradictoires :
*Les esclaves acceptent le maître et ses successeurs (cf. La Boétie,
Le discours sur la servitude volontaire)
*La société démocratique donne un statut de sujet à
l'Homme, qui exerce son esprit critique sur le passé.
La précarité serait-elle le seul argument de la société
pour continuer à tenir debout ?
- Le pré-supposé serait-il : n’y a-t-il pas de changement
en dehors de la précarité ?
* précarité et changement
- Le contexte actuel de changement, de concurrence impose la précarité
à tous et partout. La précarité des "patrons"
précarise les travailleurs... mais les sociétés changent...
- L'homme est un animal social ; seul, il meurt ; la précarité
le renvoie à sa solitude. Pourquoi ne pas partager les difficultés
? redistribuer le travail ? La flexibilité rend l'évolution possible
si le groupe est autour.
- Ferons-nous l'éloge de la flexibilité ou la condamnerons-nous
? D'un point de vue dialectique, si la stabilité est à l'inverse
du mouvement de la vie et que la précarité sociale fragilise l'individu...
quelle articulation entre les deux ?
- La flexibilité serait une capacité de changement, induirait
un choix possible ; la précarité serait subie
- La flexibilité serait-elle une réponse à la précarité
? La précarité est un état de fait (comme dans la marche,
à chaque pas on est en recherche d'un nouvel équilibre).
La flexibilité (assortie de capacités et de moyens) permet l'adaptation,
l'évolution ; sinon on est "sur la touche"
- La flexibilité permettrait-elle d'assumer la précarité
?
- Chacun cherche sa place dans la société ; la précarité
est un système... la flexibilité un mot.
- Un point de méthode : la philosophie n'a que le langage et les mots
pour penser. Dans l'atelier philo, nous devons mettre des choses sous les mots,
pour penser le réel. La philosophie veut penser le réel à
partir du langage, et permet de rentrer dans la complexité.
- Certains pensent qu'ils s'épanouiront dans la société.
La précarité peut être choisie ou subie
*Précarité et progrès
- Aujourd'hui les choses évoluent très vite ; l'instabilité
est partout y compris dans les savoirs. Le monde est "flou"...
- L'accélération de l'histoire et des progrès techniques
et scientifiques génèrerait-elle le sentiment de précarité
? La difficulté d'adaptation, l'obsolescence, l'incertitude de l'avenir,
la disparition des appuis stables, l'accélération économique,
renforceraient-elles le sentiment de précarité ?
La disparition des certitudes entraîne la recherche de compensations...
Nous devons sortir de l'émotion du scandale, pour comprendre les logiques
à l'oeuvre.
* Précarité et gestion du temps personnel
- Dans la précarité d'un emploi à mi-temps, par exemple,
on n'est pas reconnu comme un être "complet", qui pourrait gérer
librement son temps. Tout s'accélère et le monde devient "virtuel"
- L'instabilité dans le temps, la non-reconnaissance de la personne globale
empêcheraient l'utilisation libre et créative de son temps
* Précarité et relations interpersonnelles
- Le maître est l'esclave d'autres maîtres ; l'esclave est soumis
au maître.
- Mais aujourd'hui, le maître est "invisible" pour l'ouvrier,
irrémédiablement lointain. Ce qui renvoie à une perception
individualiste de soi. Seules des solidarités de proximité peuvent
rassurer en créant de la chaleur humaine, de l'intimité.
- Hors des relations interpersonnelles, la reconnaissance est difficile. Dès
que le lien social est rompu, la relation humaine devient virtuelle.
Objection : internet ! qui permet de rentrer virtuellement en contact. Le virtuel
devient alors réel sur "la toile" ... et la relation s'établit
sans hiérarchie !
4 / Écriture
Après ce temps de discussion, écrire une phrase, une seule idée
que l'on retient, un aphorisme (voir en annexe).
5 / Régulation
- Question aux nouveaux participants sur cet atelier.
- Un lien à explorer : précarité / insécurité
; flexibilité / sécurité.
