Philosophie politique

Notions ŽlŽmentaires de la philosophie politique du temps prŽsent et propositions de rŽflexions sur le pouvoir et la philosophie de lÕhistoire

Cours de Licence de droit

Dominique Sistach

 

 

La philosophie politique, bien que discipline acadŽmique, est une rencontre assez curieuse, quoique inŽvitable, de la chose pensŽe et des formes du pouvoir. La notion de pouvoir est ˆ comprendre dans son sens le plus commun et le plus gŽnŽral, qui dŽpasse ainsi les seules questions de lÕautoritŽ, de la compŽtence, des stratŽgies, des institutions, mais qui intgre Žgalement le dŽsir, la jouissance, lÕavoir[1].

La philosophie est cette pratique rŽcurrente et universelle, qui consiste ˆ penser lÕaction, ˆ prendre recul, et par lÕexercice de la pensŽe, du langage et de lՎcrit, ˆ discerner les comportements, les actes et les mots, lÕorigine, les moyens et toutes fins, jusquՈ discerner lÕinvisible, ce qui nÕappara”t pas ˆ lÕĻil mais ˆ lÕesprit. En ce sens toute philosophie est critique. La politique rŽvle une mme rŽcurrence historique, puisque dans toutes civilisations connaissant le dŽveloppement du pouvoir, soit actuellement, plus de neuf communautŽs sur dix, la politique est apparue ˆ la masse occidentocentriste comme le qualificatif, et le dŽnominatif commun des structures de commandement de domination collective, puis de domination instituŽe de lÕhomme sur lÕhomme (la politique occidentale, et par voie de consŽquence le principe de la norme impŽrative, impose lՎpistŽm dominante de la science politique contemporaine ; la politique se rŽvŽlant plus justement ˆ sa marge anthropologique comme un lieu de partage inversŽ du politique : Ē Dans les sociŽtŽs ˆ ƒtat, la parole est le droit du pouvoir, dans les sociŽtŽs sans ƒtat, au contraire, la parole est le devoir du pouvoir. Č[2]).

La philosophie et la politique ont ainsi ce point commun que de consister dans ce dŽtachement de lÕintellect sur lÕaction humaine, et tout particulirement, cette rŽflexion sur lÕordre du pouvoir. LÕune et lÕautre sont sŽparŽs, rendus autonomes, mais ainsi forcŽment liŽs, tenus lÕune ˆ lÕautre, par un systme logique et stratŽgique qui permet de rendre leurs rapports homognes.

La philosophie politique est ainsi avant tout une construction dialectique extrmement importante[3]. La philosophie produit textuellement la politique, alors que la politique conditionne, soumet la philosophie. Par ailleurs, la et le politique se lŽgitiment par la prŽsence rassurante du philosophe, et plus de la philosophie, alors que la philosophie dŽfait et reconstruit le et la politique.

La philosophie impose une rŽflexion critique qui permet la constitution dÕune recherche globale sur le sens humain, et notamment par la soumission de ce sens aux relations dÕaltŽritŽ et dÕhostilitŽ communes, des relations sociales et des relations de pouvoir. La politique est une rŽflexion situationnelle de lՎtat des relations de pouvoir, ˆ un moment donnŽ, et ˆ un endroit donnŽ. La premire est un instrument dÕintellectualisation critique de lÕaction de lÕhomme, la seconde est un instrument dÕintellectualisation positif de lÕaction de commandement, dans et hors de lՃtat, du cadre organique de la sociŽtŽ, et de lՎtablissement statutaire des relations sociales.

La premire est une extŽriorisation rŽflexive (la pensŽe interne sÕextravertie, sort du penseur par le langage o lՎcrit, en ce sens la philosophie, est une humanitŽ), la seconde est une fixitŽ rŽflexive (le pouvoir, et son organisation, en dŽpassant le cadre originel de la violence, de lÕaltŽritŽ et des r”tes, se fige dans un territoire-ƒtat, -la citŽ-, un domaine Šune discipline-, dans des rgles Šle droit-, et dans des pratiques, -une culture et des habitus-). La premire signifie la libre communication, la seconde lÕenferment conceptuel et pratique, la science et le droit, pour retrouver les ŽpistŽms dominantes dŽfinies par Lyotard et par Latour[4].

Ces deux termes entretiennent des rapports complexes, puisquÕils confluent sur lÕensemble de leurs dŽterminants, tout en refluant sur leur principal axe, au point de reprŽsenter un vŽritable antagonisme, une vŽritable asymŽtrie, un vrai conflit. Philosophie et politique sont ainsi en assemblance et simultanŽment en dissemblance. La philosophie peut ainsi dŽcrire la politique, autant quÕelle peut la changer (Platon, Aristote, CicŽron chez les classiques, Spinoza, Fergusson, Hegel, Kant, Marx chez les modernes, et jÕaime ˆ penser que les principes centraux de Levinas, de Morin, de Serres et surtout de Derrida aient une quelconque influence sur la politique contemporaine future).

 

Nous le constatons, philosophie et politique sont deux cadres de qualification de lÕhumain pensant (cf. Pascal), soit qui lui permet de se penser comme tel, selon un protocole dÕidentification de lui dans lÕordre du cosmos (Descartes face ˆ sa glace en est une reprŽsentation prototypique). LÕhomme conscient est ainsi conscient de ses besoins dÕorganiser ses contingences.

Philosophie et politique se compltent Žgalement, puisque le cadre dÕinterprŽtation et de rŽflexion philosophique permet de penser le politique (les questions relevant de la communautŽ, de son organisation, de la dŽvolution du pouvoir politique et Žconomique instituŽ) et la politique (les questions relevant de la stratŽgie pour sÕaccaparer les pouvoirs et pour lÕorganiser).

Il convient de relever quÕil existe une pensŽe Ē occidentale Č commune, mais non hiŽrarchisŽe historiquement, qui sÕest dŽveloppŽe autour dÕune recherche de dŽfinition et dÕorganisation du concept politique. Le terme, son objet et son usage sont grec et romain[5]. Bien entendu, cette origine du terme ne doit pas nous faire croire, comme le lieu commun lÕimpose, ou certains factieux lÕaffirment, que cette origine pourrait sÕassocier par une quelconque hŽrŽditŽ continue. La seule hŽrŽditŽ est philosophique, cÕest celle dÕidŽes transmises par Žcrit, puisque nous ne Ē descendons Č des grecs et des romains que de par leurs idŽes Žcrites, et reproduites jusquՈ nous (que savons nous dÕAristote ou dÕHŽraclite, si ce nÕest, ce que le temps nous a laissŽ ˆ lire de leurs Žcrits en fragments[6]). Notre hŽrŽditŽ politique dŽbute en effet plus que probablement aux barbares, qui ont permis lÕeffondrement de lÕEmpire romain. Cette historicitŽ troublŽe que montre si bien lÕhistoire du droit, toujours fondŽe, lŽgitimŽe, retrouvŽe de lÕhistoire du droit romain, tout en prenant cas, de prŽsenter comme dissŽminŽ, sans cohŽrence, lÕhistoire des droits coutumiers, de la division sociologique et institutionnelle, territoriale et politique du droit des barbares.

LÕoccident se constitue politiquement sur la base dÕun texte qui Ē sÕhistorise Č et dÕune histoire qui se textualise. Ė la Renaissance, la transformation du monde est une transformation de notre regard sur lÕhistoire, le moment de la dŽcouverte des textes anciens, le moment o lÕhistoire du politique sÕutilise ˆ lÕinverse, pour que le politique produise lÕhistoire, et confondent tous les temps (au sens o ils sÕassimilent, sÕunifient, et Žgalement, au sens, o ils sÕopposent, se distinguent, se sŽparent). Rena”tre ainsi[7], comme lՎnonce Norbert ƒlias, Ē notre propre vision familire, notre propre image de lÕhomme ne sont apparues quÕassez tardivement dans lÕhistoire de lÕhumanitŽ, dÕabord lentement et pour une brve pŽriode dans des cercles restreints des sociŽtŽs de lÕAntiquitŽ, puis de nouveau ˆ partir de la pŽriode que lÕon a appelŽe la Renaissance (fin XIVe Š dŽbut XVIIe s.), dans les sociŽtŽs occidentales. Č[8] Le changement opŽrŽ dans les langages dominants, dans la mutation des ŽpistŽms, le montrent : de la mathesis (algbre) en taxinomia (histoire naturelle et grammaire)[9], le langage logique, la norme devenaient des langages dÕintŽgration de la connaissance et des langages de prŽsentation de la connaissance, un savoir et une parole. Ou pour prendre les mots dÕHermann Broch, Ē Aussi bruyante que fut cette Žpoque, un premier souffle de silence Žtait passŽ sur le monde : muette est la langue mathŽmatique de la science moderne, muette lÕexpŽrience mystique de Dieu ˆ laquelle renvoie le protestantisme. Ainsi sՎtait ŽveillŽe la langue muette de lÕimmŽdiatetŽ, qui ne fait que montrer et ignore la dŽduction dialectique, ainsi la langue de Dieu avaient commencŽ de se retirer devant la langue des choses Č[10].

Ė sa naissance, lÕhistoire est, et se raconte comme une histoire connue[11], aboutie[12], mais qui sÕachve, qui sÕinterrompt, presque dans un temps ultime o le temps est en suspens, et repart. Ce pas dÕhŽsitation de lÕhistoire, nÕest que la gestation dÕun monde qui se construit, dÕun texte du monde qui sՎchafaude, mais qui se ruine, rongŽ par les propriŽtŽs mme de ce qui faisait la puissance antique (la guerre, lÕesclavage, leur connaissance)[13]. Cette histoire reconnue comme Žtant le premier temps dÕune des civilisations majeures de notre temps connu, est pourtant une Žtrange histoire (soit comme une histoire qui sՎloigne, le mot originaire est sÕestranger, sՎloigner, soit comme une histoire qui revient, inaugurant la relation dialectique premire de lÕhistoire).

La rŽflexion de lÕhomme sur lui, lÕamne ˆ se reconsidŽrer. Sa rŽflexion historique est ainsi une mise en boucle, un retour sur soi, une rŽvolution, qui fait quÕil ne peut trouver dÕautres structures que celle des cycles, que dans la reproduction, que dans le simulacre, que dans la ressemblance et que dans la rŽpŽtition, pour retrouver lˆ encore les horizons de Foucault et de Deleuze.

LÕeffondrement de lÕantiquitŽ est une rupture ŽvŽnementielle, mais cÕest Žgalement une rupture initiatrice de lÕhistoire ˆ venir, une blessure ineffaable. Cette rupture plonge les territoires et les peuples dans le chaos de la guerre, de la dŽsunion de toutes les forces constituŽes par les citŽs et par les Empires. Le rve, la folie rationnelle de lÕEmpire romain, sÕeffondre de lÕintŽrieur et de lÕextŽrieur (logique qui hante Hegel), par une dŽmultiplication de crises entrelacŽs : crises du politique (du territoire et des conflits internes et externes), crise sociale, crise Žconomique, crise juridique, crise historique, crise technologique, crise esthŽtique, la crise est romaine par essence, elle est, comme lÕindique sa double Žtymologie latino-grecque, rupture du temps ˆ venir, tout comme elle est transition, mutation, redŽcoupage du temps prŽsent. LÕanalogie est alors Žvidente, lÕhistoire en vie sÕest dŽveloppŽe par analogie au corps, et ˆ sa durŽe de vie, quantifiŽe par le vivant et limitŽe par la mort. La fin de lÕhistoire nÕest pas un concept moderne, au sens o certains lÕentendent[14], cÕest une trace mythologique, un souvenir perdu de lÕantiquitŽ.

La crise de lÕinstitution premire de lÕoccident mythologique est ainsi un effroi et une dŽsorganisation. LÕeffroi consiste dans la dŽcouverte de la puissance, quÕils camouflent juridiquement dans lÕordre du politique, du dŽbat et des conflits. Cette puissance consiste justement ˆ la capacitŽ de pouvoir rompre, de pouvoir dŽcider, de la vie comme de la mort, de lÕhistoire comme du temps.

Ce graal est ainsi fait. Sa prise de conscience historique a amenŽ immŽdiatement la confusion, la dŽsagrŽgation de la construction romaine, la dŽcadence[15], la fin de leur temps, un temps dŽsormais en ruine (la dŽcadence, du latin decadentia, est un terme dŽconstruit par ces analogies puisque ˆ lÕorigine il signifie ce qui tombe dÕun b‰timent ; ce sens premier ayant ŽtŽ abandonnŽ pour illustrer des situations figuratives. Le terme de dŽcadence est alors utilisŽ pour la dŽchŽance du corps et de lÕesprit, pour tre par suite, rŽutilisŽ ˆ partir de la fin de lÕantiquitŽ par les potes de la dŽcadence romaine, comme lՎnonciation esthŽtique de la fin). Ce temps en ruine ne fut pas celui des romains, mais il est le mot et lÕiconologie de notre croyance en un dŽbut de la fin.

Cette mise en perspective montre comment ce temps premier mute au contact de notre mŽmoire historique du langage, ce temps de gestation comme Žtant construit sur une rupture, qui nÕest pas sans rappeler le premier stade de lÕenfance, par la dŽcouverte de la sexualitŽ, se retour ˆ soi, ˆ son origine premire, revient en occident ˆ lՎpoque moderne comme lÕangoisse de cette disparition[16].

ImmŽdiatement, ce nÕest pas une image quÕil faut trouver ; cÕest un son, une vibration, une sorte de transe de lÕhistoire blanche (Ē Comme le fer rougi ˆ blanc on peut dire que tout ce qui est excessif est blanc Č[17]). Force est de constater, que nous reproduisons les schmes de lÕhistoire antique comme un rŽfŽrent civilisateur de lÕhomme, pour lui-mme, mais aussi, et souvent simultanŽment, comme un rŽfŽrent de la dŽchŽance, de la fin, de lÕerreur, comme une nouvelle Babylone. LÕhistoire politique reproduit cette alternance, ce besoin, que lÕaccŽlŽration du temps prŽsent ramne ˆ quelques mois, dans des exigences de consommation et de destruction du politique particulirement singulires ˆ lÕanalyse ; le polemos lÕemportant dŽfinitivement sur la polis.

 

La difficultŽ de lÕanalyse rŽside ainsi ˆ aborder notre thŽmatique selon une conception historique nuancŽe, quant au rapport que nous entretenons avec une origine commune occidentale, qui est ˆ proprement parlŽ, un des mythes contemporains les plus enracinŽs en Europe (lÕUnion EuropŽenne achve ce processus mythologique en lÕinstitutionnalisant, mme si selon un temps rŽcent, cÕest le reflet de lÕAmŽrique qui a constituŽ la premire rŽfŽrence contemporaine de lÕUnion. Le temps de rŽfŽrence historique est alors dŽterritorialisŽ et raccourci).

Le XXe sicle ayant ŽtŽ une des durŽes de lÕhistoire humaine o lÕaccŽlŽration du temps des hommes sՎtant accrue ˆ son optimum[18], lÕhomme historique (lÕhomme qui sÕidentifie ˆ sa propre histoire, et ˆ de multiples histoires collectives et rŽfŽrentielles, cf., la mythologie, la famille, les religions la nation, les groupes et les genres dÕappartenance, les identitŽs, les histoires inventŽes et reproduites, le roman, le cinŽma[19], etc.)[20], ne peut dÕailleurs plus croire ˆ cette interrogation anthropologique, que dans le cadre dÕune idŽologie politique et historique partisane (lÕorigine historique commune euro-franaise qui dŽclare que les valeurs occidentales Ē descendent Č de la philosophie grecque et du droit romain). Pour lÕessentiel, lÕhomme contemporain fonde la politique sur les faits produits par le commandement instituŽ, ceci inscrit comme une fatalitŽ incommensurable de lÕhistoire des hommes modernes. Son histoire mythologique constitue une trace, un spectre pour reprendre la typologie de Jacques Derrida[21], une hypothŽtique et lointaine origine qui revient dans le mystre et le repli des mots du temps prŽsent[22], dans ces autres fant™mes qui sÕaccumulent Žgalement[23], qui ne lui sert que trs peu, pour comprendre une Žpoque sur-dynamisŽe, o lÕordre politique est mondial, Žconomique, Žtatique, structurel, sociologique, biologique, Žthique et historique, et se nominalise dans lÕordre du concret comme nous le montre si justement Alain Badiou[24]. Aussi souvent, notre philosophie politique sera ŽclairŽe par la philosophie de lÕhistoire benjamienne, qui permet de comprendre et de montrer la discontinuitŽ, lÕoubli, la rŽsurrection, lÕusage sŽlectif de lÕhistoire comme la reproduction dÕune conscience thŽorique et politique nouvelle[25].

 

La philosophie politique est ainsi une discipline centrale pour Žtayer une description de lÕordre contemporain du pouvoir, pour le comprendre littŽralement, et pour lÕinfluencer, au sens le plus classique de la philosophie grecque. Bien entendu, notre domaine dՎtude ˆ malgrŽ tout ceci de particulier quÕil est interfŽrŽ par des disciplines concurrentes (sciences sociales et sciences humaines), quÕil est neutralisŽ par lÕautoritŽ de ceux qui dŽnigrent le savoir et la pensŽe, pour mieux contr™ler et imposer leurs thmes de prŽdilection (lՎpoque contemporaine est centrale en matire de lutte politique sur le savoir et contre le savoir. Les trois ŽpistŽms de Foucault sÕentrelaant dans un mouvement en torsade, pour reprendre une image lacanienne), quÕil est fragilisŽ par sa reprŽsentation affaiblie depuis la fin du second conflit mondial (la philosophie sÕest ŽchouŽ avec Dieu ˆ Auschwitz comme ˆ Hiroshima), quÕil est remis en cause, au point que beaucoup rŽcuseront leurs appartenances ˆ ce champ disciplinaire (cf. Hannah Arendt, Michel Foucault, Pierre Bourdieu, etc.).

 

La philosophie politique prŽsente semble ainsi figŽe. Passant dÕun c™tŽ littŽraire, avec lÕapparition dÕun grand nombre dÕessais ˆ cette dimension, ou certains philosophes sÕessayant ˆ ce genre, ce type de pensŽe philosophique est malgrŽ tout demeurŽ dans son champ propre (Tony NŽgri et Michael Hardt). La philosophie politique est ainsi comme toute pensŽe, du dedans, comme du dehors. Elle est ainsi au moins le fait de deux champs dominants : le champ des idŽes, des philosophes et du dŽbat, ainsi que le champ du pouvoir, champ du complexe, du cachŽ et de lÕapparence, sans vŽritable philosophie, si ce nÕest celle de possŽder, dÕaccaparer, de maintenir, dÕorganiser et dՐtre possŽdŽ par le pouvoir.

Il faut ainsi sÕavoir entretenir (comme on entretient un feu) une dialectique entre la connaissance des deux champs, puisque leur rencontre, leur entrecroisement mme, produit un troisime champ du savoir politique, dont nous verrons quÕil sÕagit pour lÕessentiel dÕun espace dogmatique, dÕune reprŽsentation, dÕun thŽ‰tre, dÕune illusion. Ce tŽlescopage ou cette mise en sinuositŽ des champs du discours et de lÕaction, obscurcit lÕobservation du politique, fixant toujours plus lÕordre instituŽ. Le politique sÕest ainsi, fort de ce troisime champ dialectique, dŽbarrassŽe de la philosophie et des philosophes, en introduisant la relativitŽ et le doute propre aux dŽbats dÕidŽes, dans la politique rŽelle, et en ramenant de la fixitŽ, des certitudes dans le statu quo permanent du discours et des dŽbats, dans un cadre que lÕon veut tre la dŽmocratie. Cette inversion fait que la politique sÕeffrite et se pŽrennise en lՎtat de ses ruines, alors que les idŽes politiques se durcissent et sՎtiolent, ruinŽes par leurs mŽconnaissances, de leurs rapports de savoir ˆ la multitude. La philosophie contemporaine dŽcimŽe, tant par manque de philosophe, que par dŽfaut de support communicationnel nouveau, ne trouve pas son espace et ses interlocuteurs. Au XXe sicle, seule la philosophie conue de son extŽrieur va dŽvelopper de nouveaux champs discursifs, que notre temps du XXIe sicle ne conna”t pas encore, mais qui ne pourront sommeiller trop longtemps.

 

Pour mener ˆ bien ce propos, la dŽmonstration sera essentiellement didactique. Il sÕagira de prŽsenter quelques auteurs dŽterminants, et ainsi les thmes les plus rŽcurrents de leurs Ļuvres, pour sÕappuyer sur leurs Ļuvres comme Robert Merton sÕappuyait sur des Žpaules de gŽants[26]. Le propos consistera ainsi, tel que Gilles Deleuze nous lÕa appris, ˆ utiliser un auteur tout en le trahissant, ˆ utiliser ses concepts sans adhŽrer ˆ toute sa doctrine, pour fuir lÕemprise de lÕhistoire de la philosophie. Cette dŽmarche nous permettra ˆ lÕissu de dŽvelopper une thŽmatique propre, pour mettre en exergue les auteurs et les usages nŽcessaires ˆ lÕinterprŽtation du politique contemporain.

 

 

 

I/ La philosophie politique contemporaine : temps, histoire, tre, avoir, langage et complexitŽ.

