Université Populaire de Perpignan
ATELIER DE PHILOSOPHIE POUR ADULTES (2007-2008)
Cycle sur la précarité (2e année)
Séance 2 du 17-11-07
Précarité et responsabilité
« Quelle responsabilité vis-à-vis d’une vie par
nature précaire ? » (2)
15 participants
Introducteur et animateur : Michel
Président de séance : Jean-François
Secrétaire de séance : Françoise
1) Introduction
par Michel
L’homme n’a choisi ni d’être vivant ni d’être
mortel. Où est la liberté là-dedans ? Et pourtant
vivre amène un homme à choisir, et c’est la mort, qui par
son mystère, porte l’interrogation du sens. Sommes-nous libres
et responsables devant ce paradigme de la précarité qu’est
la mort ? La mort nous fascine, parce qu’elle nous met devant l’ignorance
et l’impuissance de notre destinée. Elle trône dans nombre
de productions culturelles : la littérature, le cinéma, la
télévision etc., comme un point aveugle de butée qui ouvre
sur l’inconnu, la radicale altérité. La peur peut cacher
l’envie…
Il y a certainement une relation entre le désir et la mort. Tout désir
totalement satisfait serait mortifère : il n’y aurait plus
guère d’élan vital en jeu, puisque le manque qui nous fait
courir ferait alors défaut. Lacan appelle cette coïncidence fantasmée
du désir avec son objet la jouissance, déni de cette castration
qui nous ouvre au langage et au symbolique : ceux qui s’en approchent
sont dans la psychose.
Eros, la pulsion de vie, trouve toujours son contrepoint dans Thanatos, la pulsion
de mort.
La preuve, c’est la prise de risque, du risque mortel. Pourquoi ce goût
du risque, ces conduites à risques, notamment chez l’adolescent ;
ou dans les sports extrêmes, où l’on risque sa vie ?
L’instinct de conservation de notre animalité devrait nous rendre
prudent face au danger, alors que souvent nous le recherchons. Y a t-il de la
morbidité dans cette recherche : pourquoi jouer avec la mort, la
défier ? Qu’y gagne-t-on, alors qu’on peut tout perdre ?
Le kamikase, le héros, la grève sévère de la faim
mettent volontairement l’homme en danger. Le sado-masochisme prend plaisir
à souffrir, le fumeur continue malgré la maladie, le danger du
Sida n’évite pas les rapports dangereux. Comment expliquer ces
comportements apparemment curieux et irrationnels de l’homme, qui dispose
pourtant d’une potentialité réflexive ?
2) Synthèse
de la discussion par Françoise
Précarité et responsabilité à partir de quelques
exemples
Rappel de l’atelier précédent « notre responsabilité
devant une vie précaire ».
On ne choisit pas de naître. La vie nous est-elle donnée par nos
parents seuls, par Dieu ? La vie nous est-elle donnée, ou seulement prêtée
? La mort n’est pas choisie, mais les modalités de la mort peuvent-elles
l’être?
L’exemple des conduites à risques nous amène à réfléchir.
Pour les adolescents par exemple : jeu du foulard, drogues, jeux dangereux ;
mais aussi pour les adultes : sports extrêmes, tabagisme excessif…
Comment expliquer ces prises de risques qui semblent propre à l’espèce
humaine ?
Pourquoi l’homme prend-il des risques mortels en toute connaissance de
cause ?
Quelques idées sorties du débat :
- Dans le risque, c’est l’ignorance qui prévaut sur la connaissance.
L’homme est souvent inconscient des risques encourus, et cette inconscience
est entretenue politiquement.
- La mort fait peur. La prise de risque, c’est de se rapprocher le plus
possible d’elle, c’est flirter avec, jouer, braver cette inconnue.
Comme dans Le Petit Prince, qui essaye d’apprivoiser, de désamorcer
sa peur. Jouer à se faire peur pour se préparer à la grande
peur de la mort.
- Prendre des risques, c’est ne pas rester passif devant la mort. La « provoquer »,
c’est essayer de la maîtriser, de la regarder en face, peut-être
d’en triompher d’une certaine manière…
- On a besoin d’exister à travers des sensations fortes. Les conduites
à risques sont différentes chez l’adolescent et chez l’adulte.
L’adolescent aime braver l’interdit, c’est un défi
identitaire.