- Précisions : le programme de cet atelier a été conçu
comme une démarche "ascendante" ; l'atelier n'est pas un débat
contradictoire, mais une réflexion collective.
- Un groupe pourrait-il prendre la posture de "l'avocat du diable"
?
- La discussion sur le fond convient, mais évolution nécessaire
sur la forme (prise de parole et écriture).
ANNEXE
Textes de participants
* La relation devenant de plus en plus virtuelle et lointaine, le sentiment
de précarité est de plus en plus perceptible.
* La précarité fait partie du morcellement de notre société
; elle est devenue une arme pour les nouveaux maîtres.
* Je plie mais ne romps pas !
* Maître de qui ? maître de soi ?
* Il n'y a de reconnaissance que dans l'égalité.
* L'impermanence de l'être mise au service du maître.
* Ne s'est-on pas servi des liens entre les individus pour les ligoter, les
étrangler, au profit de ceux qui en connaissent toutes les ficelles ?
* Convaincre, c'est se vendre ?
* Précarité, prière : invoquer le droit à la transformation
évolutive.
* La précarité apparue au début de notre vie ne peut pas
se résoudre dans ce système capitaliste.
* Contre la précarité subie, donnons priorité à
toute information, éducation et échange.
* La triste réalité c'est le travail sans fin, comme Sisyphe roulant
son rocher. Ne nous laissons pas manipuler
* "Une situation précaire, c'est celle qui ne s'exerce que grâce
à une autorisation révocable" (cf texte de E. Aujaleu).
* Dire non à la précarité non choisie, et résister
avec le temps.
* La précarité n'est pas un choix : elle est imposée
par des contraintes extérieures. La flexibilité est le choix d'existence
"le moins pire", quand on en a les moyens.
* Peut-on concilier flexibilité et minimum d'insécurité
?
* L'amour peut-il exister en économie ?
La précarité sociale
On pourrait effectivement s’attendre à ce que l’organisation
sociale soit toute entière faite en sorte que, face au sentiment de précarité
ontologique chez des êtres qui se savent mortels et vulnérables,
chacun trouve dans cette organisation le maximum de sécurité possible.
Or ce n’est pas ce que l’on constate, du moins dans nos sociétés
modernes que l’on considère comme évoluées. Mais
est-ce le cas pour chacun dans les sociétés plus traditionnelles ?
L’exemple de l’organisation sociale des vallées haut pyrénéennes
antérieurement à la deuxième guerre mondiale, montre que
si la sécurité optimale était assurée pour l’aîné(e),
le sort des cadets était d’être des laissés pour compte,
qui avaient pour choix d’être mousquetaires, curés, valet
de leur aîné, ou de se débrouiller comme ils pouvaient.
Dans ce cas la nécessité économique de ne pas partager
des exploitations déjà trop petites dictait sa loi, favorisant
les uns, jetant les autres dans la précarité. Que peut-on dire
de cette société qui n’a pas de raison d’être
moins pertinente que d’autres ? Qu’au dessus de l’intérêt
de chaque individu, ce qui prévaut est la pérennité de
la société elle-même.
Il faut aussi remarquer que le changement social ne pouvaient guère venir
de ceux à qui était dévolu la meilleure part, car ceux-là,
en principe, ne pouvaient vouloir que la perpétuation d’une telle
organisation, tandis que les autres étaient conduits à inventer
des solutions : devenir guides de haute montagne, contrebandiers, s’expatrier,
etc. La précarité sociale de certains constitue une force de changement
pour la société toute entière qui, en tant que corps vivant,
serait sans cela livrée toute entière à la pente entropique
du conservatisme.
C’est sans doute la même chose pour ce qui est arrivé à
la société d’ancien régime. Ce n’est que parce
que certains ont voulu faire cesser les privilèges que la révolution
à eu lieu.