 

 

 

La philosophie politique de Martin Heidegger est bien entendu troublŽe par la personnalitŽ et lÕengagement personnel de lÕauteur. A lÕorigine, ˆ la publication de lÕouvrage Ē ętre et temps Č en 1927[27], Heidegger se propose de parler de lՐtre, de lՐtre-lˆ, le dasein, de lՐtre-dans-le-monde. Son propos est une recherche ontologique, soit de parler de lՐtre, avec une volontŽ de mettre en commun le destin de tous les tres. Souvent ramenŽe ˆ une seule lecture existentialiste (nous nÕavons pu lire que le premier livre concernant lÕhomme), Ē ętre et temps Č est amputŽ de son essence, soit le fait que lÕhomme existe parce quÕil est plongŽ dans le temps, seule rŽalitŽ du monde. Le temps heideggŽrien, nÕest pas le temps mŽcanique de lÕhorloge, ni le temps psychologique qui passe et Žchappe ˆ lÕhomme, ni le temps Žtablit par les lois de la physique. Le temps est ouverture. Ouverture vers ce qui nÕexiste par encore, vers lÕindŽterminŽ et donc vers la libertŽ. LÕhomme en tant que locataire du temps qui lui est imparti, est potentiellement un tre ouvert, abandonnŽ ˆ lui-mme, ouvert aux possibles, aptes ˆ sÕaccomplir. Heidegger dispose ainsi le malentendu humain, car la destinŽe des hommes ne peut conduire quՈ la disparition de lÕespoir, achevant ainsi le principe ontologique de la chrŽtientŽ : ni paradis, ni terre promise ne peuvent sÕoffrir ˆ lÕhomme dans le pige de son propre temps, de sa propre histoire. Principe central de la pensŽe de Heidegger, lՐtre ne peut se plonger que dans le nŽant, puisque le destin humain nÕaboutit ˆ rien, au vide. LÕouverture au monde nous confronte au nŽant sous les formes concrtes quÕil prend dans lÕexistence : lÕangoisse est une confrontation ˆ la mort, lÕennui est une confrontation au vide, la peur est une confrontation au danger. Voilˆ, selon Heidegger, le fondement de la peur de la libertŽ, qui fait que lÕhomme contemporain se rŽfugie dans son quotidien, comme dans lui-mme. La Ē dictature du on Č fait office et entra”ne une Ē vie inauthentique Č. Sartre dans Ē LՐtre et le nŽant Č, assimile lÕĻuvre de Heidegger, ˆ une ode existentielle ˆ la libertŽ de la condition humaine, alors que Bourdieu y voit les fondements dÕune ontologie politique nouvelle, une rŽvolution conservatrice qui renversera lÕAllemagne, ou encore, Theodor Adorno qui ironisera sur cette pensŽe ˆ vide, sur cette Ē fable de lՐtre arrachŽ ˆ lՎtant Č.

La pensŽe de Heidegger semble toutefois sՎgarer dans le systme hŽgŽlien, dans ce formidable instrument de dŽfinition de lÕinstant, de dŽfinition de lÕhistoire, qui permet simultanŽment dՎcrire le futur ; dÕutiliser ce systme comme matrice de lՎconomie politique globale. En ce sens, la pensŽe hŽgŽlienne est simultanŽment une philosophie de lÕhistoire et une philosophie politique. CÕest cette perfection systŽmique et philosophique qui illumine Heidegger (Tarde dit justement, sans imaginer lÕĻuvre heideggŽrienne : Ē Le systme hŽgŽlien peut-tre considŽrŽ comme le dernier mot de la philosophie de lՐtre. Č[28]), qui ne lui permet pas de dŽpasser la question et la thŽorie de lՐtre qui focalise la pensŽe occidentale depuis Aristote[29].

La philosophie, et pas exclusivement la philosophie politique, sÕest intŽgrŽe dans un mode interrogatif et rŽsolutoire autour de lÕhomme. Hors comme lÕimpose Marx ou comme le formalise Tarde, la question de lՐtre nÕest quÕun ŽlŽment de la philosophie. Hors, Ē Il nÕest rien (É) de plus clair que les deux idŽes de gain et de perte, dÕacquisition et de dŽpouillement, qui en tiennent lieu dans ce que jÕappellerais la philosophie de lÕAvoir, pour donner un nom ˆ ce qui nÕexiste pas encore. Č[30] Avec Tarde, la philosophie de lÕAvoir est un phŽnomne historique et cognitif ˆ lÕorigine de la production sociale : Ē QuÕest-ce que la sociŽtŽ ? On pourrait la dŽfinir ˆ notre point de vue : la possession rŽciproque, sous des formes extrmement variŽes, de tous par chacun. (É) Toute la philosophie sÕest fondŽe jusquÕici sur le verbe ętre, dont la dŽfinition semblait la pierre philosophale ˆ dŽcouvrir. On peut affirmer que, si elle ežt ŽtŽ fondŽe sur la verbe Avoir, bien des dŽbats stŽriles, bien des piŽtinements de lÕesprit sur place auraient ŽtŽ ŽvitŽs. Š De ce principe, je suis, impossible de dŽduire, malgrŽ toute la subtilitŽ du monde, nulle autre existence que la mienne ; de lˆ, la nŽgation de la rŽalitŽ extŽrieure. Mais dÕabord ce postulat ; Ē jÕai Č comme fait fondamental, lÕeu et lÕayant sont donnŽs ˆ la fois comme insŽparables Č[31]. Tarde par cette proposition dŽforme ˆ lÕextrme rŽalitŽ la proposition hobbesienne de la guerre de tous contre tous. La possession rŽciproque de tous par chacun devient la norme gŽnŽrale du politique, dans une sociŽtŽ dÕhomme aliŽnŽ ˆ cette possession, dans une sociŽtŽ politique contemporaine possŽdŽe. JÕai, jÕeu, et lÕayant dŽtermine lÕavoir, ce que je nÕai plus, ce que jÕai et lÕautre. La formulation de Tarde dŽmontre le processus de lÕavoir, de ce que nous qualifierions de nos jours de la dŽtermination de soi par sa possession, par ce qui possde, par ce que jÕai au sens le plus large, puis par ces deux propositions possibles, dÕavoir et de ne plus avoir, pour sÕouvrir sur lÕautre champ du possible, lÕautre, le tiers, celui qui a des droits, lÕayant-droit (les droits subjectifs sont ainsi fondamentalement des droits dÕavoir). En terme logique, nous avons lˆ un systme logique, fait de deux propositions possibles, dÕune tautologie et dÕune contradiction. Ce systme purement wittgensteinien est un cadre philosophique et scientifique qui me semble ˆ rŽexaminer, pour que la philosophie de lÕavoir permette de comprendre cet homme qui nÕest plus, mais qui a, de cet homme Ē spectralisŽ Č par sa possession. La pensŽe de Tarde est ainsi simultanŽment un contrepoint ˆ la pensŽe heideggŽrienne et un contrepoint ˆ la pensŽe marxiste, puisquÕelle dŽplace lÕontologie de lՐtre vers lÕavoir, tout en re-signifiant la perspective de la possession hors dÕune dimension ontologique, dans lÕhumain[32].

 

 

La philosophie politique de Ludwig Wittgenstein, parce quÕelle introduit une pensŽe critique du rationnel prŽŽtabli, parce quÕelle permet de reconsidŽrer la conception figŽe de lÕhŽgŽlianisme, dŽtermine la philologie nouvelle du XXme sicle. Pour reprendre les mots de Ludwig Wittgenstein, Ē toutes les propositions de la logique disent la mme chose, ˆ savoir rien.Č[33]. Elles ne sont pas dŽnuŽes de sens (unsinnig) mais simplement dŽnuŽes de contenu (sinnlos). Pour reprendre la pensŽe centrale de Ludwig Wittgenstein, il faut rŽaffirmer que les faits sont les ŽlŽments d'un espace logique, c'est-ˆ-dire du systme qui dŽtermine a priori toutes leurs relations logiques possibles. En se rŽfŽrant ˆ une pensŽe planŽtaire rŽelle, la pensŽe systŽmique permet de tenir compte de lÕinteraction du tout et des parties. Il est scientifiquement incorrect de dŽcouper des segments isolŽs et de raisonner en fonction de lignes prŽŽtablies, comme autant de prŽsupposŽs que lÕon pose dogmatiquement. La pensŽe complexe consiste alors ˆ relever lÕincohŽrence du monde universalisŽ dans un cosmos connu comme un dŽsordre humain. La raison humaine ne consiste pas ˆ faire entrer un carrŽ dans un cercle, mais ˆ relever la cohŽrence de lÕincohŽrence[34].

Wittgenstein aprs avoir totalement assimilŽ la philosophie au langage, cette dernire devenant lÕimage du monde (Ē Tractatus logico-philosophicus Č (1921) (analogie avec Saussure et Weber), produit avec son second ouvrage (Ē Investigations philosophiques Č[35] - 1929 -), une Ļuvre pragmatique, pour identifier les jeux du langage. Derrire ce descriptif o la dŽcision politique est traitŽ ˆ ŽgalitŽ de lÕhumour et de ses formulations, Wittgenstein dŽcrit la complexitŽ nouvelle de la philosophie, piŽgŽe dans les jeux du langage (Ē la philosophie est la lutte contre lÕensorcellement de notre entendement par les moyens du langage Č). La philosophie ne doit pas construire des thŽories mais proposer des descriptions de rgles de jeu du langage, pour sortir de cette impasse. La fin de la philosophie est un achvement des procŽdures du langage philosophique. Wittgenstein aura ainsi une influence considŽrable sur les scientifiques anglo-saxons, tel que John L. Austin, ou plus indirectement sur Pierre Bourdieu. A la mme Žpoque, Ernst Cassirer dŽveloppe en trois tomes, une philosophie des formes symboliques, par lesquels lÕhomme comprend le monde : le langage, la pensŽe mythique et la connaissance[36].

Aprs le tarissement philosophique inŽluctable que produit la philosophie premire de Wittgenstein, lÕun des axes centraux de la philosophie demeure Žgalement ce qui rappelle ou recouvre de lÕapproche par la psychŽ. Le cogito cartŽsien, la conscience, cette conscience de soi, comme une apprŽhension extŽrieure, et qui permet de dŽcrire son intŽrieur par reflet, est un moment clŽ de la perception de lÕhomme, ou serais-je dŽjˆ tentŽ de dire, quÕil sÕagit dÕune parole fondatrice de la civilisation. ƒlias dŽveloppe dans lÕouvrage, Ē La sociŽtŽ des individus Č[37], une gŽnŽalogie historique de la conscience de soi, de ce que lÕon qualifierait aujourdÕhui dÕintimitŽ[38], par contrepoint ˆ la conception classique et controversŽe de lÕintŽrioritŽ, quÕil fait dŽbuter ˆ lÕaxiome cartŽsien. Selon ƒlias, cÕest ˆ ce stade linguistique de la dŽcouverte de soi, que dŽbute historiquement le Ē processus de civilisation occidental Č[39]

Ainsi ce que nÕachve pas, ce que nՎpuise pas Wittgenstein, mme, dans le second temps de son Ļuvre, cÕest la question thŽorique, probablement centrale du rapport dialectique de lÕhomme ˆ tout, y compris ˆ lui-mme. Pierre Legendre lՎnonce trs clairement : Ē le langage est matrice, relation, synthse, mais aussi tension, entre la matŽrialitŽ du monde et le royaume, su et insu, de lÕimage. (É) Si le langage est mŽdiation, cela comporte que lÕinstauration de la signification rŽsulte dÕune dialectique entre lÕobjet entre lÕobjet matŽriel et lÕimage, dialectique qui aboutit ˆ sceller le rapport ˆ la chose en lÕenfermant sous un nom. Autant dire que par la dŽsignation lÕobjet se trouve identifiŽ par et ˆ un nom. De ce point de vue, le statut du signe linguistique relve dÕune problŽmatique de lÕidentification, allant jusquՈ lÕillusion que le mot puisse tre compris comme reflet de la chose. Immense affaire, qui alimente lÕinterrogation philosophique sur la relation inaugurŽe par le langage entre lÕhomme et la nature Č[40]

La Renaissance fut ainsi un moment de dŽdoublement, non par simple invention, par simple dŽcouverte de soi, mais parce que le langage devient la possibilitŽ de lÕexpression de soi, comme force dÕexpression sur la nature et contre les autres. Histoire sur soi, et pour soi, mais un soi contre la nature, un soi contre soi dans lÕespace du reflet, dans ce narcissisme, qui nous montre telle que lÕon est, mais ˆ lÕenvers, en nŽgatif, tel que nous ne voulons, potentiellement, tre ou ne pas tre ; la dialectique oubliŽe est celle de lÕespace, de lÕenvers comme de lÕendroit, de moi vers soi, et de ce soi inversŽ, vers moi, dans le cadre de cette mŽcanique de soi-mme, de son corps ˆ peine vue comme son inverse (la mutation de lÕespace se lit ainsi dans la comprŽhension de lÕespace reproduit. Comme Panofsky nous lÕa appris, lÕincrustation de miniature dans les textes, le fait que le texte ne se suffise plus ˆ lui, mais nŽcessite des enluminures, des mises en perspectives, introduit une prŽfiguration de lÕart pictural comme mise en profondeur du texte, comme instauration de Ē boites dÕespace Č, la logique de la perspective pour le travail pictural disparaissant, en retour, un autre espace se crŽant, un Ē espace-agrŽgat Č[41]) : la nature en tant quÕespace, et donc en tant que logique, est aspirŽe par ce modle dÕinversion qui dualise lÕespace dans son reflet, dans son inverse.

Le regard de lÕhomme en trois dimensions sÕefface derrire lÕimage dÕune logique ˆ deux dimensions. Le monde est encore plat. Seule la dialectique du rapport ˆ soi, du rapport au monde, permet de retrouver une architecture en trois temps, dans une simulation des trois dimensions de lÕespace. Le concept sauvegarde lÕĻil dŽformŽ par le temps binaire. La dialectique nÕest quÕune mŽmoire conceptuelle de ce que lÕon voit, mais que lÕon ne peut exprimer comme visible, comme dŽmontrable par un texte, par enfermement du savoir. Le monde demeure identique parce que fermŽ sur son inverse, verrouillŽ sur soi, verrouillŽ contre lÕautre, fermŽ par le texte, fermŽ par la rgle.

La raison cartŽsienne dŽtermine lÕespace par la force du langage ˆ se rŽflŽchir soi mme, ˆ se comparer ˆ lÕautre, ˆ sՎloigner de lÕautre, dans un espace codifiŽ par sa prŽsence. Cette nouvelle coupure fondatrice impose lÕhomme non plus comme citoyen, un sujet, un statut de reconnaissance par lՃtat, sociŽtŽ par excellence grŽco-romaine, mais comme homme, comme centralitŽ systŽmique, comme diffŽrence de lÕautre. LÕhistoire de lÕoccident rompt alors avec lÕhistoire antique, lÕhomme devient tel quÕil se conoit, son espace ne le produit plus, cÕest lui qui le fonde, qui le voit, qui le dŽcrit.

Renaissance terrible, obscur secret de lÕhomme qui se reproduit lui-mme comme une connaissance, par reconnaissance, par autoreproduction du sujet par et comme lui-mme, pour que lÕautre ne soit plus quÕune mŽconnaissance (le Ē rapport de mŽconnaissance o le mŽ- dŽsignerait non pas lÕabsence de connaissance, mais la connaissance performŽe par la mŽprise, la mŽsinterprŽtation, et donc obligŽe sans cesse de se dŽstructurer et restructurer, de se parfaire ˆ lÕinfini.  Č[42] La mŽconnaissance de lÕautre reprŽsente ainsi la dŽconstruction de soi comme un autre et non pas une dialectique de soi vers lÕautre).

 

La philosophie politique de Walter Benjamin est une rŽflexion de lÕaction politique. Elle consiste ˆ fixer le matŽrialisme historique comme une riposte au danger du politique, ˆ la menace des fascismes, ou comme une alternative au triomphalisme bourgeois, qui consiste toujours ˆ reproduire le pouvoir en une transmission hŽrŽditaire de biens capitalistiques et culturels, qui ne revtent les uns ou les autres que les caractŽristiques de la barbarie par lÕisolement et le refus de lÕautre.

Cette philosophie, matŽrielle mais poŽtique, a une dimension dynamisante, ŽlŽgiaque, active individuellement et rŽactive intimement. La philosophie de Benjamin, et notamment sa philosophie de lÕhistoire, est ainsi une tentative contemporaine rŽussie de dŽfinition du sens ˆ dŽterminer, et de la mŽthodologie ˆ appliquer pour faire ce peu (comme le dispose Benjamin ˆ lÕencontre du droit, une telle approche Žtant alors possible pour nÕimporte quel chose ou concept, Ē si lՎtalon que fournit le droit positif pour dŽterminer la lŽgitimitŽ de la violence ne peut sÕanalyser que selon sa signification, le domaine de son application ne peut tre critiquŽ que selon sa valeur. Pour cette critique il faut alors trouver un point de vue extŽrieur ˆ la philosophie du droit positif, mais tout aussi extŽrieur ˆ celle du droit naturel. On verra dans quelle mesure seule une considŽration du droit fondŽe sur la philosophie de lÕhistoire peut fournir un tel point de vue. Č[43] Une philosophie de lÕhistoire de Benjamin alors plus que justement montrŽe par Derrida comme une Ē mise en perspective archŽo-tŽleologique, voire archŽo-eschatologique qui dŽchiffre lÕhistoire du droit comme une dŽcadence depuis lÕorigine. LÕanalogie avec des schŽmas schmittiens ou heideggŽriens nÕa pas ˆ tre soulignŽe. (É) Il sÕagit toujours dÕesprit et de rŽvolution. Č[44]).

Aprs Benjamin, on sait que Hegel, ce hŽros, est en fait un fin stratge qui dissimule sa peur. Ce stratagme, cÕest la dialectique, lÕexplication du monde comme une boucle, qui fait que Ē Abstraitement considŽrŽe, la rationalitŽ consiste, de manire gŽnŽrale, en lÕunitŽ de compŽnŽtration de lÕuniversalitŽ et de la singularitŽ. Č[45]

La rŽflexivitŽ originaire, celle du mythe de narcisse, ou la rŽflexivitŽ cartŽsienne ne pose que les conditions positives de lՎnonciation du monde, que comme un autre soi-mme. La dialectique est plus complexe, car elle nÕest ni positive, ni duale : elle est un mouvement de lÕesprit qui est entra”nŽ par une causalitŽ logique. En introduisant la dialectique, nous rentrons dans une conceptualisation du monde, o lÕhomme dispara”t derrire la logique, la puissance du raisonnement. CÕest en ce sens o la dialectique est une rŽvolution du langage et de la pensŽe, qui sՎnonce comme puissance. Cette force du concept et de la logique, comme mouvement de la pensŽe, pose ainsi le conflit entre le positivisme dual de la rŽflexion, comme clŽ de lÕordonnancement du monde, et de la dialectique, comme autre clŽ possible, comme un systme ternaire en Žquilibre.

Bien entendu, le conflit nÕest quÕune concurrence habile. Notre Žtude montre comment les logiques positives rŽflexives se combinent et sÕentrelacent, pour reprendre la cŽlbre image lacanienne, avec les logiques conceptuelles dialectiques. Je serais tenter de dire de prime abord que cet entrelacement est tissŽ en apparence du maillage juridique instituŽ par la conceptualisation, produit de la dialectique hŽgŽlienne. Mais ˆ y regarder de plus prs, jusquÕau moindre capillaire, voire jusquՈ la frontire, lˆ o le dehors est visible, on constate que lÕentrelacement est complexe au point dÕappara”tre comme des infinitŽs possibles de rŽflexion.

 

A partir de lˆ lÕhomme, et nous le savons, surtout depuis la dŽcouverte de son langage comme une puissance, le dŽdoublement du monde ne pouvait quÕengendrer la conceptualisation dÕun monde dialectique, conceptuel, engendrŽ par la pensŽe, et le produit de trois divisions, en trois temps[46], un monde que Borges voit comme une dialectique de production de la vie de lÕhomme par le langage et le temps : Ē Le temps est la substance dont je suis fait. Le temps est une rivire qui mÕentra”ne avec elle, mais je suis la rivire ; cÕest le tigre qui me dŽtruit, mais je suis le tigre, cÕest un feu qui me consume, mais je suis le feu. Č[47]

 

CÕest lˆ aussi o ce situe la limite avec le champ freudien, central sur lÕensemble de ces questions, mais qui reste dans son champ thŽorique de la construction de lÕintime, et de sa dŽconstruction au contact du rŽel, comme une pathologie ˆ lÕhistoire dÕun homme, pour nÕintŽgrer que trs rarement la question du global, du collectif, de la multitude humaine[48].

 

Benjamin nÕest jamais aussi central, que par son style romantique, que parce que sa philosophie politique se colore dÕun messianisme, ultimes oripeaux dÕun marxisme maltraitŽ. Le romantisme de Benjamin, notamment dans le Ē Drame baroque allemand Č, laisse ˆ penser un indŽfectible lien entre pensŽes politiques et dramaturgie de lÕhistoire, de lÕHistoire, de son histoire[49] (LÕhistoire nÕest pas une suite dՎvnements, cÕest une catastrophe Ē qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines Č et qui est balayŽe par une Ē tempte que lÕon appelle le progrs Č. IX, p. 434). Cette combinaison, cet entrelacement, montre une philosophie de lÕhistoire faite dÕaffects (le courage), de chair (la souffrance), de pensŽes (la critique). A ce titre, et au-delˆ mme du destin de Benjamin, son romantisme politique est devenu une frontire de la souffrance et du courage. Sa critique et ses visions demeurent un modle politique et philosophique, dÕun homme perclus par un XIXme sicle en ab”me, et sublimŽ par un XXme sicle en rupture[50].