On se confronte à la mort parce qu’on veut vivre intensément
(la fureur de vivre). Pour se sentir vivant, on prend des risques. Braver la
mort alimente le fantasme de toute puissance.On se prend pour Dieu, on est éternel !
L’ado se sent immortel, il a besoin de se confronter à des limites.
Pour certains jeunes des banlieues, « je casse, donc je suis ».
Est-on dans ce cas libre?
- On peut vouloir s’interdire de penser. Dans la souffrance, il peut y
avoir une jouissance, au sens psychanalytique. Comment expliquer cette jouissance
dans la morbidité ?
- Le kamikase et le héros mettent leur vie en péril consciemment.
Mais le kamikaze est-il vraiment libre ? Dans toute servitude, il y a une jouissance.
Pour certains, il est manipulé par un commanditaire responsable, et qui
nie la valeur humaine, alors que le héros lui choisirait. Mais le kamikaze
est un héros pour sa famille, sa communauté. Certains pensent
que même si le kamikase est conditionné, il y a en lui comme en
tout homme une part de liberté.
- On peut distinguer plusieurs cas de prises de risques : risques calculés
et réfléchis de J. L. Etienne, de Bombard, du pilote d’essai
; risques non réfléchis dans le « jeu »
du foulard qui étrangle, de la contamination par le sida, risques par
ignorance. Y a-t-il plus de liberté dans le risque calculé et
conscient que dans le risque inconscient ?
- Le risque est une forme d’apprentissage de la vie. On recherche ses
limites sans penser forcement à la mort !
- Y a-t-il une responsabilité de l’homme devant sa propre mort
?
- On ne peut pas mettre sur le même plan le héros, le kamikaze,
les activités comportant un risque calculé, les addictions (alcool,
tabac), qui privent l’individu de sa liberté. Boire pour se désinhiber,
oser prendre la parole en public, ce n’est pas du même ordre que
le kamikaze.
- L’homme, comme l’a montré Freud, est porteur de la pulsion
de vie mais aussi de la pulsion de mort. L’adolescent prend des risques
avec le jeu du foulard parce qu’il n’y a plus de rites de passage.
Les rites de passage permettaient aux adolescents d’accéder au
statut d’adulte. Est-ce que Thanatos serait alors conjuré. Est-ce
l’instinct de mort qui explique les conduites à risque ?
- Le jeu avec la mort aurait quelque chose à voir avec la castration,
dont le fait de se savoir mortel est un des aspects. Pratiquer des jeux dangereux,
des actes héroïques, c’est toucher la limite entre la condition
de mortel et l’accès à un rêve d’immortalité.
Les rites d’initiation consistent à faire passer le jeune par ce
moment crucial d’où il devrait revenir instruit sur l’existence
des limites. Être adulte c’est peut-être assumer la castration.
- L’homme est constitué d’un manque à être qui
à l’origine de son désir. La mort est une impossibilité
à penser et à vivre, d’où l’élaboration
de stratégies de déni ou de jouissance pour combler ce manque
Notre intérêt n’est-il pas de ne pas savoir le manque ?
- Il y a toujours du manque, on ne peut pas être tout ! Le déni
de la mort peut-il engendrer le suicide ?
- On voudrait apprivoiser, jouir, pour faire l’expérience, au-delà
de l’interdit, de l’impossible.
- L’adolescent est-il vraiment conscient qu’il frôle la mort
? Est-ce un défi ? Est-ce de la jouissance ? Il ne peut y avoir de réflexion,
et de responsabilité, que lorsqu’il y a conscience.
- La conduite à risque est comme une ordalie : on veut se prouver
qu’on est quelqu’un qui n’est pas quelconque, qu’on
est choisi, qu’on laissera trace par l’exploit. C’est comme
un rite d’initiation, qui manque cruellement aujourd’hui, et qui
en tient lieu.
- Est-ce que je suis toujours conscient quand je pollue ? C’est une
conduite à risque. Mais il y a de plus en plus une conscience écologique.
Il pourrait y avoir un instinct de mort au niveau de l’espèce humaine.
On sait, mais on continue… Les nantis milliardaires pensent-ils au futur
de leurs petits enfants ? Accumuler pour eux, c’est une façon
d’éloigner la mort.