Mais nos sociétés modernes ont généralisé
la précarité (sauf pour ceux qui se font attribuer dès
la prise de leur fonction et quelque soient leurs résultatsultérieurs,
des parachutes dorés). Ce qui fait loi actuellement ne semble pas être
la pérennité du groupe social, mais quelque chose qui n’a
pas grand chose à voir avec l’homme, c’est à dire
le capital, qui a sa propre logique et sur laquelle il est bien difficile d’avoir
prise. Les maîtres sont devenus invisibles, “ c’est le
système ” qui commande : personne à qui demander
des comptes, tentations de trouver des boucs émissaires (les étrangers,
les jeunes, les fainéants…) Alors que faire pour ne pas tomber
dans la désespérance ? Retrouver à la fois des solidarités
de proximité, (associations, intégration dans des groupes, appartenances
multiples, entrer dans la “ toile ”) mais aussi avoir
des comportements citoyens (le vote, la syndicalisation, l’intérêt
pour la préservation de l’environnement, etc.).
C’est faire le pari que la préservation de l’environnement,
la construction du lien social et de la participation à l’élaboration
de la société, offrent l’opportunité à chacun
de trouver un sens à sa vie, un minimum de protection et de chaleur humaine.
Marcelle 20-04-07
Précarité et insécurité
Nous pouvons définir la précarité, objectivement et subjectivement,
comme une situation d’instabilité, notamment dans un temps perçu
comme limité, non durable. Les situations de précarité,
lorsqu’elles sont subies plutôt que choisies, engendrent un sentiment
d’insécurité, de crainte face à des risques, vécus
comme dangereux, au présent et pour l’avenir. Ces risques peuvent
être objectifs, de l’ordre des faits, ou fantasmés, puisqu’il
s’agit d’une perception individuelle et/ou collective.
Le sentiment d’insécurité peut porter individuellement sur
son corps, ses biens, sa situation sociale (il peut aussi porter plus collectivement
sur son/ses groupes d’appartenance, l’espèce humaine, etc.).
Il provoque un malaise, et des comportements réactifs, émotionnels,
des stratégies d’anticipation (les assurances), de prévention
(l’éducation), d’auto-défense (non confiance en la
protection de l’Etat), de répression (la prison).
1) L’insécurité physique peut se caractériser par
la peur de l’agression de l’environnement (travail dangereux pour
le salarié, usine polluante pour le riverain, virus…), en particulier
d’autrui (ex : attaque, viol). Peur d’une atteinte à
son intégrité corporelle, et par voie de conséquence à
son intégrité psychique (trauma), à sa santé, qui
s’enracine profondément dans l’instinct de conservation de
la vie (notre cerveau reptilien, le plus archaïque, perturbe dès
son insatisfaction le cerveau limbique de nos émotions, et bloque le
cerveau cortical de notre pensée).
2) L’insécurité sur les biens, c’est la peur d’une
atteinte à ce que l’on possède, sa propriété.
Cette forme s’est certainement développée avec la propriété
individuelle (quand les biens sont collectifs, on n’a rien à perdre
en tant qu’individu – ce qui ne veut pas dire qu’on ne défend
pas le bien collectif d’un groupe dont on est membre). Celle-ci a pour
effet que mes biens m’apparaissent comme le prolongement quasi-physique
de ma personne : surtout dans une société capitaliste mondialisée,
où le bonheur de l’être tend à se réduire à
la jouissance hédoniste de l’avoir, où l’agression
contre l’un de mes biens (ex : vol) est identifié à
une atteinte directe contre ma personne. Le sentiment d’insécurité
semble s’accroître avec les difficultés économiques
et le déficit du lien social. Il est nourri par le fait que la propriété
s’est accrue, et que l’inégalité de sa répartition
subsiste ou s’accroît.
Ces deux peurs (insécurité vis-à-vis des biens et des personnes),
sont des symptômes de la société contemporaine : individualiste
(sentiment d’être d’abord un « moi-je »
au centre, qui doit être objet de reconnaissance, et de tous les soins ;
culte de la propriété privée) et matérialiste (le
bonheur par l’avoir de la consommation). Elles correspondent à
un besoin profond chez l’homme de tranquillité physique et psychique,
et de confiance en autrui, qui, s’ils sont perturbés, nous constituent
en victime (qui demande réparation par le droit ; ou se venge :
« Pour une dent, toute la gueule », parole d’un
légionnaire) : d’où dans l’éthique et
le droit (de l’homme et du citoyen) l’obligation du respect des
personnes et des biens.