Le caractre de lÕimage historique est ainsi fulgurant et sÕoppose ˆ une image intemporelle que lÕhistoricisme cherche ˆ donner de la vŽritŽ historique. Benjamin Žvoque les mŽfaits dÕune confusion entre progrs technique et progrs de lÕhumanitŽ (confusion dont se rendent aussi coupables, selon, la social-dŽmocratie allemande et une grande partie de la pensŽe marxiste). Et il oppose la reprŽsentation dÕun temps linŽaire, homogne et vide ˆ la constellation entre un passŽ brusquement citable et un prŽsent qui se sent visŽ par lui (Benjamin dit : Ē Le chroniqueur, qui rapporte les ŽvŽnements sans distinguer entre les grands et les petits, fait droit ˆ cette vŽritŽ : que rien de ce qui eut jamais lieu nÕest perdu pour lÕhistoire. Certes, ce nÕest quՈ lÕhumanitŽ rŽdimŽe quՎchoit pleinement son passŽ. CÕest-ˆ-dire que pour elle seule son passŽ est devenu intŽgralement citable. Chacun des instants quÕelle a vŽcus devient une Ē citation ˆ lÕordre du jour Č - et ce jour est justement celui du jugement dernier Č, (III, p. 429).

 

 

La philosophie politique dÕAntonio Gramsci pose essentiellement le rapport de lÕhomme ˆ lÕhistoire et comparativement ˆ Benjamin, rompt avec la tradition romantique de la politique (il est en ce sens un philosophe du XXme sicle). Ē La nature de lÕhomme est lÕensemble des rapports sociaux qui dŽterminent une conscience historique dŽfinie : cette conscience sociale peut indiquer ce qui est " nature" ou "contre-nature". En outre, lÕensemble des rapports sociaux est contradictoire ˆ tout moment, sans cesse en Žvolution, si bien que la "nature"de lÕhomme nÕest pas homogne pour tous les hommes et tous les temps Č[51]. LÕhistoricisation de la rŽalitŽ humaine confre un sens prŽcis ˆ lÕobservation premire de Gramsci, ˆ savoir que lÕhomme est une crŽation historique, expression du rapport entre la volontŽ humaine, intŽgrŽe dans la superstructure, et la structure Žconomique. Cette particularitŽ de lÕĻuvre de Gramsci permet de dŽpasser le naturalisme humain et de dŽpasser la participation humaine comme une intuition et rŽel de lÕexistence sociale de Marx, et mme par anticipation et usage de lÕobservateur du temps prŽsent, sert ˆ dŽpasser le libŽralisme, dont on constate la gŽnŽalogie des idŽes (naturaliste, capitaliste et Žtatiste).

LÕhomme historique est lÕhomme historiquement dŽterminŽ et insŽrŽ dans le complexe des autres hommes[52]. Ē LÕhomme est sa propre histoire, son autocrŽation comme humanitŽ, et dans lÕhumanitŽ Č[53], et contre lÕhumanitŽ, serait-on tentŽ de dire, ˆ la vue des Žvolutions Žvnementielles et symboliques de lÕhistoire des formes de domination. Dans chaque individu, les ŽlŽments objectifs, purement individuels, sÕorganisent en un bloc historique et selon un rapport actif avec des ŽlŽments objectifs de masse, au Ē rapport le plus ample embrassant le genre humain Č[54]. Gramsci dŽtermine ainsi une dialectique politique entendue comme une gigantomachie du lien politique. Au-delˆ du pouvoir, et de ces questions fondamentales, au-delˆ de la lŽgitimitŽ, et des rŽponses essentielles que lÕon conna”t, Gramsci dŽcrit lÕindustrieuse machine politique, lÕindŽfinissable lien constituant et simultanŽment conceptuel de la politique et du politique. Il pŽntre ainsi le secret, bien gardŽ jusque lˆ par Kant, dÕune histoire Žthiquement nietzschŽenne : Ē On peut dire que la nature humaine, cÕest lÕhistoire(et en ce sens que cÕest lÕesprit, moyennant lՎquivalence : histoire=esprit, si prŽcisŽment nous donnons ˆ histoire la signification de devenir) dans une concordia discors qui ne part pas de lÕunitŽ, mais qui porte en elle les raisons dÕune unitŽ possible ; ds lors, la nature humaine ne peut tre retrouvŽe en aucun homme en particulier, mais dans toute lÕhistoire du genre humain (É) tandis que dans chaque individu se trouvent les caractres mis en relief par les contradictions avec les autres Č[55].

 

CÕest selon ses engagements et ses dŽterminants que Gramsci dŽlimite lÕaction critique, prŽalable ˆ toute forme de pŽdagogie (thme central de son action rŽvolutionnaire contre la paupŽrisation du capital) : Ē Une philosophie de la praxis ne peut commencer que par une attitude polŽmique et critique pour dŽpasser le mode antŽrieur et le mode actuel de pensŽe (celui du monde culturel environnant). Elle entreprend la critique du Ē sens commun Č (aprs fait appel ˆ cette dernire pour montrer que tous sont des philosophes), car il ne sÕagit pas dÕintroduire une science dans la vie actuelle de tous, mais plut™t de renouveler, de rendre plus Ē critique Č la vie prŽsente ; la critique Žgalement de la philosophie des intellectuels qui a instaurŽ une histoire de la philosophie telle que lÕindividu particulirement douŽ apparaissait comme la pointe avancŽe des Žlites cultivŽes, et ces dernires, lՎmergence du bon sens populaire Č[56].

 

La philosophie politique dÕHannah Arendt[57] correspond ˆ une analyse nŽgative de la modernitŽ. LÕactivitŽ humaine selon la philosophie peut tre pensŽe ˆ partir de trois catŽgories : le travail, lÕaction et lÕĻuvre. Le travail rŽpond ˆ nos besoins biologiques et marque notre dŽpendance ˆ lՎgard des nŽcessitŽs naturelles. LÕĻuvre est la fabrication dÕobjets utilitaires ou artistiques, lÕhomme crŽant un monde artificiel fait dÕobjets. Mais seule lÕaction, pensŽe comme agir politique, met en rapport directement les hommes. Telle que lՎnonce Arendt, dans Ē La condition de lÕhomme moderne Č (1958), lՎpoque moderne se caractŽrise par une prŽdominance du travail au dŽtriment de lÕĻuvre et de lÕaction. La vie humaine se rŽduit de plus en plus de ce fait ˆ la consommation et au travail tandis la politique devient bureaucratique et gestionnaire. Hannah Arendt, par son apprŽhension critique du fascisme, dans Ē Les origines du totalitarisme Č (1951) introduira une pensŽe politique critique novatrice mais simultanŽment conservatrice. Le totalitarisme est une nouvelle catŽgorie politique, dŽcoulant dÕune logique capitaliste dՃtat, tant dans le cas du nazisme que du stalinisme. En second, elle dŽcrit lÕemprise de lÕantisŽmitisme comme le second pivot vital aux ƒtats totalitaires, tant pour des raisons Žconomiques (accaparer leur richesse) que pour des facteurs symboliques de la biologie du corps social correspondant aux nŽcessitŽs historiques de dŽpasser le fonctionnement colonial, et donc territorial, des ƒtats-nations europŽens.

Chez Arendt, lÕhomme nÕest rien (tant celui qui est pourchassŽ et tuŽ que celui qui pourchasse et tue), il est devenu superflu, dans le cadre sociŽtal du totalitarisme dՃtat, vŽritable modle de lÕutilitarisme politique extrme. Sa philosophie politique devient ainsi sous lÕemprise de son temps, et de ses angoisses, une philosophie critique de lÕordre politique et social constituŽ (Ē Hobbes est en effet le seul grand philosophe que la bourgeoisie puisse revendiquer ˆ juste titre comme exclusivement sien, mme si la classe bourgeoise a mis longtemps ˆ reconna”tre ses principes Č), tout comme une philosophie de la barbarie ordinaire, comme le montrera si justement dans son commentaire fameux du Procs Eichmann. CÕest notamment dans ce texte o il montre le mieux son impuissance politique, et ainsi son Žternel retour au conservatisme, ˆ la question du tri subjectif de lÕhistoire par le sachant. Arendt sՎchoue, au double sens du terme, sur le brise-lame de lՎthique. Femme du XXme sicle et peut tre mme du XXIme sicle, elle ne peut renouer avec lÕhŽritage kantien, avec cet hŽritage par trop occidental peut-tre, qui fait que lÕon ne peut prŽserver un espoir ˆ construire un homme structurŽ par sa conscience de la justice. Arendt est alors par trop singulire, trop cosmopolite, trop ˆ contre-pied de tous, pour vouloir saisir cet espoir qui nÕa de sens que pour une philosophie sŽdentaire et figŽe. Elle se rŽfugie alors dans lÕhistoire pour justifier de son analyse, en faisant preuve dÕune rigueur quasi marxiste de son objet de dŽmonstration.

 

 

La philosophie politique de JŸrgen Habermas sÕinscrit dans le cadre de la poursuite du travail dŽbutŽ dans lÕentre-deux guerres, par lՎcole de Francfort (Horkheimer, Adorno, Marcuse, etc.). Habermas impose avant tout la prŽsentation de thses post marxistes, tentant de rŽadapter le discours de Marx selon lՎvolution des modes de contraintes. Dans Ē LÕespace public Č (1962)[58], il montre comment au XVIIIme sicle sÕest constituŽ un espace de discussion rationnelle, indŽpendant des pouvoirs, gr‰ce au dŽveloppement des Žchanges marchands, ˆ la montŽe des pouvoirs du Parlement et ˆ lՎmergence dÕune presse libre. Cet espace public se pervertit au XXme sicle sous la condition centrale de la culture de masse et de la confusion entre sphre publique et sphre privŽ, qui devint ainsi le paradigme central entre communication et politique. En 1981, dans la Ē ThŽorie de lÕagir communicationnel Č[59], il montre que la raison a Žgalement une fonction communicationnelle qui sÕancre spontanŽment dans le langage et le discours, mme dans ses formes les plus quotidiennes. CÕest ce qui impose selon lÕauteur, de pouvoir trouver un consensus sur des normes Žthiques ou politiques en dŽbattant de manire argumentŽe.

 

Plus rŽcemment, Habermas a rompu avec cette tradition critique pour retrouver le sens premier des Lumires, et probablement pour tenter dÕidentifier un rapport nouveau ˆ la dŽmocratie (pour rester dans le sens polŽmique gramscien, on pourrait Žgalement affirmer ou prŽtendre quÕHabermas a renoncer intellectuellement et stratŽgiquement pour sa propre carrire, pour sa propre image Š le dŽbat avec Derrida, o il a ŽtŽ, me semble-t-il, totalement dŽfait, montre que sa dŽmarche kantienne est compltement figŽe, matŽrialisŽe, rendue ˆ lՎtat solide, pour ne laisser place quՈ un propos de la structure politique sur la structure juridique).

Habermas a ainsi rŽorientŽ son propos depuis quelques annŽes, dans le sens kantien de reconstitution dÕune Žthique comme projet politique immanent, et dŽveloppent cet objet par la structuration du droit (Le pacte fondateur kantien relve, non pas lÕavoir, mais lÕordre normatif de ce que chacun doit avoir[60]). Le Ē lien constitutif entre droit et politique Č nÕest pas rompu parce quÕil est constitutif[61]. LՃtat de droit, ce Ē systme de droit au pluriel Č[62], est toujours lՎtat du droit. Autrement dit, la philosophie politique, juridique et Žthique dÕHabermas est fondamentalement une philosophie de lÕavoir et de la possession, compensŽe, soulagŽe par la recherche dÕune transcendance Žthique. Habermas produit ˆ cet effet, une pensŽe unique, en ce sens, o elle se rŽalise par un Žtirement entre une pensŽe critique, fondamentalement marxiste, et une pensŽe universaliste, totalement kantienne. Il achve sa pensŽe politique par un compromis, que je pense personnel et relativement artificiel, entre les ŽlŽments structurels dÕapproche du politique, la critique comme mŽthode, lÕuniversalisme, le cosmopolitisme, comme Žthique.

Habermas est ainsi kantien par dŽfaut (ce qui est dÕautant plus douloureux pour lÕesprit kantien), probablement pour Žviter lՎcueil idŽologique et politique de la thŽorie schmittienne de la Constitution, qui est fondamentalement de droit public[63], pour ne pas reproduire la dialectique hŽgŽlienne, qui fait que le contrat social est une transposition du droit privŽ, pour retrouver toujours et encore lÕhospitalitŽ de lՎthique kantienne, pour ne pas dŽbattre des fondements juridiques de la politique instituŽe par la rgle de droit.

 

La philosophie politique de Gilles Deleuze et FŽlix Guattari est une des formes des plus achevŽes de la pensŽe politique contemporaine. Dans Ē LÕanti-oedipe Č et Ē Milles plateaux Č[64], les auteurs imposent une thŽorie globale de lÕhomme et de son dŽsir, produit de lՎconomie politique (ĒFlux dŽcodŽs, qui dira le nom de ce nouveau dŽsir ? Flux de propriŽtŽs qui se vendent, flux dÕargent qui coule, flux de production qui se prŽparent dans lÕombre, flux de travailleurs qui se dŽterritorialisent : il faudra la rencontre de tous ces flux dŽcodŽs, leur conjonction, leur rŽaction les uns sur les autres, la contingence de cette rencontre, de cette conjonction, de cette rŽaction qui se produisent une fois, pour que le capitalisme naisse, et que lÕancien rŽgime meure cette fois du dehors, en mme temps que na”t la vie nouvelle et que le dŽsir reoit son nouveau nom. Il nÕy a dÕhistoire universelle que de la contingence Č[65]). En rŽinterprŽtant Nietzsche, Deleuze et Guattari dŽpasse le prŽsupposŽ qui dŽterminerait lÕhomme de nature (Homo natura), en affirmant lՎtat dÕhistoricitŽ des hommes (Homo historica)[66]. LÕhomme, dans le cadre de sa dŽpendance ˆ lÕensemble systŽmatisŽ du monde produit, devient une machine, une machine dŽsirante. Ē La machine dŽsirante nÕest pas une mŽtaphore ; elle est ce qui coupe et est coupŽe suivant ces trois modes. Le premier mode renvoie ˆ la synthse connective, et mobilise la libido comme Žnergie de prŽlvement. Le second, ˆ la synthse disjonctive, et mobiliser le Numen comme Žnergie de dŽtachement. La troisime, ˆ la synthse conjonctive, la Voluptas comme Žnergie rŽsiduelle. CÕest sous ces trois aspects que le procs de la production dŽsirante est simultanŽment production de production, production dÕenregistrement, production de consommation. PrŽlever, dŽtacher Ē rester Č cÕest produire, et cÕest effectuer les opŽrations du dŽsir Č[67]. Le conditionnement de lÕhomme ˆ son environnement productif et destructif le perd, le noie dans ses fonctionnalitŽs. LՃtat devient ainsi lÕinstitution providentielle qui compense la perte dÕidentitŽ et de libertŽ. LՃtat Ē ne prend son existence immanente concrte que dans les formes ultŽrieures qui le font revenir sous dÕautres figures et dans dÕautres conditions. Commun horizon de ce qui vient avant et de ce qui vient aprs, il conditionne lÕhistoire universelle quՈ condition dՐtre, non pas en dehors, mais toujours ˆ c™tŽ, le monstre froid qui reprŽsente la manire dont lÕhistoire est dans la Ē tte Č, dans le Ē cerveau Č, lÕUrstaat Č[68]. LՃtat se concrŽtise, se rŽifie, perd de son artificialitŽ, en mme temps quÕil se subordonne aux forces dominantes. Il conna”t la mme Žvolution que les objets techniques qui se mutent dÕunitŽ abstraite ou systme intellectuel, en rapport subordonnŽ[69].

Tous les mondes dŽcrits en rhizomes, en plateaux, en machines sont une thŽorie du rŽel dont le cha”non manquant nous appara”t enfin dans la machine globale qui produit lÕhomme au travers de son vide. Les machines dŽsirantes constituŽes en abstraction sont les traits dÕunion des territoires, des rŽseaux et des sphres. Ē Il y a une dimension de la modernitŽ qui a besoin de la philosophie deleuzienne comme hermŽneutique. CÕest la dimension de lÕinnombrable, des mŽgapoles grouillantes, des flux de marchandises, des hommes qui tournoient entre les rayons des supermarchŽs et sur les nĻuds autoroutiers : lÕimpression ineffable dÕune ville la nuit, avec ses myriades de points lumineux qui ondulent, virevoltent, sÕallongent dans la tra”nŽe des phares, et les vibrations de lÕobscuritŽ, magma agitŽ de quantas insaisissables. MultiplicitŽ incarnŽe, plis de vies, nodositŽs labiles dՎnergie et de matire Č[70].

Le dŽsir devient dans la pensŽe de Deleuze et Guattari un point de rencontre avec Foucault, un point de jonction thŽorique, historique et philosophique, un des multiples soubresauts de lÕaprs freudisme[71]. La question sur lÕhomme et de lÕhomme, tre pensant qui se conoit lui-mme comme une chose, un corps externe ˆ lui-mme, ˆ sa voix en fait, rŽside plus dans la volontŽ (Bergson), plus que dans le renoncement (Hegel), plus que dans la lutte (Marx), mais consiste dans le fonctionnement du dŽsir ˆ tre soi-mme, ˆ se rŽunifier comme un corps et un langage commun, ˆ se dŽfinir comme soi(-)mme (les parenthses entourant ce trait dÕunion signifie en premier lieu le sens de la locution complte, mais peuvent Žgalement tre conus comme un soi puis comme un mme). Cette reprŽsentation du soi ˆ soi, cette image du singulier et du comparable modifie lÕimplication dans la politique. Les mutations et le contr™le du dŽsir font ainsi lÕobjet mme des engagements politiques depuis le XIXme sicle. La question de la participation dŽmocratique ne relve pas dÕune problŽmatique structurelle et juridique (cf. la question du statut des droits politiques). Cela passe Žgalement par les flux ŽlŽmentaires de la vie et de la passion humaine (la libertŽ politique transcendŽe par le dŽsir de se constituer politiquement ensemble Šcf. la question juridique centrale du pouvoir constituant-), par opposition aux rŽalitŽs politiques du temps prŽsent, qui dŽterminent la mise en responsabilitŽ comme espace et limite de la libertŽ politique (Comme lÕa dŽmontrŽ magistralement le sociologue allemand Ulrich Beck, nous passons dÕune sociŽtŽ industrielle, dont lÕenjeu majeur consistait dans la rŽpartition de la plus-value, ˆ une sociŽtŽ des risques, qui dŽtermine une plus value nouvelle, et simultanŽment, la valeur politique individuŽe de chacun par rapport ˆ sa propre responsabilitŽ, ˆ sa propre faute[72]. La sociŽtŽ des risques est ainsi une sociŽtŽ dÕautocontr™le, une autre version de la mutation de lÕaliŽnation imposŽe par le capital, en systme individuel de sujŽtion ˆ ce limiter soi-mme par la sanction juridique que lÕon encourt si lÕon dŽpasse les limites imposŽes par la loi. Le droit prend alors des formes de dŽtermination de lՎthique, comme le montre lՎvolution du droit des libertŽs publiques, et notamment les procŽdŽs juridiques concernant lÕusage de son corps, de la ligne de frontire entre le bien et le mal. Le juge, ce gouverneur qui commande au droit comme ˆ la politique, tranche le dŽbat en transformant lՎthique en questions et en solutions dÕhistoricitŽ, le raisonnement sur et pour le futur, en la dŽplaant toujours plus dans un rapport au savoir, et notamment au savoir mŽdical, en la modifiant presque, en la soumettant au rapport complexe avec la morale, pour trancher des questions qui Žchappent ˆ leurs entendements Žthiques Šcf. les questions relevant de la sexualitŽ et du corps, qui nÕon connu que des Žvolutions rŽcentes en droit, et nÕont trouvŽ que des solutions toujours limitŽes par une conception dŽgouttŽe de cette monstruositŽ humaine et sociale, le corps en jouissance, le corps modifiŽ, le corps mutŽ).

 

Les pensŽes deleuzienne et foucaldienne sÕentrecroisent ainsi en sÕaccordant sur plusieurs constats :

Le dŽsir politique et le pouvoir constituant en ne se rencontrant pas, en Žtant rŽprimŽ, ont fini par cŽder ˆ leur sŽparation sŽditieuse, pour justifier dans leur Žcart, de la rŽpression du dŽsir politique dÕassemblance, soit de sÕassocier pour se diffŽrencier. En second lieu, le contr™le et la production du dŽsir par lՎconomie politique globale sont un fait historique constant de lÕaprs Seconde guerre mondiale, trouvant son origine au XIXme sicle, et son archŽologie la plus profonde et la plus incidente au XVIIme sicle. En troisime lieu, cette dialectique du dŽsir aboutit ˆ une proposition politique ; celle de rentrer dans une autre histoire des relations intimes, sociales et politiques, de ne pas succomber au pouvoir et ˆ lÕavoir, de plus accepter le pouvoir comme une autre forme de possession. Le pouvoir doit demeurer aussi fondamentalement un dŽsir ˆ rŽcuser, ˆ refouler. Une folie qui impose le combat, la lutte, lÕengagement et le renoncement. Les empereurs romains philosophes ou Guevara sont les figures de la dialectique du dŽsir politique refoulŽ par le refus de possŽder le pouvoir. Le combat pour le pouvoir, le refus du pouvoir forment ainsi la dialectique historique de lÕhomme politique idŽal.