- Mais les pollueurs, c’est chacun d’entre nous, qui doit repenser
sa conduite. On est responsable de notre survie et de celle des autres, on doit
gérer la précarité de tous. La responsabilité est
individuelle et collective.
3) Ecriture d’un aphorisme (5’)
4) Lecture des textes (10’)
5) Régulation et planification des prochaines séances (10’)
Il est décidé de continuer sur le thème traité en
insistant sur la responsabilité et la culpabilité face à
la précarité de la vie humaine.
Le sujet sera écrit au tableau pour être vu de tous.
Annexes
Aphorismes de quelques participants
- La mort est cet impossible à vivre et à penser qui nous donne
paradoxalement le goût d’exister.
- Donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne
peux changer, la mort ;
le courage de changer ce que je peux changer, la vie ;
la sagesse de faire la différence.
- Être ou ne pas être jusqu’au bout, s’autoriser ou
non ?
- La mort n’est pas un choix. Elle ne fait vivre que par la peur qu’elle
m’inflige, la peur de l’inconnu.
- L’homme n’est pas libre devant sa propre mort.
- On n’est pas libre devant la mort. La vie peut nous apprendre la liberté.
- Instinct de vie, instinct de mort, mon cœur balance…
- A l’adolescence, les jeunes se confrontent à la perspective d’un
monde réel, précaire. Ils n’y sont pas préparés,
nourris de jeux vidéos, vivant leur vie par procuration dans un monde
déréalisé qui ne connaît pas la précarité,
et où la mort virtuelle est banale et provisoire. Passage brutal du virtuel
au réel, et panique : suicides, violence, comportements dangereux,
« adulescence » (De singly) des adultes qui refusent de
grandir…
Françoise
Texte sur Liberté
et responsabilité / Précarité
Nous avons réfléchi sur cette question à partir du cas
particulier des conduites à risques. Il est à remarquer que si
l’homme est sans doute le seul être vivant à avoir la connaissance
de sa précarité et de sa finitude, il est aussi le seul à
mettre sciemment sa vie en danger. Dans ces moments là, il n’est
plus comme tout autre animal, guidé par l’instinct de survie qui
lui ferait au contraire éviter le risque. Alors cherche-t-il à
vivre ou à mourir ? Sait-il ce qu’il cherche ? Ce sont des conduites
irrationnelles bien que très fréquentes, qui doivent avoir des
ressorts inconscients.
Si c’est moi qui provoque ma précarité, j’en suis
acteur, auteur même et d’une certaine manière je la maîtrise,
je ne reste pas dans la crainte et la passivité. J’affirme à
la fois ma liberté et mon courage devant la mort. J’escompte de
cela un supplément d’être, un supplément d’intensité
de vie. Ce n’est pas du quitte ou double mais la mort ou l’exaltation.
Le jeu de la roulette russe sous ses innombrables déclinaisons est une
façon de se mettre sur le terrain des Dieux, eux qui décident
de la vie et de la mort des vivants, eux qui comme on se les représente
ne sont concernés ni par leur propre mort, ni par le manque : immortels
et tout puissants ! Jouer à la roulette russe, c’est participer
un court instant de cela, et le prix immense à payer est l’éventualité
de ne pas en revenir.
Cette expérience là est nommée pas les psychanalystes « jouissance »,
du moins illusion de la jouissance, illusion de l’abolition de cette castration,
de ce manque qui est la marque de la condition humaine.
Les rites de passage décrits dans les sociétés traditionnelles
et disparus sous leur forme instituée dans nos sociétés
sont une expérience souvent marquée par la souffrance, la peur
et l’inscription dans le corps (scarifications, tatouages). Ils conditionnent
l’accès au statut d’adulte qui devrait se caractériser
par un plus grand sentiment de responsabilité, une juste évaluation
des risques, la prise en compte de la précarité de l’existence
et enfin la capacité de jouer plus librement dans et avec les limites
de l’humaine condition.
Si les conduites à risques sont parfois décrites comme des équivalents
des rites de passage socialement institués, elles ne débouchent
pas toujours sur cette heureuse issue, car le risque y est souvent inconsidéré.
Et même si l’accident n’est pas au bout, elles restent une
démarche individuelle qui n’a pas la vertu de faire entrer dans
la communauté des humains, qui se savent limités mais aussi responsables
de leurs actes.
Marcelle