Cette peur est politiquement instrumentalisée par la droite et l’extrême
droite, qui lui donnent le visage d’un bouc émissaire (Cf.
la théorie de René Girard), la figure de l’ « Autre
menaçant » : l’étranger, parce qu’il est
étrange, inquiétant ; violent, voleur et violeur en puissance…
La culture de l’insécurité manifeste ainsi le syndrome d’une
crise du rapport à l’autre, dont on se méfie, et plus largement
d’une crise du lien social. Elle peut réactiver psychologiquement
des fantasmes archaïques : la « mère phallique »,
toute puissante, dévoratrice, dont il faut se protéger ;
et alimenter des attitudes psychiquement, éthiquement et politiquement
régressives : besoin d’un pouvoir fort mettant en péril
la démocratie, primat de la punition sur la prévention, etc. On
a pu dire ainsi que la France avait globalement, notamment à cause d’un
sentiment d’insécurité croissant, viré à droite…
3) Mais le sentiment d’insécurité d’un individu, dû
à sa précarité, peut aussi porter sur sa situation économique
et son statut social : multiplication des « sans »
(logement, papiers…), augmentation du chômage, de la pauvreté
(bas salaires, baisse des retraites et de la protection sociale), de contrats
précaires comme l’intérim ou les contrats, comme leur nom
l’indique, « à durée déterminée »,
engendrés par la situation de guerre économique mondiale, les
exigences de profit des actionnaires (capital financier), les politiques d’entreprise
(rentabilité des profits, flexibilité de la main d’œuvre,
dérégulation du marché du travail) ou d’Etat (démantèlement
du droit du travail).
Le travail comme valeur assure une indépendance financière de
subsistance et de satisfaction de besoins solvables ; une utilité
sociale par la production de biens et services ; une insertion sociale
dans un milieu professionnel ; souvent une réalisation personnelle
par l’activité menée. C’est ce dont est privé
le chômeur malgré lui, réduit à l’assistance
économique et sociale, à un sentiment d’inutilité,
à la privation d’un réseau relationnel et de solidarités
professionnelles, à l’inactivité. Cela n’enlève
en rien la réalité, dans de larges fractions du salariat, de l’exploitation
économique, de la domination hiérarchique et de l’aliénation
culturelle. Mais cela signifie la faible consistance sociale, voire ontologique,
de l’état et du statut de chômeur.
La précarité sociale, c’est la difficulté pour les
jeunes de rentrer sur le marché du travail, pour les travailleurs de
bénéficier d’emplois stables, pour les industriels, artisans
et commerçants de PME de résister à une concurrence mortelle,
pour certaines personnes de se loger, et correctement, de se faire soigner,
et correctement, de maintenir son pouvoir d’achat, etc. C’est l’incertitude
d’assurer au présent et/ou pour l’avenir son autonomie, et
d’assumer sa dignité, d’avoir du pouvoir sur sa vie, et sur
son environnement. Les droits au travail, au logement, aux soins, à un
revenu suffisant, et aussi à la culture, apparaissent ainsi comme les
conditions de possibilité de la dignité humaine, qui comme dit
Kant, n’a pas de prix. Mais elle a un coût, qui doit donner lieu
à des politiques sociales de solidarités nationales et internationales
(Car que dire des situations de précarité dans le monde, quand
on habite un pays dit « développé » ?).
La précarité, sous ses différentes modalités, doit
être philosophiquement comprise dans sa signification pour l’homme.
Sous sa forme individuelle, elle prend la forme dans la modernité d’une
triple insécurité physique, matérielle, sociale. Elle menace
le corps, les biens, le statut professionnel, plus largement social, par rapport
à des besoins primaires ou plus élaborés. Elle engendre
des réactions affectives, et des comportements individuels et collectifs
souvent régressifs. Elle crée aussi, au nom de la dignité
humaine, des obligations morales, des droits politiques, des revendications
justes, qui engagent chaque homme, chaque citoyen, chaque gouvernant.
Michel