 

 

 

La philosophie politique de Michel Foucault ne peut tre analysŽe selon la simple perception de la fin de lÕhomme et de lÕhumanisme (peut-tre, sÕagit-il dÕun Ē in-humanisme formalisŽ Č, pour reprendre la formule dÕAlain Badiou, qui en confrontant Foucault et Sartre, produit cet Žtrange assemblage[73]). Foucault est avant tout un philosophe du pouvoir, de lՃtat, de la contrainte, de la domination et de la soumission, qui opte quasi systŽmatiquement par des lectures historiques, dont lÕeffet nÕest sans le rapprocher dÕune forme de philosophie de lÕhistoire Benjamienne (Foucault entretient avec Benjamin la mme mesure de marginalitŽ, et ce notamment, dans le rapport ˆ lÕanalyse, dans les choix des thmes, comme dans les points de vue. Foucault, ˆ la diffŽrence de Benjamin, sÕappuie sur une dŽmarche positive, au deux sens du terme, ouverte et rŽaliste, alors que le philosophe allemand appuie ses textes dÕun regard romantique et dŽsenchantŽe. LÕĒ in-humanisme Č de Foucault est alors probablement une mŽsinterprŽtation, o alors il faudrait prŽtendre que sÕaccorder avec le rŽel sans fausse bonne humeur ou triste figure serait une possibilitŽ de contester votre foi en lÕhomme).

Foucault nous dit que lՃtat, puissance publique, reformulŽ juridiquement et administrativement sous lÕeffet des rŽvolutions politiques amŽricaines et franaises, sÕest mutŽ, tout au long du XIXe sicle, en rŽaction ˆ une pluralitŽ dÕeffets. Effets du capitalisme, de lÕhistoire de la production, de lÕhistoire de la reproduction sociale, de lÕenfermement puis de la lutte des classes ; Effets des conflits, des guerres Ē inter-nationales Č, des guerres de masses, des guerres mondiales, des guerres totales, selon la formule anticipatrice du nazisme de Carl Schmitt ; Effets des dŽveloppements technologiques et de leurs redŽploiements industriels et/ou militaires ; Effets des contr™les de masses opŽrŽs par lՃtat et lÕappareil productif[74], sur les corps, ainsi que ceux engendrŽs par lÕappareil de contrainte et les mŽdias de masse[75], sur le contr™le des consciences et des savoirs (cf. Wilhem Reich).

Dans Ē Les mots et les choses Č (1966), Foucault soutient que lÕhistoire du savoir dans la pensŽe europŽenne sÕest rompue ˆ la renaissance. Il distingue trois Žpoques, et trois ŽpistŽms distinctes : jusquՈ la fin du XVIe sicle, la comprŽhension du monde relve dÕune ressemblance et dÕune interprŽtation. Au XVIIe sicle, une reprŽsentation et un ordre du langage rompent cette tradition du savoir et de sa comprŽhension. Au XIXe sicle, lÕintroduction de lÕhistoire matŽrielle introduit pour la premire fois lÕhomme dans sa dimension la plus nette. Cela posŽ, Foucault portera son attention sur les formes de production de la domination. Production de la folie, de la prison, de lÕenferment, la dimension foucaldienne devient une rŽflexion sur lÕorganisation centrale de la production de la politique moderne, de ses stratŽgies et de son histoire.

Cette approche dÕune gŽnŽalogie du savoir permet ˆ Foucault de dresser une critique de lÕappareil de domination, non simplement sur les thses de Marx et/ou de Freud, mais sur une critique de la thŽorie juridique de la souverainetŽ, ainsi que sur lՎtablissement dÕune description du rŽel, et notamment sur les conditions gŽnŽrales des transformations du pouvoir instituŽ, en un biopouvoir. Foucault montre que le passage ˆ lՎpoque moderne de lՃtat en une forme territoriale, lÕamne ˆ sÕimposer comme instance de contr™le sur la vie nue (cf. Giorgio Agamben[76]). Cette transformation de lÕassise de lÕautoritŽ et de la lŽgitimitŽ ˆ gouverner les corps et les consciences, retrouve les axes posŽs par Merleau-Ponty et par Kantorowicz sur le pouvoir et le corps conu comme un territoire ˆ gouverner. Foucault Žnonce pour partie une thŽorie nouvelle de la domination, et de ses moyens de contraintes sur le langage et le corps, sur le savoir (le moyen) et sur lÕaffect (la matire).

LÕordre biopolitique contemporain sÕaffirme ainsi par le principe du libŽralisme qui ne mute pas que lÕorganisation socio-politique et socio-Žconomique, mais qui transforme lÕensemble de lՎconomie politique.

Michel Foucault dans ces diffŽrentes leons sur la naissance de la biopolitique, met en pendant cette dŽcouverte avec la gense du libŽralisme europŽen, allemand notamment, puis amŽricain. La trace invisible de la biopolitique est ainsi inhŽrente ˆ la marque visible des cadres de rationalitŽ politique ˆ lÕintŽrieur duquel ils sont apparus, Ē ˆ savoir le ŅlibŽralismeÓ, puisque cÕest par rapport ˆ lui quÕils ont pris lÕallure dÕun dŽfi Č[77].

Michel Foucault utilise la mŽthode nominaliste en histoire, mise au point par Paul Veyne ˆ propos des universaux historiques : Ē jÕai essayŽ dÕanalyser le ŅlibŽralismeÓ, non pas comme une thŽorie ni comme une idŽologie, encore moins, bien entendu, comme une manire pour la ŅsociŽtŽÓ de Ņse reprŽsenterÓ ; mais comme une pratique, cÕest-ˆ-dire comme une Ņmanire de faireÓ orientŽe vers des objectifs et se rŽgulant par une rŽflexion continue. Le libŽralisme est ˆ analyser comme principe et mŽthode de rationalisation de lÕexercice du gouvernement Š rationalisation qui obŽit, et lˆ est sa spŽcificitŽ, ˆ la rgle interne de lՎconomie maximale Č[78]. En ce sens, le libŽralisme est une rupture majeure de la conduite des affaires publiques originaires. Il rompt avec le gouvernement pour et par le secret, il rompt avec la raison dՃtat, qui ne se poursuit, de la fin du XIXe sicle jusquՈ nos jours, que comme une marque qui sÕamenuise, qui devient une trace sÕentrelaant aux conditions et aux effets du libŽralisme contemporain. LՃtat de police imposait une sociŽtŽ disciplinaire de contr™le territorial et de contr™le des corps qui prendront tout leur sens au XIXe sicle, mais qui sera reconfigurŽ par les principes de la gouvernance limitŽe du libŽralisme.

A la question centrale, pourquoi faut-il gouverner ?, Michel Foucault dŽfinit la complexitŽ de ce passage historique de redŽfinition de la gouvernementabilitŽ, dÕun gouvernement de lÕintŽrieur de lՃtat, pour lՃtat, vers un exercice de la puissance vers lÕextŽrieur, vers la Ē sociŽtŽ Č, ce mirage inventŽ dans les luttes de pouvoirs en Grande-Bretagne, notamment par lՎcossais Adam Fergusson, puis par Hegel, dont on sait, ds le dŽpart, quÕil affirmait les prŽrogatives, non pas de la sociŽtŽ civile mais de la sociŽtŽ bourgeoise[79]. Cette translation de la manire de gouverner est une des phases de mutation de la fonctionnalitŽ Žtatique de gouvernement qui se met en place au moment des rŽvolutions des ƒtats-nations, des ƒtats organes, des ƒtats de contr™le territoriaux et biologiques. La puissance du libŽralisme est dÕimposer le principe de limitation de gouvernement, selon le principe que lÕon gouverne toujours trop. Nouvelle lŽgitimitŽ de lՃtat, qui sÕannonce lui-mme dans une limite de son action, pour mieux justifier la puissance de ses actions Ē limitŽes Č, et lÕefficacitŽ de ses contr™les invisibles.

A lÕanalyse entrecroisŽe du libŽralisme Žconomique et du libŽralisme politique, Michel Foucault affirme que ni le marchŽ ni les systmes juridiques ne sont en soi parti prenante au libŽralisme. Il sÕagit plut™t dÕun art nouveau de gouvernement, dÕune mŽthode dÕanalyse critique du gouvernement sur lui-mme, dÕun outil conceptuel extrmement avancŽ, o la critique, la nŽgation, pour retrouver des termes hŽgŽliens, permet de dŽvelopper tant le champ de lŽgitimitŽ que le champ dÕaction. Ē Ce plan dÕanalyse possible Č[80] montre la translation entre lÕhistoire dÕune raison dՃtat qui dŽlimite lÕexercice du gouvernement, vers une histoire de la Ē raison gouvernementale Č qui ne se limite plus, qui sÕouvre totalement, tant comme exercice de gouvernement de lՃtat sur lui-mme (un gouvernement organique de lÕadministration et un gouvernement des flux juridiques et Žconomiques), que comme exercice du gouvernement sur les hommes (un gouvernement politique de classe Šle contr™le des mots- et un gouvernement biopolitique Šle contr™le des corps-).

Michel Foucault, en optant pour lՎtude de lÕordolibŽralisme allemand et du nŽolibŽralisme amŽricain dÕaprs guerre, dŽtermine le libŽralisme contemporain Ē comme une critique de lÕirrationalitŽ propre ˆ lÕexcs de gouvernement, et comme un retour ˆ une technologie de gouvernement frugal, comme aurait dit Franklin. Č[81]

 

 

 

La philosophie politique de Jacques Derrida est basŽe centralement sur une approche philosophique unique ˆ notre temps, celle de lÕhospitalitŽ, de lÕamitiŽ, de lÕaccueil, qui rompt partiellement avec lÕunivers de Marcel Mauss et son principe du don et du contre-don[82], mais introduit Žgalement une pensŽe politique fixant le rapport dÕune justice incalculable et dÕun droit fait de calcul. Derrida montre comment les mŽcanismes performatifs de la loi (au sens o le mot fait exister la chose) comblent cet Žcart en imposant par la violence du dire lÕautoritŽ de la rgle. Une force aveugle de la loi produit ses effets de vŽritŽ[83]. Critiquant le marxisme, il fait une analyse Žvidente de la pensŽe de Marx, en posant la question du messianisme et du romantisme politique, mais aussi les formes de persistance spectrale, le spectre de la rŽvolution nՎtant que la mise en forme de la rŽponse ˆ la hantise du capital[84]. La philosophie politique de Derrida est absolue puisquÕil croit et affirme, et dŽmontre, que tant que la matire politique, le droit, la nation, lՃtat, le territoire perdure, lÕhospitalitŽ se limite, lÕontologie de lÕhomme se limite ˆ son environnement.

La philosophie derridienne vaux Žgalement pour son approche, et ainsi essentiellement pour lÕinvention magistrale du principe de dŽconstruction, qui sÕexpŽrimente largement sur la question du droit. Cette dernire est une philosophie du mouvement et de lÕhŽsitation, du dŽfaire et du dŽ-dire, qui permet de suivre Ē la trajectoire hŽsitante dont nous pensons quÕelle caractŽrise le mouvement juridique. Č [85]). Mme si je sais, que Ē La souffrance de la dŽconstruction, celle dont elle souffre ou celle dont souffrent ceux quÕelle fait souffrir, cÕest peut-tre lÕabsence de rgle, de norme et de critre assurŽ pour distinguer de faon non Žquivoque entre le droit et la justice. Il y va donc bien de ces concepts (normatifs ou non) de norme, de rgle ou de critre. Il sÕagit de juger de ce qui permet de juger, de ce dont sÕautorise le jugement. Č[86] Pour tenter de donner une dŽfinition, jÕemprunterais ˆ un autre texte de Derrida : Ē La dŽconstruction ne sÕest jamais prŽsentŽe comme quelque chose possible. (É) Elle ne perd rien ˆ sÕavouer impossible (É). Le danger pour une t‰che de dŽconstruction, ce serait plut™t la possibilitŽ, et de devenir un ensemble disponible de procŽdures rŽglŽes, de pratiques mŽthodiques, de chemins accessibles. LÕintŽrt de la dŽconstruction, de sa force et de son dŽsir, si elle en a, sÕest une certaine expŽrience de lÕimpossible : cÕest-ˆ-dire (É) de lÕautre, expŽrience de lÕautre comme invention de lÕimpossible, en dÕautres termes comme la seule invention possible. Č[87] Voilˆ pourquoi la dŽconstruction est une approche des ruines. CÕest une thŽorie des ruines, parce quÕelle dŽmonte notre passŽ, mais en y intŽgrant notre regard du passŽ. Elle est le moyen de montrer notre histoire, tout en y intŽgrant notre conception de lÕhistoire. De ce fait, elle est elle-mme, en ruine, constructible et dŽconstructible, elle permet alors dÕobserver la lŽgitimitŽ inscrite dans la partie secrte du texte. Elle nÕest pas critiquable en soi, tellement elle apporte ˆ la connaissance du texte du monde ; mais, cÕest un outil, une faon de penser qui trouve sa limite, dans sa propre expression. La dŽconstruction est une action tautologie et contradictoire. Une forme logique extrme qui mise sous forme esthŽtique devient un outil conceptuel extrme[88] : je pense que le texte (soit celui qui vous est prŽsentŽ) doit garder sa force rŽelle, en tant que texte, non seulement pour ne pas le surcoder uniquement pour amŽliorer sa lisibilitŽ (ou alors, cÕest un encouragement ˆ dŽcouvrir les textes par leurs structures), mais aussi pour pouvoir montrer sa construction, sa forme en ruine, comme ce quÕil est sensŽ nous montrer. Cette forme du texte, que je prononce comme esthŽtique, constitue le reflet, lÕimage de lÕunivers dŽcrit. La dŽconstruction, marquŽe par la fondation de la rupture historique, de la fin de lÕenfance, nÕest que son reflet. Ē Texte et signature sont des spectres. (É) Le texte nՎchappe pas ˆ la loi quÕil Žnonce. Il se ruine et se contamine, il devient le spectre de lui-mme. Č[89]

A ce titre, la dŽconstruction du politique impose une relecture spectrale de lÕĻuvre de Hobbes et de Hegel, pour comprendre comment leurs textes sÕintgrent dans lÕhistoire de lՃtat et du droit, non simplement comme des facteurs intŽgrŽs de cette histoire, mais comme ŽlŽment dŽterminant de cette histoire, comme facteur productif de cette histoire. Ou de saisir encore par le mme biais, que la conceptualisation marxiste de lÕhistoire de lՃtat a abouti aux mmes effets que ceux rechercher par les libŽraux par la stratŽgie de lÕautolimitation du gouvernement.

Cette lecture que certains juristes trouveront par trop audacieuse, par trop littŽraire, me semble pourtant tre le prŽ requis nŽcessaire ˆ lÕinterprŽtation du texte juridique et de lÕhistoire politique ; lÕesthŽtique rajoutant lÕimperfection nŽcessaire ˆ ce qui est ŽnoncŽ comme imparfait. On ne peut conna”tre du texte, quand le dŽcomposant jusquՈ son origine, comme jusquՈ sa fin. On ne peut utiliser ˆ son Žgard une mŽthodologie dont lÕobjet consiste dans une histoire qui ne relverait pas de lՎcriture, de sa structure, comme de son sens.

 

 

 

La philosophie politique dÕAntonio NŽgri et Michael Hardt correspond ˆ un raisonnement assez simple (quoique quÕil sÕagisse de montrer et de dŽmontrer le monde qui nous entoure), puisquÕil sÕagit de comprendre et dÕidentifier lÕordre du monde, par lՎtude des rŽgimes dÕexploitation et de contr™le des ƒtats capitalistes occidentaux. LÕoriginalitŽ de leurs propos trs en vogue, notamment aux Etats-Unis, consiste dans leur approche rŽaliste, complte et surtout dŽmonstrative. NŽgri et Hardt puisent ainsi dans lÕhŽritage de la philosophie franaise de lÕaprs guerre que nous venons dՎtudier pour partie. LÕusage quÕils font de Deleuze, de Guattari, de Foucault et de leurs ascendants gŽnŽalogiques montre et dŽmontre lÕexistence dÕune philosophie politique post-moderne, soit comme nous lÕa appris Lyotard une pensŽe qui intgre la finitude de la lŽgitimitŽ, du savoir, de la pratique, et ainsi des ruptures qui font le postmodernisme, dans une histoire des faits par ailleurs, qui nÕen finit plus de porter son historicitŽ, puisque comme lÕaffirme Bruno Latour, nous nÕavons jamais ŽtŽ moderne[90]. Le cĻur de la rŽvolution conservatrice contemporaine sÕinscrit dans ce jeu dialectique, qui permet dՐtre postmoderne au nom de la modernitŽ (la police comme un spectre de la postmodernitŽ), qui fonde la modernitŽ (lÕhistoire du temps prŽsent) par lÕusage de la postmodernitŽ (les craintes de notre temps, tel que la mondialisation, apparaissent lˆ encore comme des spectres, des inexistences menaantes), qui dŽnonce la postmodernitŽ au nom des lois de la modernitŽ (la polŽmique politique Žtant Žgalement scientifique, certains ont pris comme axe dÕattaque de contester la lŽgitimitŽ scientifique de la philosophie[91]).

NŽgri et Hardt tentent ainsi de circonscrire les problŽmatiques contemporaines de la redŽfinition du champ de lՎconomie politique. En traitant des questions propres aux mutations actuelles, comme la globalisation, la dŽconstruction de lՃtat-nation, le contr™le bio-politique des individus, le dominion amŽricain, etc., Toni NŽgri et Mich¾l Hardt exposent les conditions de rŽalisation et dÕexistence de lÕĒ Empire Č[92], en empruntant ˆ Foucault et ˆ Deleuze notamment.

 

La mondialisation se constitue sous lÕeffet historique conjuguŽ de lÕabolition des rŽgimes coloniaux et de la fin de lÕobstruction stratŽgique soviŽtique au dŽveloppement du capitalisme. Juridiquement, Ē Le passage ˆ lÕEmpire sort du crŽpuscule de la souverainetŽ moderne Č (p. 17). Ce champ moderne de paradigmes tend ˆ montrer la nature de lÕEmpire. Il est fluide et nÕutilise plus lÕemprise du sol pour contr™ler les populations. La fluiditŽ de lՎchange dŽterritorialise lÕindividu et accentue sa perte de repre identitaire. La rŽfŽrence territoriale du pouvoir de lՎconomie-politique est donc superfŽtatoire. Le pouvoir de terrifier (cf. le jus terendi des romains) dispara”t et entra”ne avec lui les beaux restes de lՃtat-nation. Le contr™le sÕopŽrerait par le biais des rŽseaux identitaire et surtout, par le fait de la dislocation de ces mmes identitŽs.

LÕhistoire prŽsente montre que la montŽe en puissance de lՎconomie mondialisŽe et la dŽcroissance potentielle de la souverainetŽ des ƒtats-nations se rŽalise par des cadres de mutation territoriaux et par des formats individuels de dŽterritorialisation. Le monde se recompose alors selon les fluctuations de la valeur marchande renouvelŽe et selon les transformations d'Žchanges et de flux. La gŽopolitique nouvelle se fixe par des rŽgimes complexes et nouveaux de diffŽrenciation et dÕhomogŽnŽisation. CÕest dans ce cadre, probablement de transition, que la crŽation de la richesse tend ˆ la production biopolitique, Ē cÕest-ˆ-dire la production de la vie sociale elle-mme dans laquelle lՎconomie, la politique et la culture se recoupent de plus en plus et sÕinvestissent mutuellement Č (17 et 18).

Le mot Empire nÕest pas utilisŽ comme une mŽtaphore historique mais comme un concept, soit, il doit tre compris dans un cadre thŽorique. En premier lieu, lÕEmpire se caractŽrise par son absence de frontire, ce que signifie que Ē le gouvernement de lÕEmpire nÕa pas de limite Č (19). En second lieu, le concept dÕEmpire se veut a-historique, comme Žtant une production ex-nihilo. LÕEmpire se prŽsente Ē comme un ordre qui suspend effectivement le cours de lÕhistoire et fixe par lˆ mme lՎtat prŽsent des affaires pour lՎternitŽ Č (19) (cf. Walter Benjamin). En troisime lieu, le pouvoir de lÕEmpire fonctionne sur tous les plans de lÕordre social. Il ne gre plus les matŽrialitŽs territoriales et biologiques, il crŽe le monde et lÕenvironnement individuel et social. LÕEmpire revt la forme du biopouvoir puisquÕil tend ˆ contr™ler et ˆ engendrer totalement lÕindividu.

Dans la suite donnŽe ˆ Empire, Michael Hardt et Antonio Negri distinguent, par le concept de multitude, une mutation de lՎconomie politique globale.

La multitude est en premier lieu Žconomique, et dŽpasse ainsi lÕartificialitŽ de la sŽparation marchande avec le reste des domaines de la vie sociale. Ē Dans la mesure o la multitude nÕest pas une identitŽ (comme le peuple) ni une uniformitŽ (comme les masses), ses diffŽrences internes doivent dŽcouvrir le commun qui leur permet  de communiquer et dÕagir ensemble Č[93]. Le principe dÕun commun est ainsi rŽflexif puisquÕil est le fondement et lÕobjet mme de la production sociale, et ce notamment par le facteur travail qui est lՎpicentre de la production biopolitique : Ē nous appelons Ē production biopolitique Č ce modle dŽsormais dominant pour souligner le fait quÕil implique non seulement la production de biens matŽriels dans un sens strictement Žconomique, mais aussi quÕil affecte et contribue ˆ produire toute les facettes de la vie sociale, quÕelles soient Žconomiques, culturelles ou politiques. Cette production biopolitique et lÕaccroissement du commun qui en dŽcoule  sont un des piliers sur lesquels repose aujourdÕhui la possibilitŽ de la dŽmocratie Č[94].

En second lieu, la multitude est ainsi par voie dÕosmose ˆ la chose Žconomique, fondamentalement politique. les diffŽrents cadres, systmes, matires, domaines, sŽparŽs lÕun de lÕautre selon les mŽcaniques propres de la souverainetŽ des ƒtats, se confondent lÕun lÕautre, se ressoudent ou apparaissent dans leurs liaisons originelles, pour laisser place ˆ un univers o le pouvoir, la rŽsistance, la multitude, la dŽmocratie, se confonde lÕun lÕautre. LÕanalyse de Michael Hardt et Antonio Negri laissent alors entrevoir une rŽflexion profonde mais malgrŽ tout jamais immanente, au point de considŽrer la sŽparation comme un paradigme central de lՎconomie politique moderne et postmoderne. Leurs propos fait lՎconomie de cet usage pour se concentrer sur lÕobjet mme de leur propre action thŽorique et politique qui consiste ˆ rŽunir. Le principe de sŽparation est permanent dans leur analyse critique de lÕempire, de lÕusage de la guerre, de lÕeffort constant des forces du capital et de lՃtat ˆ vouloir reproduire la puissance de sŽparation de la souverainetŽ des ƒtats-nations dans le cadre global de la puissance impŽriale de lՎconomie politique occidentale.

 

 

La philosophie politique de Jean Baudrillard, malgrŽ sa posture contestŽe[95], correspond ˆ une pensŽe totale des questions contemporaines du politique ; puisquÕil sÕagit toujours de la mme chose, dÕhistoire, de langages et de signes, dÕune Žconomie politique globale des choses et des textes. Cependant lÕĻuvre de Jean Baudrillard est ˆ mon sens un indicateur, un sombre indicateur. Baudrillard est noir, sans vŽritable romantisme, et cÕest lˆ me semble-t-il sa grande force, dans un texte rŽellement poŽtique et un cadre totalement rigoureux. Le jeu dialectique entre la rigueur et la poŽsie, rythme son Ļuvre comme une respiration, que tout inspire tant quÕil sÕagit de relever lÕironie cruelle du monde ; Baudrillard est ainsi toujours en dŽcalage sur tout, car il ne voit pas comme les autres, il expose toujours ce versant noir de la rŽalitŽ, pour sÕattacher souvent ˆ une poŽsie de lÕinstant, comme ses photographies le montrent si justement.

CÕest cela que cache lÕhistoire : Ē Il n'y aura plus de fin. On entre dans une sorte d'indŽtermination radicale. Car non seulement, la finalitŽ transcendante, se perd, mais elle se retourne contre elle-mme elle se perd en convulsion, elle dŽtraque mme les causes et le dŽroulement Č ; Ē L'histoire aussi est allŽe au bout de ses possibilitŽs. C'est pour cela qu'elle ne peut que faire volte-face ou se rŽitŽrer. Elle n'a pas rŽussi ˆ s'Žchapper dans le vide. C'est pour cela qu'elle est devenue indŽterminable, ne laissant place qu'ˆ une immortalitŽ nŽgative Č[96]. Ē Le temps est vide Č car comme lÕaffirme Walter Benjamin la simultanŽitŽ du passŽ et du futur engendre un prŽsent instantanŽ[97]. Ou encore, tel que lՎnonce Louis Althusser, LÕutopie chez Machiavel et le manifeste de Marx et Engels affirment le prŽsent comme Ē vide pour le futur Č[98].

Baudrillard re-dŽveloppe l'affirmation de la finitude de l'espce humaine. Il dŽtermine l'Žvolution sociale, technique et politique comme constituant les moyens illusoires d'Žchapper ˆ la mort. Fuite rŽelle et presque charnelle, elle est Žgalement symbolique et se transcende de telle manire que l'immortalitŽ virtuelle appara”t. LÕultime sŽparation que reprŽsente la mort, laisse ˆ penser, que la lutte de lÕoccident contre la mort, en rallongeant radicalement la durŽe de vie de ses membres, influe consŽquemment sur le cadre dynamique de la construction de lՃtat prŽsent, de la sociŽtŽ et de lÕindividu moderne. LÕimmobilisme gŽnŽral en France, qui nous ramne toujours un plus en arrire, me semble tre cette aversion, ce reflux, ce combat contre la mort. Ce qui amne toujours Baudrillard ˆ la rupture sur la question du sujet, son approche quoiquÕil en pense[99], est symŽtrique ˆ celle de Foucault, et de sa conception panoptique de la sociŽtŽ contemporaine : Ē (É) le danger absolu est que dans l'interactivitŽ ŽrigŽe en systme total de communication, il n'y a plus d'autre, il n'y a plus que du sujet - et bient™t plus que des sujets sans objets. Rien de pire qu'un sujet sans objet. Aujourd'hui, tous nos ennuis de civilisation viennent de lˆ : non plus d'un excs d'aliŽnation, mais d'une disparition de l'aliŽnation au profit d'une transparence maximale des sujets les uns aux autres. Č[100]

Dans cette sociŽtŽ transparente, dans cette sociŽtŽ qui dispara”t, tout comme cette histoire dispara”t[101], les signes servent de conductions, se dŽveloppent comme lieu et moyen de diffusion du pouvoir, comme une Žconomie politique des signes[102], comme une Žconomie politique de lÕinvisible, comme une Žconomie politique de lÕentre-deux, comme une Žconomie des mŽdiations devenue liquide[103]. Ce que nous montrent lÕensemble des signes procde dÕun constat qui fait que la sociŽtŽ, institution, chose, mot, sont arriver au point de leur achvement. La doctrine stratŽgie du libŽralisme nÕy est dÕailleurs que pour peu. Tel que lÕaffirme aujourdÕhui Alain Touraine, dont on ne peut escompter une quelconque proximitŽ intellectuelle avec Baudrillard, Ē sur les ruines de la sociŽtŽ ŽbranlŽe et dŽtruite par la globalisation surgit un conflit central entre, dÕun c™tŽ, des forces non sociales renforcŽes par la globalisation (mouvements du marchŽ, catastrophes possibles, guerres) et de lÕautre, le sujet, privŽ du soutien des valeurs sociales qui ont ŽtŽ dŽtruites. Le sujet peut mme, le cas ŽchŽant, tre refoulŽ dans lÕinconscient par la domination de ces forces matŽrielles Č[104].

Jean Baudrillard, puis Samuel Bowles et Herbert Gintis ont largement dŽmontrŽ que le capitalisme nՎtait pas simplement producteur de lՎchange des biens et des services, mais quÕil Žtait Žgalement la machine ˆ produire les personnes[105]. Ainsi, la standardisation de notre environnement dÕobjets, nous conditionne, nous produit, et nous reproduit en nous-mme et en nos relations comme un systme dÕobjets. Le sujet de droit et le sujet politique ont ainsi ŽtŽ supplantŽs par la puissance de lՎconomie productive et consumŽriste, puissante fabrique de lÕhomme moderne dŽsocialisŽ, dŽpolitisŽ, puis resocialisŽ, repolitisŽ, reproduit. Le capitalisme historique faisait quÕĒ une manufacture est une invention pour fabriquer deux articles : du coton et des pauvres Č[106]. LՎconomie de marchŽ contemporain fait, dans un systme dŽsormais fondŽ sur la consommation, et non plus sur la production, quÕun hypermarchŽ est une invention pour vendre de la nourriture et produire des obses. La machine ˆ produire le vide de ceux qui ne pouvaient exister Žconomiquement et ainsi politiquement, sÕest commuŽe en une machine ˆ produire les corps, pour mieux conditionner le vide des consciences, juste apte ˆ consommer, juste apte ˆ se consommer. Le capitalisme ne dŽtruit pas quÕau travers du processus de consommation, les biens, les services et les personnes, ou encore, il ne dŽtruit pas par ces phŽnomnes de concentration et dÕaccumulation du capital. Le capitalisme consomme les hommes, dans des processus qui dŽpassent le systme dÕaliŽnation marxiste et freudien.

 

 

La philosophie politique de Judith Butler, me semble tre lÕauteure la plus importante de notre temps, non seulement pour ses dŽcouvertes majeures sur le genre, et sur les implications que cela impose sur la construction du sujet et le faonnage complexe des identitŽs(les gender studies[107]), mais aussi parce quÕelle poursuit lÕanalyse et les travaux quÕavaient laissŽ en suspens bon nombre dÕauteurs, et que le contexte contemporain propre aux conservatismes politiques et intellectuelles ne permet pas de gŽnŽrer en masse. Judith Butler reprŽsente une des pensŽes contemporaines les plus fertiles, les plus sŽduisantes, les plus radicales ; sa pensŽe constitue ainsi une synthse et une nouveautŽ constantes.

En premier lieu, elle reprend lˆ o Foucault avait cessŽ de sÕinterroger : la question du sujet. Le sujet se forme par la gŽnŽalogie par laquelle il sÕest formŽ, et Ē le sujet est (É) est instituŽ afin dÕassumer la responsabilitŽ de lÕhistoire quÕil dissimule Č [108] Comme le dit Foucault, le pouvoir est le nom que lÕon attribue ˆ une situation stratŽgique complexe dans une sociŽtŽ donnŽe. Comme y rŽpond Butler, Ē le pouvoir fonctionne par le biais de la dissimulation : il appara”t comme autre chose que lui-mme, il appara”t comme un nom. (É) Le nom porte en lui le mouvement dÕune histoire quÕil arrte Č[109] Le Ē domaine linguistique sur lequel le sujet nÕa pas de contr™le devient la condition de possibilitŽ de tout domaine de contr™le exercŽ par le sujet parlant. LÕautonomie dans le discours, pour autant quÕelle existe, est conditionnŽe par une dŽpendance radicale, originelle ˆ lՎgard du langage dont lÕhistoricitŽ excde de toutes parts lÕhistoire du sujet parlant. Et cette structure, cette historicitŽ excessive et ce qui rend possible la survie linguistique du sujet ainsi que, potentiellement, sa mort linguistique. Č[110]

On le constate, la dimension que donne Judith Butler consiste dans la dŽtermination du rapport entre le sujet et la puissance que chacun ˆ Žnoncer sa capacitŽ. CÕest en ce sens quÕelle dŽveloppe les thmes de la performation du langage, en se rŽfŽrant aussi bien ˆ la technicitŽ de la linguistique, quÕaux termes du pouvoir dÕinterpeller et de commander. Elle ne reconstitue pas le sujet indiffŽremment aux conditions gŽnŽrales du pouvoir, elle essaie et rŽussi ˆ identifier La vie psychique du pouvoir[111], en rŽunissant potentiellement une synthse quÕappelait de ses vĻux Gilles Deleuze[112].

La performation du langage devient simultanŽment une reproduction dÕhistoricitŽ et un rituel dÕinstitutionnalisation : Ē Si un performatif rŽussi provisoirement, ce nÕest pas parce quÕun intention gouverne avec succs lÕaction discursive, mais seulement parce que cette action fait Žcho ˆ des actions antŽrieures, et accumule la force de lÕautoritŽ ˆ travers la rŽpŽtition ou la citation dÕun ensemble de pratiques antŽrieures qui font autoritŽ. (É) Un performatif ne fonctionne donc que dans la mesure o il utilise et masque ˆ la fois les conventions constitutives par lesquelles il est mobilisŽ. En ce sens, aucun terme ni aucun ŽnoncŽ ne peut avoir une quelconque force performative sans cette historicitŽ accumulŽe et dissimulŽeČ[113] SimultanŽment, Le performatif  est un rituel dÕinstitutionnalisation du social, cela signifie que Le performatif Ē est une lÕune des faons, puissantes et insidieuses, selon lesquelles, sous lÕeffet dÕappels dÕorigine diffuse, les sujets acquirent une existence sociale et sont introduits ˆ la socialitŽ par des interpellations puissantes, ˆ la fois diffuses et variŽs. En ce sens, le performatif social joue un r™le crucial non seulement dans la formation du sujet, mais Žgalement dans la contestation politique et la reformulation continuelle du sujet. Le performatif nÕest pas simplement une pratique rituelle : cÕest lÕun des rituels majeurs par lesquels les sujets sont formŽs et reformulŽs. Č [114] La construction du sujet est ainsi au cĻur du mouvement linguistique, un procŽdŽ qui permet simultanŽment dÕaccumuler et de disposer de la richesse dÕun savoir exprimŽ avec force. La force du langage est aussi une force humaine, corporelle : Ē LÕacte de discours est un acte corporel, la force du performatif nÕest jamais entirement sŽparable de la force corporelle. Č [115] ; cÕest de ce point de vue, le principe de centralitŽ de lÕhomme parlant qui fixe lÕhistoire comme la production de divisions, de distorsions de lÕhistoire, le principe structurant de la sŽparation construisant lÕhistoire comme un langage de force, et non comme un concept dÕusage de lÕhomme ˆ lui-mme. CÕest dans ce contexte quÕelle affirme que Ē LՃtat produit les discours de haine. Č [116]. Elle analyse la violence verbale dirigŽe contre les minoritŽs. Elle montre les limites, et les dangers de confier ˆ lՃtat le soin de dŽterminer le droit du dicible et de lÕindicible. Car la puissance souveraine de lՃtat nÕest en fait contenue que dans son langage, que dans la menace quÕil impose (le langage du droit) et par la sŽcuritŽ que cela impose (le langage de la promesse) en contrepoints dÕun Žchange, dont nous ne comprenons le commerce, mettre en Žquilibre les conditions de lÕexercice dŽmocratique, dont on comprend lˆ encore le sens, puisque son exercice est censŽ se produire dans ce lieu de parole quÕest le parlement (le lieu instituant la parole souveraine). Ē Dire et manifester lÕaltŽritŽ au sein de la norme (lÕaltŽritŽ sans laquelle la norme ne Ē se conna”trait pas elle-mme Č), manifeste lՎchec de la norme ˆ rendre effective la portŽe universelle quÕelle reprŽsente, ce quÕon pourrait appeler lÕambivalence prometteuse de la norme. LՎchec de la norme est rŽvŽlŽ ˆ travers la contradiction performative rŽalisŽe par celui qui parle en son nome, alors mme que ce nom nÕest pas encore dit le dŽsigner, lui qui sÕinsinue malgrŽ tout assez dans le nom pour parler Ē en Č lui. Č [117]

 

Elle prŽsente me semble-t-il une thse centrale, selon des modalitŽs de luttes politiques auxquelles je souscris totalement. Elle Žnonce une thŽorie fondamentale du politique dans le langage et dans la posture du langage : Ē Le Ņcoming outÓ se veut un exemple contagieux, supposŽ crŽer un prŽcŽdent et provoquer une sŽrie dÕactes de structure similaire dans le discours public. Č[118]

 

La sociŽtŽ chose, la sociŽtŽ mot, lÕinstitution et sa reprŽsentation nominative, ne sont plus. Il ne reste quÕun hypertexte quÕutilise toutes les forces, toutes les individualitŽs pour manifester de leur unicitŽ, de leur humanitŽ, de leur existence dans une multitude humaine se quantifiant en milliards croissants, dans un univers de plus en plus fini, dans un monde de plus en plus obsolte par sa finitude, par sa concrŽtude. LÕhomme nÕa plus de terra incognita, si ce nÕest la sienne, celle qui sÕimpose par la puissance de son langage ˆ raconter des histoires (vous comprendrez cette expression sous tous ses sens, y compris, le sens le plus enfantin). CÕest dans ce sens Žgalement que ce reconfigure la lutte des classes. Le langage nÕest plus simplement un procŽdŽ structural et historique, il est le seul lieu o se partage les frontires du politique, des hommes entre chaque hommes. Le langage et la reprŽsentation dÕun homme sont ainsi sont aussi bien sa dŽfense, que ses moyens de riposte. Si chaque homme dŽveloppŽ est un mini-ƒtat, comme lՎnonce Wim Wenders, il a ainsi les voix de son existence, de son identitŽ, de sa mŽmoire pour imposer son autoritŽ, qui consacre la souverainetŽ du sujet.

La souverainetŽ du sujet est ainsi simultanŽment, sa force pour se pŽrenniser, et aussi, sa faiblesse par le fait des appŽtits quÕelle impose sur le trop grand nombre de cas que nous connaissons. CÕest probablement dans ce sens quÕune philosophie de lÕavoir nous manque le plus, pour pouvoir riposter ˆ toutes les imprŽcations conservatrices.

 

 

 

II/ La reconstruction contemporaine de la philosophie politique : rŽvolution conservatrice

 

 

 

Si la philosophie politique, ˆ diffŽrents moments de lÕhistoire des sociŽtŽs dŽveloppŽes, a influencŽ lÕordre et le discours politique, la question ˆ lՎpoque contemporaine semble beaucoup plus complexe ˆ cerner, tant les dŽcalages, entre lÕordre du discours philosophique et les rŽalitŽs politiques du moment, sont importants. Notre Žpoque est un moment privilŽgiŽ de lÕhistoire des idŽes politiques, o les critiques et les idŽes sՎnoncent, se dŽveloppent et sÕaffirment dans lÕespace public mondial. La pensŽe critique contemporaine dŽveloppe des champs philosophique, scientifique et politique denses, complets et applicables (NŽgri, Hardt, Agamben, Chomsky, Bourdieu, etc.).

Cette pensŽe critique se heurte, probablement, ˆ la plus grande rŽvolution conservatrice de lÕaprs second conflit mondial[119] (la premire rŽvolution conservatrice du XXe sicle sÕest dŽveloppŽe dans lÕusage et le dŽtournement de la pensŽe radicale NietzschŽenne, combinŽe et imbriquŽe aux discours idŽologiques du nationalisme, du racisme, de lÕexploitation des logiques de classes, de la dŽpression et de la dŽrive heideggŽrienne). Cette seconde rŽvolution conservatrice du XXe sicle, comme on lÕobserve empiriquement, au sein du monde universalisŽ amŽricano-europŽen, sÕappuie sur lÕordre de la terreur mortifre heideggŽrien, donc post nietzschŽen, de lՎnonciation de la fin (cf. Fukuyama, Finkelkraut, Lipovestki, BaverŽs, etc.). Elle se dŽveloppe dans des champs de discours ˆ proprement parler rŽactionnaire (en France, Carrre dÕEncausse, Ferry, Renaut, Goyard-Fabre, Revel, etc.).

Les deux thses philosophiques et politiques sÕopposent doublement, puisque la pensŽe critique propose une lecture positive du monde, pour sÕappuyer sur ces rŽalitŽs proposŽes, et construire pour lÕessentiel une nouvelle relation politique et Žconomique, alors que la pensŽe conservatrice sÕappuie sur plusieurs champs et plusieurs dimensions de lÕhistoire et le contr™le du temps et de lÕespace politique, pour reproduire lÕhistoire ou pour la conserver par immobilisme. Cette pensŽe sÕenracine aujourdÕhui soit dans une conception dogmatique contemporaine ou historique. La pensŽe contemporaine conservatrice est inŽluctablement amŽricaine et libŽrale (cf. Hayek), mais elle peut tre totalement rŽactive ˆ la modernitŽ, ˆ lÕincontr™lŽ, et devenir fermŽ et rŽgressive, pour quÕun contr™le politique total reprenne ses droits sur le chaos social du temps[120]. Arendt et Aron, bien sžr, pour une idŽe dÕun conservatisme pragmatique, mais aussi, le conservatisme originaire, celui de Burke notamment, qui conna”t durant chaque pŽriode de rŽvolution conservatrice et rŽpressive des Žmules, sont les auteurs les plus centraux sur lÕensemble du dispositif thŽorique et philosophique conservateur.

Si le conservatisme naquit en rŽaction ˆ la RŽvolution franaise (Joseph de Maistre en est la reprŽsentation parfaite, dans sa critique et par son romantisme, dans un cadre qui rapproche toujours les rŽactionnaires et les rŽvolutionnaires), c'est au XXe sicle que les inquiŽtudes des conservateurs se rŽalisrent comme de malheureuses prophŽties. LÕesprit conservateur se fixait ˆ lÕorigine par la croyance en un ordre moral et transcendant, par le gožt du pluralisme social, par le sens de la hiŽrarchie, par l'amour des coutumes et des traditions, par le culte de la propriŽtŽ privŽe, par la mŽfiance ˆ l'encontre des idŽologies rŽformistes et par l'attachement au principe de continuitŽ historique[121], se transforme et se dŽforme en temps de crise. Mme le conservatisme soutenu par Hannah Arendt ne me para”t pas recevable. Chez Arendt, le conservatisme n'a rien ˆ voir avec la mŽfiance viscŽrale des traditionalistes ˆ l'Žgard du changement. C'est une inquiŽtude pour ce qui existe, un sentiment aigu pour la stabilitŽ du monde, un monde qui devrait se soucier de son hŽritage. Le conservatisme nÕa alors de sens que face ˆ la liquidation totalitaire. Le cercle se ferme alors. Totalitarisme contre conservatisme. Conservatisme contre totalitarisme. La formule devint ˆ lÕissu du second conflit mondial le cycle rŽcurrent de la lenteur burkienne, de lÕimmobilisme et du renforcement des autoritŽs qui lÕentretiennent jusquՈ lÕabsurde, jusquÕau point mme de crŽer totalement lÕincertitude, seul vŽritable focal, seul point de lŽgitimitŽ de lÕaction de gouvernement. Les forces sociales et politiques conservatrices ont actuellement ceci de commun quÕil ne sÕagit plus de structurer, de rassurer le prŽsent et lÕavenir par un continuum dÕidŽes, dÕinstitution et de valeurs. Il sÕagit de bloquer, de fermer ˆ tous prix les acquis individuels et les acquis de groupe, en imposant dogmatiquement les risques que lÕon encourt ˆ modifier lÕordre existant des choses.

Chaque force politique, incarnant des forces sociales, ne fait pas le choix de la rŽforme et/ou de la rŽvolution (en France, le vide est alors conservateur puisque ces derniers, par dŽfaut, ne peuvent emprunter ˆ lÕidŽologie nŽo-libŽrale quÕun discours appauvri de sens et de faits, puisque la rŽalitŽ de lՎconomie politique libŽrale menacerait lÕordre social conservateur corporatiste et administratif de leur Žlectorat. Ce vide est Žgalement de gauche, puisque les socio-dŽmocrates, pour lÕessentiel, ne peuvent se heurter quՈ la mme idŽologie nŽo-libŽrale pour se rŽgŽnŽrer (le jospinisme est ˆ cet Žgard une figure centrale de la rŽaction conservatrice sociale libŽrale), et ne trouver quÕune impasse face aux blocages historiques de partis qui se remŽmorent leurs origines, pourtant enterrŽes, en France, depuis 1983, et le virage de la rigueur pr™nŽ par Jacques Delors).

LÕinterdiction post-moderne mitterrandienne dՐtre de droite ou de mener une politique conservatrice forcŽment rŽactionnaire et out, nÕa pu ramener ces derniers aux affaires que par lÕenferment et la fragmentation sociaux et politiques du pays, puis par les manĻuvres sŽcuritaires quasi-barthiennes o la stratŽgie est dÕeffrayer pour mieux sŽcuriser[122]. Les pouvoirs conservateurs enfin affranchis de lÕombre tutŽlaire et intellectuelle de Mitterrand, jouent des contorsions pseudo humanistes pour justifier dÕune rŽpression, renversant la dialectique de lÕex-locataire de lՃlysŽe (Sarkozy expulse les Žtrangers en situation irrŽgulire, sous lՎgide de la Croix Rouge, mais au mieux, il expulse sur le seul fondement que lÕon ne peut accueillir toute la misre du monde, ou au pire pour rŽpondre ˆ lՎcho populaire raciste, parce que ces ngres et ces arabes sont des dŽlinquants). Or, nous le savons sans avoir ˆ nous appesantir sur ce point, Raymond Aron qualifiait dŽjˆ de Ē religion sŽcuritaire Č, ce culte dՃtat qui est un culte de lՃtat, avec ses ftes civiles, ses cŽrŽmonies civiques et ses mythes nationaux ou nationaliste, toujours prŽdisposŽs ˆ susciter ou ˆ justifier le mŽpris ou la violence raciste, et qui nÕest pas le fait des seuls ƒtats totalitaires. Le vide nÕest alors quÕune absence de fondement ˆ lÕaction publique. Une autre faon de concevoir le clientŽlisme politique face ˆ une sociŽtŽ violente, toujours en qute des mmes exutoires, des mmes boucs Žmissaires, selon des propos offerts en prime par les socio dŽmocrates, garantis Žlectoralement par la communautŽ musulmane intŽgrŽe. Mitterrand, cet homme de droite, pur produit de la IVe RŽpublique, ne pouvait tre le seul quՈ rassembler et ˆ imposer la gauche aux affaires. AujourdÕhui, le processus sÕinverse, la droite se recouvre des discours issus des forces de gauche, tant pour conquŽrir le pouvoir (cf. la fracture sociale chiraquienne de 1995), que pour justifier de ces programmes rŽactionnaires, contre tous ceux dont la bonne sociŽtŽ veux la tte (Žtrangers, mendiants, pauvres de tous poils, dŽviants de toutes catŽgories, toxicomanes, prostituŽs). Les barbares sont encore au pouvoir. Ils ne gouvernent toujours pas pour la chose publique, mais en son nom, pour garantir des intŽrts de classes corporatistes, forts de procŽdŽs politiquement inconvenants, humainement dŽshonorants, dont le premier objet est de dŽsavouer la diffŽrence identitaire, en sŽlectionnant les bons franais des mauvais.

 

 

LÕunique choix fait par toutes les forces reprŽsentŽes est celui du pourrissement[123], de lÕattente de la crise, et/ou de la production de la crise, seule source lŽgitime de la mutation de lÕordre existant. CÕest en ce sens moderne o le capitalisme moderne sert de justification, et produit simultanŽment les crises essentielles ˆ la pratique politique du gouvernement dÕexception et de crises. La gestion gouvernementale de lÕimpossible Š la logique de la tolŽrance zŽro par exemple, ou du zŽro gŽnŽralisŽ aux rŽsultats ˆ obtenir, est ˆ scander dans le discours des politiques publiques, ˆ gŽnŽraliser dans la production du mythe de la productivitŽ des modles managŽriaux Š devient lÕarbre qui cache la fort des problmes que lÕon pourrait rŽsoudre ou limiter pragmatiquement (cf. les finances publiques, lՎconomie sociale, le marchŽ de lÕemploi, etc.). Cette gestion de lÕimpossible devient Žgalement le facteur de production lŽgitime des modles juridiques en dŽcoulant, sÕopposant ainsi ˆ la multitude. A lՎcho de la perfection des modles nŽolibŽraux du management public, la multitude doit obtempŽrer, et se soumettre collectivement et individuellement, ˆ un ordre juridique du droit ŽlaborŽ sur le principe de responsabilitŽ, de prŽcaution, dÕassujettissement aux risques[124] ; nouveaux signes du production de relations disciplinŽs, auto disciplinŽ ˆ la multiplicitŽ contraignante dÕune responsabilitŽ juridique gŽnŽralisŽe, dÕune surinformation terrorisante, dÕune nŽcessitŽ de production asservissante, dÕun besoin pavlovien de consommation, etc.

Cette rŽalitŽ du politique sur lÕordre de la multitude, cette rŽalitŽ gŽnŽralisŽe de la contrainte, dÕune aliŽnation gŽnŽralisŽe aux classes possŽdantes, simplement graduable par le rapport ˆ la plus value Žconomique, par le rapport ˆ la valeur de la connaissance acquise, par le rapport esthŽtique de la valeur de son corps, de son image, de son ic™ne, cette rŽalitŽ rejaillit, dans son urgence, mais sÕestompe du discours savant, thŽorique et philosophique. Le combat contre le conservatisme, ce combat contre le vide de la pensŽe, est Žpuisant et simultanŽment stŽrile, semble bloquer une philosophie politique positive, constructive ; le combat des conservateurs Žtant de nous soumettre ˆ lՎpreuve de force, de sÕimposer ˆ notre critique, par seule stratŽgie de lÕimmobilisme, comme une Žquipe de football jouerait la montre, en croyant tre ˆ lÕabri dÕun retour de lÕadversaire[125].

 

Ce combat dÕidŽes philosophiques, ˆ proprement parler politique, fait le discours et lÕengagement intellectuel de notre temps. Dans lÕordre du discours politique, lÕon ne peut tre que mondialiste ou nationaliste, cosmopolite ou ethnocentriste, que dŽmocrate participatif ou dŽmocrate reprŽsentatif, etc. La philosophie politique contemporaine offre ainsi une nouvelle dualitŽ idŽologique ˆ soumettre au pouvoir, aux dŽbats, ˆ la rŽalisation dÕun ensemble politique plus harmonieux.

Les fondements de cette dualitŽ politique, et les interrogations qui en dŽcoulent, sont Žconomiques et territoriaux (Quelles relations politiques au travail, au capital ? ; quelles relations politiques ˆ lÕespace public, aux territoires ?), mais sont Žgalement dans le champ juridique ˆ dŽterminer pour Žtablir une nouvelle relation et un nouveau discours politique entre lÕautoritŽ dŽvolue et le pouvoir des individus et des institutions. LՎconomique et lÕespace sont autoproduits dans des formes dynamiques dÕintŽrts complexes, hors et dans le droit, pour et contre lÕintŽrt de la multitude, pour lÕintŽrt personnel de la classe dirigeante, alors que la relation juridique est toujours le fait dÕune dŽcision, dÕun dialogue, dÕune synthse, et dÕune prise de dŽcision impŽrative, dŽterminŽe dans puis par le champ juridique (cf. JŸrgen Habermas).

Le droit, et notamment le droit public, se retrouve tre alors comme une ossature, une structure ŽlŽmentaire, qui est le produit de la dŽcision politique, elle-mme, quÕelle soit faite dÕun consensus ou dÕun coup de force, Žtant engendrŽ par les propositions complexes du pouvoir de lՎconomie politique. Ce systme de canalisation du pouvoir se dŽroule en trois phases : problme de gestion publique et conflits dÕintŽrts privŽs, dŽcision politique de lÕappareil institutionnel apportant les solutions, juridicisation de la dŽcision dŽterminant les comportements ˆ suivre pour ne plus engendrer le problme. Le droit saisit alors autant les problmes dÕintŽrt public, que les conflits dÕintŽrts de la classe de commandement.

 

Nous le constatons, les transformations de la philosophie politique ne se mesurent pas exclusivement sur lՎchiquier de lÕidŽologie et de ces luttes. Le discours philosophique contemporain peut se transposer Žgalement sur le champ propre de lՃtat, institution de lÕautoritŽ politique moderne et contemporaine. Il appara”t, hors du discours critique contemporain, que la philosophie contemporaine soit encore marquŽe par la dualitŽ de lÕorganisation dialectique et historique de Hegel, et la critique historique de lՎconomie politique de Marx et de Engels. Point de salut, hors de ces dŽbats, qui sont encore aujourdÕhui, la marque du classicisme. Pourtant il semble que le dŽbat puisse tre alimentŽ, et renouvelŽ mme en partie.

La pensŽe hŽgŽlienne, si comme lÕaffirme Derrida, doit tre souvent remise en question, sur lՎtabli de la pensŽe (Ē je nÕai de cesse que de mÕexpliquer indŽfiniment avec Hegel Č), le discours marxiste peut faire lÕobjet, triste me semble-t-il, dÕune lecture spectrale[126]. La pensŽe de Hegel est une pensŽe pure, dŽfaite de lÕordre des choses, du naturalisme notamment, pour imposer la raison et la rationalitŽ. Chez Hegel, le droit est la libertŽ et lՃtat est la raison. En raisonnant in abstracto, il appara”t clairement que Hegel pose les conditions modernes du pouvoir politique rationnel et raisonnŽ. Alors mme que Marx et Engels proposent un discours non philosophiques, a proprement parlŽ matŽrialiste, qui pose la critique du rŽel et de tous. Leurs oppositions, de ce point de vue, me semblent insatisfaisantes. Husserl, dans sa lecture problŽmatique de la crise europŽenne, pose simplement la question de la rŽalitŽ historique, rŽalitŽ objective, de la rŽalitŽ de lÕinterrogation, rŽalitŽ subjective. Husserl reconditionne synthŽtiquement le dŽbat prŽsent de la philosophie de lÕentre-deux-guerres. Notre savoir, explique-t-il, est un hŽritage de la pensŽe grecque dramatisŽ par la science galilŽenne. Le monde naturel est devenu une mathŽmatique appliquŽe : Newton ou Einstein, cÕest tout un. Dans la thŽorie comme dans la pratique, nous nÕavons plus affaire quՈ des formules abstraites et sans vie.

LՃtat, en tant quÕinstitution du politique, est rŽduit ˆ nՐtre hors du champ de la pensŽe et de la rŽflexion, hors du rŽel, pour imposer pourtant une par de la rŽalitŽ. La politique rŽelle de lՃtat est ainsi transformŽe aprs guerre par la comptabilitŽ analytique, les sciences managŽriales, la gestion publique comme les exigences dogmatiques de lÕordre professionnel politique lÕimposaient. LÕidŽe nÕest plus en conflit avec lÕhistoire matŽrielle, lÕidŽe est hors de son champ. Ce dŽcalage est bien entendu une question de temps et de vitesse. La philosophie est lÕotage de sa lenteur. Elle impose le recul, la distance, la sortie, lÕexclusion. Elle est dans lÕhistoire toujours plus rapide, mais dans notre temps hypermoderne, elle ne peut tre quÕhyperlow (les conditions ontologiques du marchŽ imposent une accŽlŽration du temps que nul nÕavez connu auparavant. Plus que lÕoffre et la demande, comme moteur de la production et de la consommation, de la richesse et de la pauvretŽ, du capital et du travail, lՎconomie capitaliste de marchŽ est une institution de lÕinstant, voire de lÕavant[127]. LՎconomie libidinale, pour reprendre la formule de Jean-Franois Lyotard, est ainsi une Žconomie de la monstration, de lÕattraction, de la destruction, qui impose lÕinstantanŽitŽ des cožts de production, et la radicalitŽ destructrice de la consommation).

Le capitalisme sÕest rŽgŽnŽrŽ, alors quÕau mme moment la situation sociale se dŽgradŽe[128], renforant le principe thŽorique de lÕhistoire dŽveloppŽ par Fernand Braudel. Le capitalisme dŽrogerait au systme de marchŽ, puisque le capitalisme nÕest quÕun ŽlŽment singulier de la rgle standard des Žchanges des marchŽs. Ē Le rapport de forces, ˆ la base du capitalisme, peut sÕesquisser et se retrouver ˆ tous les Žtages de la vie sociale. Mais enfin, cÕest en haut de la sociŽtŽ que le premier capitalisme se dŽploie, affirme sa force, se rŽvle ˆ nos yeux Č[129]. Bien entendu derrire la rŽforme de lՃtat, il ne faut voir que le voile communicationnel, dÕun pouvoir qui cache bien mal sous ces rŽformes administratives ou fiscales, lÕeffondrement de la sociŽtŽ, et le renforcement des sphres dÕautonomie ˆ des individus totalisant les capitaux essentiels[130].

Le paradoxe nÕen nÕest donc pas un. LÕinvestissement industriel et son effet mŽcanique direct sur lÕemploi notamment, se sont dŽprŽciŽs au profit de lÕinvestissement financier. Ainsi entre 1983 et 1993, la capitalisation boursire de la place de Paris est passŽe de 225 ˆ 2700 milliards de francs pour les actions et de 1000 ˆ 3900 milliards de francs pour les obligations[131]. Ce dŽplacement quantitatif de la valeur et de ses vecteurs nÕest pas le seul facteur de la transformation du capitalisme contemporain. Les mouvements de fusions acquisitions des p™les multinationaux ont pu se rŽaliser avec lÕagrŽment explicite ou implicite des ƒtats occidentaux qui ont permis la dŽrŽgulation fiscale, sociale, salariale, permettant pour lÕessentiel la flexibilisation du travail. Ē CÕest un modle complet du management de la grande entreprise qui sÕest transformŽ sous cette poussŽe pour donner naissance ˆ une manire renouvelŽe de faire des profits Č[132]. Cette dŽmultiplication de la valeur, nous le savons, nÕa pourtant pas profitŽ aux populations laborieuses. å lÕinverse, un appauvrissement ˆ fait jour, notamment pour les populations actives, la croissance rŽgulire du nombre des ch™meurs et de la prŽcaritŽ du travail, la stagnation des revenus du travail sont devenus les standards sociaux, dont il ne nous appara”t mme plus quÕils soient des ŽlŽments liŽs ˆ lՎvolution globale de lՎconomie mondiale. å tel point, quÕil ne semble pas inconcevable dÕaffirmer que le premier vecteur dÕinsŽcuritŽ soit Žconomique.

Cette Žvolution Žconomique et cette rŽgression sociale ne sont pas neutres. Aux ƒtats-Unis, la part du revenu national de la fŽdŽration est absorbŽe par les 5 % des tranches sociales les plus nantis, de 15,5 % en 1980 ˆ 21,9 % en 2000. La part des 80 % les moins riches est tombŽe de 56,9 ˆ 50,6 %[133]. Les chiffres sont Žloquents, presque formulŽes comme une sentence, donnant au capitalisme de marchŽ, le mme sens que son prŽdŽcesseur historique, en reformulant sa forme et en inversant sa dynamique de production vers la consommation, mais en demeurant un extraordinaire systme de sŽgrŽgation Žconomique et sociale, signifiant bien cette histoire impŽriale Žternellement reformulŽe, Ē combinant dŽveloppement dÕune ploutocratie et expansion dÕune plbe Č[134], et ne se rŽaffirmant que dans sa propre destruction. Destruction du travail, destruction de la valeur, le capitalisme de production ou de consommation ne se rŽalise, dans son manque de pondŽration et dՎquitŽ sociale, que dans les mŽcaniques automatique de concentration des capitaux de toutes natures, et dans les dŽsirs immanents de ces acteurs, vŽritables moteurs de lÕinstitution globale.

La fin du travail, tel que lՎnonce Jeremy Rifkin, est ainsi la redŽfinition de la fonction travail dans une histoire de longue durŽe, et sa redistribution immŽdiate sur les territoires mondiaux[135]. LՎnoncŽ empirique de Rifkin, nous le connaissions dŽjˆ de la mŽtaphore deleuzienne : Ē le capital est du travail mort qui, semblable au vampire, ne sÕanime quÕen suant le travail vivant, et sa vie est dÕautant plus allgre quÕil en pompe davantage Č[136]. Si l'automatisation a commencŽ ˆ dŽtruire les emplois non qualifiŽs, ses effets ne s'arrteront pas lˆ : tous les secteurs et toutes les catŽgories de travailleurs seront atteints par ce bouleversement technologique, la plupart du temps reliŽ par la dŽterritorialisation du travail ˆ faible cožt, concernant aussi bien les secteurs premiers de lՎconomie que lՎconomie des services. La crŽation d'emplois dans les branches nouvelles du quatrime secteur dÕactivitŽ, celles liŽes au savoir, ne suffira pas ˆ absorber les milliers d'emplois perdus. Les technologies dŽvoreuses d'emplois nŽes de la rŽvolution de l'information envahissent tous les secteurs d'activitŽ. Si certains emplois sont crŽŽs, ils sont souvent temporaires et mal payŽs.

Le monde capitaliste est en train de se polariser dangereusement : d'un c™tŽ, une Žlite de gestionnaires, de chercheurs et de manipulateurs d'information surqualifiŽs ; de l'autre, une majoritŽ de travailleurs prŽcaires, sans perspective d'avenir et d'emploi stable dans un monde de plus en plus automatisŽ, reprŽsentant une fois de plus lÕunivers impŽrialiste fait dÕune caste, et dÕune sous caste, dÕun prolŽtariat et dÕun sous prolŽtariat.

La destruction du travail nÕest pas le seul phŽnomne du capitalisme contemporain, puisque lÕactualitŽ montre les difficultŽs identiques sur la valeur, et ainsi de la plus-value. La destruction des prix et les risques dՎconomie de dŽflation en sont la preuve. Ce que les japonais nomme le Ē kakaku hakai Č (la destruction des prix) est un des phŽnomnes majeurs de lՎconomie de crise rŽcurrente depuis prs de dix ans au Japon. La dŽflation est un cercle vicieux dans lequel la baisse des prix engendre une baisse des revenus, laquelle, ˆ son tour, entra”ne une rŽduction de la demande, donc de l'activitŽ, incitant les entreprises concernŽes ˆ rŽduire ˆ nouveau leurs prix pour tenter de regonfler les ventes. Et la spirale continue. L'explosion des bulles immobilire et financire a en effet conduit l'archipel nippon dans une telle situation que les politiques monŽtaire (baisse des taux d'intŽrt) ou budgŽtaire (forte hausse de la dŽpense publique) restent sans effet. Les experts parlent mme de Ē trappes ˆ liquiditŽs Č : persuadŽs que les prix de demain seront moins ŽlevŽs que ceux d'aujourd'hui, les mŽnages japonais prŽfrent Žpargner le surplus d'argent injectŽ dans l'Žconomie par le gouvernement. La situation nippone est d'autant plus prŽoccupante que les taux d'intŽrt atteignent un niveau proche de zŽro. Quant aux dŽpenses publiques, le dŽficit fr™le les 10 %. Ce risque beaucoup le craigne en Allemagne avec le risque de contamination de tout le continent europŽen[137], et on lÕannonce mme aux Etats-Unis, o Ē l'ŽventualitŽ d'une baisse marquŽe et non dŽsirable de l'inflation, bien que faible, l'emporte sur celle d'une reprise de l'inflation Č[138].

Ce phŽnomne semble se constituer dans le cadre nuancŽ de la valeur monŽtaire. La monnaie qui participe ˆ la consommation nÕest pas de mme nature que la monnaie qui constitue lՎchange financier. La monnaie de consommation est en rapport ˆ la production dÕun travail ou la consommation dÕun bien ou dÕun service. La monnaie financire reprŽsente un systme de coefficients diffŽrentiels de production sur diffŽrents termes temporels. Dans le premier cas, la monnaie se rŽflŽchit limitativement par lՎchange, dans le second, elle se rŽinitie et se dŽmultiplie dans la reprŽsentation boursire entre production et capitalisation[139]. Le dŽcodage des flux du travail et le surcodage dŽdoublŽ des flux de valeur reprŽsentent le capitalisme contemporain, ˆ un niveau de nihilisme qui manifeste tant la somme des dŽsirs dÕaccumulation, que les effets mŽcaniques de lÕaccumulation. Ē La vŽritable barrire de la production capitaliste, cÕest le capital lui-mme Č[140]. Ce phŽnomne sÕest transposŽ dans le capitalisme de marchŽ, qui fait que la vŽritable barrire de la consommation marchande, cÕest le marchŽ lui-mme.

 

 

La question philosophique de lՃtat laisse percer, malgrŽ tout, une problŽmatique gŽnŽrale du temps et du pouvoir[141]. Le marchŽ contemporain, lÕindividu, agent dŽsirant producteur et consommateur, lÕordre social, toutes les mŽdiations sociales sÕaccŽlŽrant en se dŽveloppant par le biais de la machine communicante, se heurtent et sÕinterpŽntrent ˆ lÕautoritŽ et aux compŽtences publiques. La crise de mutation de lՃtat est ainsi marchande et communicationnelle. Si lՃtat spectacle semble conna”tre des mutations de la reprŽsentation politique[142], ainsi que de la reprŽsentation du politique, lՃtat gestionnaire conna”t de graves difficultŽs dÕadaptation aux temps productifs et consumŽristes hyper rapides. La rŽalitŽ positive de lՃtat contemporain en fait ainsi une curiositŽ historique, dŽcalŽe avec son temps marchand, seule garant dÕune autoritŽ partagŽe avec les structures de commandement financier et marchand, seule autoritŽ partagŽe avec les nouvelles institutions publiques, locales et internationales. Organiquement et juridiquement, lՃtat est en pices, en morceaux, en rhizome. Il ne faut plus rechercher une dimension de lÕun et du multiple, ni de leur dialectique propre, mais sÕintŽresser ˆ la multitude, seule forme structurale de lÕindividu, de la sociŽtŽ, et de lÕordre quÕil les entretient. LÕhŽgŽlianisme peut alors sÕachever. LÕindividu est toujours rŽfŽrant, mais pas dans sa reprŽsentation opposŽ et sŽparŽ de lÕordre, il est lÕordre, multiple, complexe, singulier, il renvoie rŽflexivement sa forme par ses discours. Ainsi si la forme instituŽe du pouvoir se diffuse, se dŽfait, ce nÕest pas par crise de lÕunitŽ institutionnelle de lÕordre, cÕest par transfert global de la multiplicitŽ de lÕhomme dans lÕordre de ses mŽdiations. LÕhomme complexe appara”t ainsi aussi bien dans la pensŽe freudienne, que dans lÕanalyse des sciences sociales et humaines. Ē LÕhomme unidimensionnel Č comme nous lÕa appris Herbert Marcuse nÕest en fait quÕune rŽplication de la structure Žconomique et politique. Il nÕen demeure pas moins, aprs que les invariants structurels et culturels se soient redŽployŽs systŽmatiquement, chaque personne demeure unique par sa biologie propre, et par son histoire personnelle. LÕADN et lÕhistoire de la personne deviennent les variables propres de la personne, quÕelles soient le fait de la continuitŽ (la biologie hŽrŽditaire), ou de la discontinuitŽ (la philosophie de la rupture ˆ soi, ˆ sa culture, ˆ ses traditions, ˆ son histoire).

 

La philosophie politique de lՃtat nÕa plus quÕune dimension ŽpistŽmique et historique. La philosophie a perdu de sa magie, de sa capacitŽ de vision. Les mots ont perdu le sacrŽ. Elle nÕest quÕun des ŽlŽments du savoir historique (Arendt, Aron, Foucault, RicĻur, etc.), mme si souvent, elle est encore un achvement du savoir historique (Benjamin). Toute philosophie est donc historique, comme toute homme est une histoire, et non plus un tre abstrait, sorti de lՎtat de nature, puis de lՎtat de libertŽ et/ou de domination. En deˆ de cet Žvidence matŽrielle et intellectuelle, il ne reste quÕun rhizome construit par la philosophie morale (Arendt, RicĻur, Rawls etc.), la philosophie des sciences, la philosophie esthŽtique (Adorno, Baudrillard, Foucault, Bourdieu, etc.), la philosophie mystique et humaniste (RicĻur, Levinas, etc.) ; la philosophie politique nՎtant plus quÕun des ŽlŽments du rhizome dÕidŽes, dans une histoire si rapide, que nous en perdons la mŽmoire instantanŽment.

 

Il nÕen demeure pas moins, au final, que la politique nÕinfluence pas en retour la philosophie. Le prince philosophie nÕest plus (tout comme lÕartiste, le musicien, le peintre, lÕintellectuel, le philosophe nÕest plus. Non que sa figure ne demeure pas mais plut™t que son usage nÕest pas pensable, pour demeurer crŽdible dans une sociŽtŽ en mouvement Š la stature du philosophe mŽdiatique de BHL ou de Luc Ferry en est la preuve patente -). CÕest lÕensemble du systme de relations humaines, et donc de relations politiques, qui est philosophique. La philosophie du don de Mauss, ou la philosophie de lÕhospitalitŽ de Derrida montre le sens nouveau dÕune philosophie politique de la relation humaine, qui est basŽ sur tous les hommes, et non plus sur lÕhomme mythique, lÕhomme providentiel ou lÕhomme dՃtat.

 

La philosophie politique est ainsi aujourdÕhui, basŽe sur le temps et histoire, transcendŽ par le langage, dŽmultipliant la vŽritŽ et ses possibilitŽs, sŽparant la Raison et la rationalitŽ, ˆ un point o la dŽraison et lÕinversion sont peut-tre les clefs du systme. Ē Une histoire, comme lÕa dit Foucault, qui ne serait pas celle de ce quÕil peut y avoir de vrai dans les connaissances ; mais une analyse des jeux de vŽritŽs, des jeux du vrai et du faux ˆ travers lesquels lՐtre se constitue historiquement comme expŽrience Č (Michel Foucault, Ē Cours du Collge de France du 6 fŽvrier 1982 Č). LÕhistoire reconduite ˆ la vŽritŽ et au sujet, renforce le propos, le souligne et le surligne, le dŽpasse et le traverse, le texte, la dialectique, lÕanalyse se confondent au rŽel, au pouvoir, au point de devenir lÕenjeu majeur de toutes les forces de domination[143].

 

Les thmes du pouvoir que sont lՃtat, la DŽmocratie, la Justice et le Droit sont pris dans un temps de dŽconstruction de leur champ pour devoir se dŽfaire et se refaire. LՃtat est abandonnŽ ˆ son sort de catharsis sociale et Žconomique, le LŽviathan nՎtant plus fait que de ses sŽparations mythologiques et rŽelles, au point de se dŽmultiplier selon des modles dÕentropie inŽdit en ce domaine. La DŽmocratie est otage de lÕordre dogmatique prŽexistant du pouvoir de classe, du pouvoir marchand et financier, qui retient son dŽveloppement et son achvement par la recherche du mouvement politique permanent. Le Droit est relatif, tant il se conoit exclusivement comme une mŽmoire, et non comme un moyen dÕaccs aux mŽdiations sociales et politiques. Enfin, la justice est absente du discours politique, et du discours philosophique, il ne reste quÕune philosophie politique rare, celle de NŽgri, de Hardt, dÕAgamben, notamment, qui montre lÕunique ontologie politique propre ˆ une sociŽtŽ dŽveloppŽe, autrement que par sa force, sa puissance ˆ commander ou ˆ produire.

 

Je suis convaincu que nous nous confrontons aux rŽalitŽs dÕun fascisme, qui nÕest pas symbolique ou soft, mais bien restructurŽ sur les nouveaux formats de nos temps hypermoderne. Le fascisme ne peut tre que dՃtat, pas exclusivement parce quÕil est ramenŽ ˆ lՎtat larvaire de groupuscules hors de celui-ci, quÕil ne peut tre quÕinconscient et gŽnŽralisŽ par le jeux complexe des subjections, quÕinstrumentalisŽ dans des discours dՃtat, dans des macro et des micro histoires, qui sont autant dՎchos ˆ leurs barbaries. LÕUrstaat deleuzien rŽappara”t, le Morgoth sÕest diffusŽ, sÕest rendu multiple jusquՈ lÕextrme capillaritŽ, jusquՈ lÕhomme, jusquՈ son fort intŽrieur, jusquՈ son discours, jusquՈ lÕensemble du discours universalisŽ dÕaliŽnation et de domination, devenant le plus grand rhizome, le plus grand lien unissant les hommes (notre temps est heideggŽrien, et je le regrette profondŽment, car il est fait de vide, dÕennui, dÕangoisse dans lÕespace libre et ouvert laissŽ par chaque histoire humaine[144]). Sous la machine industrieuse de lÕexploitation gŽnŽrale du monde, recouvert des mots en suspension que sont la dŽmocratie et les droits de lÕhomme, se noue milles histoires qui sont aussi le lien de lÕhistoire : chaque homme est dŽsormais porteur du virus structurel de lՎconomie politique mondiale ; chaque homme est dŽsormais lÕinfime mais nŽcessaire rouage de la fabrique anthropophagique universelle. Je repense souvent au mythe ancien du CatoblŽpas, de cet animal lŽgendaire qui devait se dŽvorer pour survivre[145]. Cette figuration se transpose ˆ notre temps par les luttes intergŽnŽrationnelles. LÕennemi de lÕoccident est tellement introuvable dans un univers connu, que lÕennemi ne peut plus tre que soi, que sa descendance. LÕantisŽmitisme relevait dŽjˆ de cette dŽmarche, de combattre lÕidentique et simultanŽment le diffŽrent, de celui qui se cache dans la communautŽ pour la menacer. La sociŽtŽ de lÕaprs guerre se constitue ainsi sur les mmes schmes et prŽsente une folie encore accrue puisque lÕennemi nŽcessaire ˆ toute menŽe politique contemporaine devient lÕenfant. De lÕenfant tyran ˆ lÕenfant martyr[146], lÕoccident, orphelin de toute opposition idŽologique, isolŽ face ˆ un monde oppressŽ et repoussŽ jusquՈ sa limite, se retourne contre lui-mme, contre son futur, pour se nier jusquՈ lÕextrme.

 

Cruelle illusion encore pour un homme, un sujet pensant, qui passe aussi efficacement ˆ c™tŽ de lui-mme. LÕarrachement des structures de commandement Žconomique, religieux, Žtatique ne changera pas fondamentalement la dialectique ˆ rechercher, sur le sort ˆ rŽserver ˆ ceux qui auront subi aussi longtemps ce lavage de cerveaux gŽnŽralisŽ en Ē Occident Č, comme en Ē Orient Č. Le fascisme est universel. Il est total parce que gŽnŽral, il est totalitaire parce quÕintime, parce quÕinvisible, translucide, gŽrable et dirigeable de chacun des promontoires individuels que sont les hommes du XXIe sicle. Politique de rŽgulation des naissances, eugŽnisme prŽ et post nazi (notamment aux EUA), sŽlections sociale et Žconomique, transformation de la linguistique politique par glissement opŽratoire des mots, tels des stratŽgies dÕun langage nouveau ; intervention dans le champ de lÕespace public dÕun ordre biologique constituant et instituant ; dŽmultiplication de lÕusage politique des mŽdias[147] ; influence considŽrable sur lÕart, lÕarchitecture, les habitus les plus ordinaires, etc., le fascisme dŽtruit dans sa symbolique, comme dans la chair enfin putride de ses bourreaux, nÕa jamais vŽritablement disparu (Sous le regard critique et salvateur des artistes, encore publiŽ rŽcemment sous la plume de lՎcrivain tchque Patrick Ourednik, Ē Europeana Š Une histoire brve du XXe sicle Č (Allia, 2004), o lÕauteur par un flot continu et ininterrompu dÕinformations historiques, restitue la reproduction archŽologique du mal, et sa rediffusion rhizomique, en prenant comme rŽfŽrence historique et narrative, lÕextermination de masse de plus de cinq millions de personnes. On pourrait Žgalement citŽ le cas dÕun collectif dÕartistes plasticiens new-yorkais dŽfrayant la chronique lors dÕune exposition sur lÕĒ holocauste Č, en 2003, qui prŽsentait une boite de playmobil Ē Auschwitz Č). Le Ē Reich de mille ans Č hitlŽrien saurait-il toujours tre en lice, dans le politique comme dans lՃtat, dans lՎconomie comme dans la finance, dans la sociŽtŽ comme dans lÕhomme ?

Pour paraphraser la formule de Fernand Braudel, Žtablissant la dialectique essentielle du capitalisme et de lՃtat, Le fascisme ne triomphe que lorsquÕil sÕidentifie avec lՃtat, lorsquÕil est lՃtat. Dans le mouvement global des fascismes du sicle en cours, cette idŽologie du mouvement et du masque, saupoudrŽe sur les hommes comme une fatale naturalitŽ, dont on ne conna”t les effets quÕune fois le drame survenu, impose le maintient du commandement Žtatique, tout en le relativisant, tout en le ramenant ˆ lÕindividualitŽ, pour faire que la police ne soit plus une institution, mais pour que tout individu soit une reprŽsentation policire ; cette police qui Ē devient hallucinante et spectrale parce quÕelle hante tout. Elle est partout, mme lˆ o elle nÕest pas Č[148] (Ē Ė l'intŽrieur d'une telle ontologie, d'un tel royaume de l'ętre, les personnages, comme nous-mmes, sont dans un demi-sommeil onirique en attendant la voix qui va les rŽveiller. (É) Ce que nous ferons alors, pour beaucoup d'entre nous, c'est de mettre bas les masques que nous avons portŽs jusqu'ici - les masques que nous avions pris pour la rŽalitŽ. Les masques qui, prŽcisŽment selon leur fonction, ont rŽussi ˆ tromper tout le monde. Nous avons ŽtŽ comme autant de Palmer Eldritch, marchant ˆ travers les brumes glaciales et le brouillard d'un crŽpuscule d'hiver, mais bient™t nous Žmergerons de sous le masque de guerre et de fer pour rŽvŽler notre vrai visage. Č[149]). CÕest lˆ le grand pŽchŽ dÕorgueil des amŽricains, cÕest dŽjˆ leur faute originelle (avec bien entendu le fait quÕils ne peuvent avoir aucun contr™le biologique rŽel sur leur population. Les Etats-Unis sont devenus dŽmographiquement un Žchantillon cosmopolite, dՈ peu prs 4%, de la plante), car le dŽmontage de lՃtat, dans sa structure notamment, montre lÕaffaiblissement global de lՃtat fŽdŽral, seul modle pourtant de lÕinstitution contemporaine.

 

 


 

Bref dictionnaire de termes savants

 

 

- ŽpistŽmologie : Žtude critique des sciences, destinŽe ˆ dŽterminer leur origine logique, leur valeur et leur portŽe

- paradigme : para -> auprs de ; deigma : indication, modle exemple ; (mot-type qui est donnŽ comme modle pour une dŽclinaison ou une conjugaison) ; terme utilisŽ par Kuhn ds 1962.

paradigme analogique : inspirŽs du vitalisme bergsonien

paradigme explicatif ou classificatoire (Parsons)

paradigme s'appuyant sur des postulats (Durkheim)

- schme (anticipation formelle structurante --> r™le de l'imagination dans la prŽvalence de la forme - cf. Gestalt-) ; (Faon de rŽagir susceptible de gŽnŽralisation, cf. Piaget, 1936).

 

- phŽnomŽnologie chez les modernes, notamment pour Husserl, mŽthode de retour aux choses elles-mmes par des descriptions ; concept scientifique dŽtournŽ par les existentialistes.

 

- eidŽtique : eidos -> forme ou archŽtype (terme crŽe par J¾nesch) en 1920 pour qualifier la possibilitŽ de projeter ˆ volontŽ au dehors, des choses imaginaires tels que les souvenirs. Partie de la phŽnomŽnologie transcendantale traitant des problmes des essences (Husserl).

 


 

 

 

 

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- Pierre Legendre, Ē Jouir du pouvoir Č, Les Žditions de minuit, collection Ē critique Č, 1976.

- Pierre Legendre, Ē Le dŽsir politique de Dieu : Žtude sur les montages de lՃtat et du droit, leons VII Č, Fayard, 1998.

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- Pierre Legendre, Ē Le crime du caporal Lortie. TraitŽ sur le pre Č, Flammarion, Champs, 2000.

- Pierre Legendre, Ē LÕempire de la vŽritŽ : introduction aux espaces dogmatiques industriels, leon II Č, Fayard, 2001.

- Gilles Lipovetsky, Ē LՏre du vide, essai sur lÕindividualisme contemporain Č, Gallimard, 1983.

- Herbert Marcuse, Ē L'Homme unidimensionnel : Essai sur l'idŽologie de la sociŽtŽ industrielle avancŽe Č, Ždition de minuit, 1989.

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- Edgar Morin, Ē Introduction ˆ la pensŽe complexe Č, ESF, 1990.

- Toni NŽgri, Ē Le pouvoir constituant, Essais sur les alternatives de la modernitŽ Č, P.U.F., 1997.

- Karl Polanyi, Ē La grande transformation. Aux origines politiques et Žconomiques de notre temps Č, NRF, Gallimard, 1983.

- Wilhem Reich, Ē Psychologie de masse du fascisme Č (1933), Petite Bibliothque Payot, 2001.

- Baruch Spinoza, Ē TraitŽ thŽologico-politique Č, Garnier, 1965.

- Alexis de Tocqueville, Ē De la dŽmocratie en AmŽrique Č, Gallimard, 1992.

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- Max Weber, Ē Le savant et le politique Č, Paris, Plon, 1959.

- Ludwig Wittgenstein Ē Tractatus logico-philosophicus Č, Tel, bibliothque de philosophie, Gallimard, trad. Gilles Gaston-Granger, 1993.

 



[1]Ds la premire phrase, il faut le prŽciser, il vous faudra comprendre lÕusage des notes de bas de page, autrement que comme un systme de rŽfŽrences ou un domaine de rajouts, dÕexplications ou de notions subalternes. La note de bas de page figure dans ce texte, ce soubassement gŽnŽalogique de la pensŽe dŽmontrŽe et affirmŽe ; non pas simplement comme un accompagnement didactique, pŽdagogique ou acadŽmique, mais bien comme une matŽrialitŽ du texte, comme des fondations anthropologique, originaire, historique, en mouvement, qui dŽveloppent et fondent ma pensŽe. La note est ainsi une trace, une marque ŽpistŽmologique, puisquÕelle montre les profondeurs du discours, ses circonvolutions, ses sinuositŽs, comme un graphique mouvant en trois dimensions. Elle est aussi un hospice, dans un texte o le propos doit correspondre ˆ un format, ˆ une police prŽcise, parce quÕelle est un espace de libertŽ, un espace dÕaveu.

[2]Pierre Clastres, Ē La sociŽtŽ contre lՃtat Č, Žd. de Minuit, 1974, p. 134.

[3]JÕutiliserai le terme dialectique, et cÕest lˆ me semble-t-il un prŽliminaire obligatoire, dans son sens oubliŽ. Au sens des grecs, dÕAristote et dÕHŽraclite, au sens o la dialectique nÕest pas simplement la mŽcanique conceptuelle qui permet de comprendre le mouvement de la pensŽe, le mouvement de lÕhistoire, mais est bien ce qui permet de comprendre, la mŽcanique de la pensŽe, par la production de sŽparation et par la production du langage. Ē Pour que le mouvement soit, il faut la dialectique qui suppose la sŽparation : lÕaffirmation, la nŽgation, la nŽgation de la nŽgation, autant de moments nŽcessaires ˆ la construction dÕun processus et ˆ la gŽnŽalogie dÕun mouvement. La sŽparation se montre aux articulations : entre le premier et le deuxime temps, entre le deuxime et le troisime, entre les suivants. Pour que soit lÕUn, le Multiple est nŽcessaire. Pour lÕavnement du Mme, il faut de lÕautre. Č Michel Onfray, ƒpiphanies de la sŽparation, GalilŽe, 2004, p. 65.

Ou alors dans sa version freudo-chrŽtienne, Ē La dialectique de la sŽparation fondatrice du sujet, cÕest-ˆ-dire le mouvement des transpositions de lÕoriginaire Š le lieu de lÕabsolu indisponible-, alors quՈ lÕinaugural du parcours de la vie le sujet nÕest encore, si lÕon peut dire, quÕen puissance. LÕaccs a lÕinstance de la reprŽsentation ouvre au dŽpassement toujours prŽcaire, de cette opacitŽ premire, de cette non sŽparation initiale Š  (É) Le travail subjectif de sŽparation est un mouvement dÕaller/retour avec le lieu de lՎblouissement (socialement repŽrable comme lÕinstance du Tiers garant des images, le lieu du Totem). Č Pierre Legendre, De la sociŽtŽ comme un texte. LinŽaments dÕune anthropologie dogmatique, Fayard, 2001, p. 128.

[4]J.-F. Lyotard, Ē La condition postmoderne Č, Žditions de Minuit, 1977 ; B. Latour, Ē La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil dՃtat Č, La DŽcouverte, Armillaire, 2002

[5]Cf. Moses I. Finley, Ē LÕinvention de la politique Č, Cambridge, 1983, Flammarion, 1985. P. Veyne, Ē LÕEmpire grŽco-romain Č, Seuil, Ē Des travaux Č, 2005.

[6]J. Bollack, H. Wismann, Ē HŽraclite ou la sŽparation Č, PrŽface ˆ la nouvelle Ždition (1995), Žd. de Minuit, Ē Le sens commun Č, 2001.

[7]Ce que les amŽricains ont rendu ˆ la sociologie, comme expŽrience individuelle et sociale. Le reborn, ce moment de la vie dÕun homme o il se trouve un nouveau destin, la plupart du temps aprs avoir rencontrŽ dieu, retrouvŽ son Žpouse ou Žpoux, et/ou arrtŽ lÕalcool et les stupŽfiants.

[8]N. ƒlias, Ē Engagement et distanciation Š Contribution ˆ la sociologie de la connaissance Č, op. cit., p. 134.

[9]M. Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 86 et s.

[10]H. Broch, Ē Logique dÕun monde en ruine. Six essais philosophiques Č, Žd. de lՎclat, Ē philosophie imaginaire Č, p. 37. De la Renaissance, il nous dit : Ē On peut dŽfendre la thse selon laquelle un tel bouleversement ne sÕaccomplit jamais que lorsque la pensŽe se heurte aux limites de son infinitŽ. Tout systme de pensŽe et de valeur qui se trouve subordonnŽ ˆ une valeur suprme est un systme dialectique et tente dÕaccŽder ˆ lÕinfini au moyen de dŽductions. Cette tentative est constamment renouvelŽe, bien quÕelle ne dispose que de moyens finis, qui dans lÕinfini peuvent seulement ramener la pensŽe vers ses antinomies. Č, op. cit., p. 35.

[11]Notre transformation depuis lÕorigine hellŽnique est dans le cycle de la vie biosociale. La prŽhistoire est la gense de la vie humaine, ainsi que son dŽveloppement dans diffŽrents espaces et matires, elle se dŽtermine comme lÕorigine du monde connu des hommes. Cette prŽhistoire est aussi le cycle premier de la vie depuis que notre connaissance permet de lՎtablir, soit comme une prŽ-histoire ˆ nous mme. De ce point de vue, elle est un moment de gestation, elle incarne le cycle de vie du corps humain en gestation, le cycle des neufs mois, juste avant son apparition.

[12]Philippe SŽgur nous en donne une belle dŽmonstration en nous montrant la modernitŽ politique et ainsi juridique de lÕAntiquitŽ, tout en nous prŽsentant, par effet de rŽversibilitŽ, de sa proposition complte, que lÕinverse vaux ; soit que notre temps est dŽvorŽ par des passions que rŽprouvent lÕentendement et la sagesse (la seule Žtude de lÕindex thŽmatique fixe ce reflet nŽgatif). P. SŽgur, Introduction ˆ la pensŽe politique classique, Ellipses, 2004.

[13]Sur ce paradigme des ruines, au-delˆ de la dimension nietzschŽenne et heideggŽrienne Žvidente, je me rŽfŽrerais ˆ celle dÕHermann Broch, qui nÕest pas que lÕun des Ē inventeurs du roman Č, mais aussi lÕun des ma”tres ˆ penser dÕune philosophie de lÕhistoire, proche des interrogations benjamiennes, qui dŽfinissaient cette approche comme une conception mystique de lÕhistoire qui sÕaffirme par prŽdicat comme suivant : Ē Tout systme de valeurs auquel lÕhomme sÕest soumis, au quelle lÕhumanitŽ sÕest soumise, est ˆ la fois une rŽflexion thŽorique qui prŽtend ˆ lÕabsoluitŽ, et un fait empirique, par consŽquent Ē historique Č, sujet ˆ toutes les insuffisances de lÕempirique, exposŽ au changement et ˆ la disparition. Č

[14]F. Fukuyama, La fin de lÕhistoire et le dernier homme, trad. D.-A. Canal, Flammarion, 1994.

[15]Sur la dŽcadence de lÕantiquitŽ tardive, on a beaucoup glosŽ, rŽduit, ramener une situation, un cadre anthropo-sociologique ˆ des formules et des images plus hollywoodienne quÕhistoriquement validŽes : Peter Brown a su montrer par une formule de dŽconstruction trs adaptŽe ˆ son Žtude, que la dŽcadence Žtait une construction postŽrieure ˆ lÕeffondrement, et que ce lÕon nomme dŽcadence romaine est une qualification en rapport avec la hantise de la fin quÕimposa lÕeffondrement de Rome. Cf. P. Brown, Ē Gense de lÕAntiquitŽ tardive Č, Gallimard, 1983.

[16]Michel Onfray affirme justement que Ē lՎtymologie le rappelle aux oublieux : la sŽparation Žvolue phonŽtiquement vers le sevrage. Les racines travaillent pareillement les origines. Mettre ˆ part, ranger, classer, produire de lÕordre, construire une diffŽrence, diviser dans lÕespace, activer un processus chimique qui dissocie et Žcarter du sein de la mre la bouche avide de lÕenfant pour la premire fois distinct de celle qui lÕa conu, portŽ Š voilˆ de semblables ŽvŽnements ontologiques. La sŽparation comme sevrage, dÕo lÕimpossible sŽparation comme succion. Č M. Onfray, ƒpiphanies de la sŽparation, GalilŽe, 2004, p. 21.

[17]A. Artaud, Le thŽ‰tre et son double, MŽtamorphoses (1938), Folio, essais, 1985, p. 14.

[18]D. Sistach, Ē Le XXe sicle nÕa pas eu lieu Č, www.frontieres.com.

[19]Le cinŽma, lÕimage mouvement, comme aimez ˆ le dire Gilles Deleuze, est un art total. CÕest un art total qui regroupe, re-synthŽtise tous les autres arts. Comme de dit Alain Badiou, cÕest un roman, sans roman, une musique, sans musique, des peintures et de la photographie, sans peinture et sans photographe, etc. ; le cinŽma accomplit la pratique artistique en accumulant, au sens de lÕaccumulation du capital, toutes les formes dÕexpression, et simultanŽment, en les supprimant. Car ce que le septime art totalise dans la pratique, il le supprime dans sa reprŽsentation autonome, il lÕefface dans la reprŽsentation surannŽe des autres formes dÕexpression ; le cinŽma supprime ou rŽinvente le musicien (je citerais Howard Shore et Angelo Badalamenti), il supprime et rŽinvente le photographe et le peintre (P. T. Anderson), etc.

Cette forme dÕart total nous montre un accomplissement esthŽtique rare, parce quÕil est lÕachvement dÕun processus complexe de lÕhistoire de lÕart contemporain, indissociable de lÕensemble historique de lՎconomie politique. Le cinŽma est une accumulation historique de ce qui (sÕ)est passŽ, montrŽ, dŽmontrŽ, dŽmy(s)tifier puis remy(s)tifier, pour se dŽterminer dans notre temps, comme une accumulation de pratiques artistiques, comme une totalisation esthŽtique dÕune histoire.

Le cinŽma occidental nÕest pas que la monstration de lÕimage, qui revient plus justement ˆ lÕinformation tŽlŽvisŽe, mais consiste surtout dans lÕexploration de lÕindicible, de lÕinracontable, dÕune histoire en mouvement. Si le cinŽma sert les sciences historiques ou politiques, cÕest pour pouvoir matŽrialiser ce qui relve du mythe ou du concept, de lÕindiscernable histoire dÕun temps prŽsent ou dÕun temps perdu. Mais Žgalement, le cinŽma est introspectif puisque il se donne lui-mme comme terrain son propre terrain (je pense bien entendu ˆ Ē La nuit amŽricaine Č de Franois Truffaut) ; ou encore, il fait office de lieu mme de construction, et ainsi de dŽconstruction, en devenant un facteur de mŽmorisation (le cinŽma est alors une performation de lÕhistoire des hommes, et la meilleure expression consiste dans lÕensemble des films amŽricains faits sur la guerre du Vietnam, qui constitue une part des signes mŽmorisŽs sur lÕhistoire occidentale coloniale et guerrire [F. F. Coppola a fait, me semble-t-il, une synthse historique des conflits vietnamiens, dans la version redux Apocalypse now (2003), en dŽmontrant la dŽcadence du conflit dans les diffŽrentes rencontres que fait le commando qui remonte le fleuve. Leur rencontre, notamment, avec une colonie franaise oubliŽe montre structurellement, dans lÕhistoire du film, comme dans lÕhistoire du conflit, ce quՈ ŽtŽ lÕeffacement des mŽmoires du conflit indochinois]) ; lÕart du montage devenant le lieu mme de tous les possibles, de toutes les histoires, montrables, montables, dŽmontables, et ainsi ˆ toutes les angoisses sur le temps et son cycle (voir notamment, Lost Highway de D. Lynch, Magnolia de P. M. Anderson et Adaptation de S. Jones). LÕemprise du cinŽma mondial dans lÕesthŽtisation du monde, comme une grammaire nouvelle dont le sens est lÕorganisation des images dans un mouvement, montre le cinŽma dans son optimum, comme un art premier, qui fixe et dŽfait les histoires qui sont les n™tres, comme un art dŽconstructible et dŽconstruit, comme une histoire dŽconstructible et dŽconstruite, comme nos histoires dŽconstructible et dŽconstruite.

[20]Pour Žtayer notre propos, il faut relever en ce domaine les convergences des auteurs sur cette question. LÕhomo historia, se retrouve fondamentalement chez Ludwig Wittgenstein, quՈ notre Žpoque chez certains historiens contemporains classique. Cf. Ludwig Wittgenstein, Ē Tractatus logico-philosophicus Č, Tel, bibliothque de philosophie, Gallimard, trad. Gilles Gaston-Granger, 1993. Marcel Gauchet, Ē La condition historique Č, Les essais, Stock, 2003.

[21]Jacques Derrida, Ē Spectres de Marx Č, GalilŽe, 1993.

[22]De lÕensemble de ces points de vue, on ne peut omettre de signaler la prŽsence tutŽlaire de Philip K. Dick. Dans Ē Simulacres Č, la machine ˆ remonter le temps permet une nŽgociation avec les forces de l'axe dans le but de supprimer Hitler ou d'attŽnuer les effets de sa folie. Dans Ē Brche dans l'espace Č, un translateur dŽtraquŽ permet le passage dans un univers parallle, mais aussi un voyage dans le temps. Dans Ē La VŽritŽ avant-dernire Č, le temps s'est arrtŽ pour toutes les Ē fourmis Č qui travaillent sous terre ; pour elles, la guerre est-ouest dure encore. Avec Ē å rebrousse temps Č, le temps se replie et repart brusquement en arrire, provoquant une rŽgression gŽnŽralisŽe. Mais le point d'orgue est Ē Ubik Č, o les personnages principaux subissent le rajeunissement ou le vieillissement accŽlŽrŽ de leur environnement, affranchis de toute contrainte logique, mais sous-tendus par l'idŽe constante de dŽsintŽgration et de mort qui frappe tout et tous dans ce monde chaotique. La vŽritŽ de cette incohŽrente entropie gŽnŽralisŽe appara”t au hŽros ˆ travers un graffiti dans un urinoir : Ē Je suis vivant et vous tes morts Č. on peut encore citŽ Ē Les infinis Č (1953), Ē Reconstitution historique Č (1954), Ē Souvenir Žcran Č (1959), Ē LÕhistoire peut mettre fin ˆ toutes les histoires pour lÕanthologie dÕHarlan Ellison, Ē Dangereuses visions Č (1968), etc. Ē Mais le temps, en lui-mme, ne se meut pas de notre passŽ vers notre futur. Son axe orthogonal le mne ˆ travers un cycle rotatoire ˆ l'intŽrieur duquel on pourrait dire, par exemple, que nous Ē pŽdalons dans le vide Č, dans un Žtat d'hibernation de notre espce tout entire qui dure depuis deux mille de nos annŽes linŽaires. (É) Chacun, en tant qu'individu, parcourt un trop grand nombre d'annŽes et peut constater sa propre usure, son propre manque de renouvellement chaque annŽe, au contraire de la rŽcolte de ma•s, des bulbes de fleurs, des racines et des arbres. Il fallait bien qu'il y ait une idŽe du temps plus conforme que celle d'un temps simplement cyclique, c'est pourquoi, ˆ contrecoeur, l'homme en vint ˆ concevoir le temps linŽaire, le temps accumulatif, comme Bergson l'a montrŽ. Dans ce modle, le temps va dans un seul sens et on l'ajoute - ou il s'ajoute - ˆ tout, dans le cours de son Žcoulement Č. Philip K. Dick, Hommes, andro•des et machines, (1976) Extrait de Ē Si ce monde vous dŽpla”t... et autres Žcrits Č, Editions de l'ƒclat.

[23]Stanley Kubrick montre cet Žtat de fait dans son Ļuvre, 2001 lÕodyssŽe de lÕespace (1970). Pour permettre une transition cinŽmatographique entre lÕorigine de lÕhomme et son envol dans lÕespace, Kubrick filme lÕos utilisŽ par lÕhomme premier pour imposer son pouvoir aux groupes, en fracassant la tte dÕun rival, puis qui sÕenvolant en lÕair, se transforme en navette spatiale. LÕhistoire de lÕhomme concentrŽ dans lÕimage en mouvement, dÕun os, de ce qui est mort mais de ce qui reste matŽriellement de lÕhistoire, dans une histoire de la violence. Sur Kubrick, voir le traitŽ magistral de Jordi Vidal, Ē TraitŽ du combat moderne. Films et fictions de Stanley Kubrick Č, Allia, 2005.

[24]Alain Badiou, Ē Le sicle Č, Seuil, 2005.

[25]Walter Benjamin, Ē Critique de la violence Č, (1921), in Īuvres I, Folio Essais, 2000, p. 213

[26]R. Merton, Ē On the Shoulders of Giants : a Shandean Postscript Č, Harcourt brace, 1965.

[27]Martin Heidegger, Ē ętre et Temps Č, Gallimard, 1986.      

[28]Gabriel Tarde, Monadologie et sociologie, Les empcheurs de penser en rond, 1999, p. 87.

[29]Pierre Aubenque, Le problme de lՐtre chez Aristote, PUF, collection Quadrige, 1994, p. 36.

[30]G. Tarde, Monadologie et sociologie, Les empcheurs de penser en rond, 1999, p. 87.

[31]G. Tarde, Monadologie et sociologie, op. cit., p. 85-86.

[32]Ė ce titre, le trs grand succs cinŽmatographique, Ē LÕexorciste Č (1971, W. Friedkin) ne nous rend pas simplement compte de la fable religieuse de la possession de lÕinnocence par le mal, mais prŽsente la possession comme une impossibilitŽ de la thŽologie et de la psychanalyse. La possession de Regan dŽfit les lois Žtablies de la connaissance et prend une dimension dÕuniversalitŽ par sa singularitŽ. La symbolique de la possession devient alors, au cĻur mme des annŽes de la modernitŽ une figure reprŽsentative de cette modernitŽ.

[33]Ludwig Wittgenstein Ē Tractatus logico-philosophicus Č, NRF, bibliothque de philosophie, Gallimard, trad. Gilles Gaston-Granger, 1993.

[34]Cf. Edgar Morin, Ē Introduction ˆ la pensŽe complexe Č, ESF, 1990.

[35]Ludwig Wittgenstein Ē Investigations philosophiques Č, 1961, Gallimard, 1986.

[36]Ernst Cassirer, Ē La philosophie des formes symboliques Č, ƒdition de minuit, 1986.

[37]Norbert ƒlias, Ē La sociŽtŽ des individus Č, avant-propos de R. Chartier, Fayard, 1991.

[38]Richard Sennett, Ē Les tyrannies de lÕintimitŽ Č, Seuil, 1995.

[39]Norbert ƒlias, Ē La sociŽtŽ des individus Č, op. cit., p. 47.

[40]Pierre Legendre, Ē De la sociŽtŽ comme un texte. LinŽaments dÕune anthropologie dogmatique Č, op. cit., p. 18-19.

[41]Norbert Panofsky, Ē La perspective comme forme symbolique Č, ƒd. de Minuit, 1975, p. 122.

[42]R. Maggiori, La rencontre dÕautrui, in Philosopher. Tome 1, Fayard, nouvelle Žd. 2000, p. 86.

[43]Walter Benjamin, Critique de la violence, in Ē Īuvres Č I, Folio Essais, 2000, p. 213.

[44]Jacques Derrida, Ē Force de la loi. Le fondement mystique de lÕautoritŽ Č, GalilŽe, 1994, p. 112.

[45]G. W. F. Hegel, Ē Principes de la philosophie du droit Č, op. cit., p. 334.

[46]Reproduction dans lÕhistoire de la musique dÕun phŽnomne identique, dans la relation du jazz au rock, du passage ternaire rythmique, au rythme binaire, dans la simplification consumŽriste, lÕapurement productiviste de la musique historique afro-amŽricaine.

[47]J.L. Borges, Une nouvelle rŽfutation du temps, in Ē Labyrinthes Č, Gallimard, 1953.

[48]Wilhem Reich, Ē Psychologie de masse du fascisme Č (1933), Petite Bibliothque Payot, 2001. Eugne Enriquez, Ē De la horde ˆ LՃtat. Essai de psychanalyse du lien social Č, NRF, Gallimard, 1983.

[49]Ē J'ai rŽagi contre une tentation intellectuelle, trs prŽsente en AmŽrique, mais aussi en France, qui travaille ˆ effacer les limites entre fiction et vŽritŽ en rabattant tout sur la fiction. D'abord, la fiction - c'est d'ailleurs une idŽe trs banale - a un objectif de vŽritŽ. Mais je crois aussi - et c'est moins banal - qu'il y a eu historiquement une compŽtition entre fiction et histoire : un combat pour la reprŽsentation de la rŽalitŽ entre les romanciers et les historiens. Balzac dit de lui qu'il est l'historien du XIXe sicle. Mais Marc Bloch dans Les Rois thaumaturges, ou Lefebvre dans La Grande Peur, dŽmystifient des fictions - le pouvoir attribuŽ aux rois de France et d'Angleterre de guŽrir les scrofuleux pour le premier ; les bandes de brigands au service d'un prŽtendu Ē complot aristocratique Č pour le second. Et c'est la dŽmystification de ces fictions qui permet d'en mesurer justement la signification historique, l'efficacitŽ symbolique, etc. Dans cette compŽtition, il y a des apports d'une discipline ˆ l'autre. Les romanciers font des dŽcouvertes techniques que les historiens peuvent utiliser comme des dispositifs cognitifs. Je crois que Marc Bloch apprend de Flaubert l'idŽe de la narration ˆ rebours, qu'il emploie dans Caractres originaux de l'histoire rurale franaise. Il y a donc un dŽfi rŽciproque, un va-et-vient entre fiction et histoire. Č Cf., Philippe Mangeot, Ē De prs, de loin Č, article et interview sur et de Carlo Ginzburg, http//vacarme.eu.org.

[50]Le romantisme est au cĻur de la problŽmatique des deux sicles derniers, dans le sens o comme le relve Alain Badiou dans son dernier opus, le XIXme sicle nÕa ŽtŽ que la mise en idŽe, de ce que le XXme a vu se rŽaliser (Alain Badiou, Ē Le sicle Č, Seuil, 2005). Le romantisme, cet acte de modernitŽ esthŽtique et intellectuel du XIXme sicle, est ainsi transposŽ tout au long du XXme sicle. A titre de modle, plus encore que dÕexemple, lÕhistoire du rock est une reprŽsentation prototypique de lÕexaltation ab”mŽe dÕun romantisme mercantile et/ou nihiliste. La mythologie sex, drugs and rockÕnÕroll manifeste un des ultimes avatars du romantisme littŽraire du XIXme sicle. On peut prŽtendre que le XXIme sicle devra impŽrativement sortir de lÕimpasse romantique, tout en luttant simultanŽment contre la tentation de la concrŽtude (cÕest lˆ ce que reprŽsente la difficultŽ majeure des musiques pop et rock de ce dŽbut de sicle, en rŽalisant les prophŽties littŽraires sur la musisue de Lester Bangs. Cf. L. Bangs, Ē Psychotic Reactions et autres carburateurs flinguŽs, Tristram Č 1996 et Ē Ftes sanglantes et mauvais gožt ČTristram, 2005).

[51] A. Gramsci, Ē Carnets de prison Č, Ē Passato e presenteČ), Einaudi, Turin, 1966, p. 200.

[52] A. Gramsci, Ē Carnets de prison Č, (Ē Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), Einaudi, Turin, 1954, p. 142.

[53]F. Lombardi, Ē La pŽdagogie marxiste dÕAntonio Gramsci Č, PensŽe, Privat, 1971, p. 38.

[54]A. Gramsci, Carnets de prison, (Ē Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 35.

[55]A. Gramsci, Carnets de prison, (Ē Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 31.

[56]A. Gramsci, Ē Carnets de prison Č, (Ē Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 9.

[57]A lÕinstar des auteurs qui lÕon prŽcŽdŽ jusque lˆ, Hannah Arendt incarne lÕintellectuelle type du XXme sicle : femme, singulire, radicale, courageuse.

[58]JŸrgen Habermas, LÕespace public. ArchŽologie de la publicitŽ comme dimension constitutive de la sociŽtŽ bourgeoise, Payot, nouvelle Ždition, 2003.

[59]JŸrgen Habermas, Ē ThŽorie de lÕagir communicationnel Č, Fayard, nouvelle Ždition, 2001.

[60]Emmanuel Kant, Ē ThŽorie et pratique Č, Vrin, 1967, sect. II., p. 29.

[61]JŸrgen Habermas, Ē Droit et dŽmocratie. Entre faits et normes Č, Gallimard, 1997, p. 151.

[62]JŸrgen Habermas, Ē Droit et dŽmocratie. Entre faits et normes Č, Gallimard, 1997, p. 151.

[63]Carl Schmitt, ThŽorie de la Constitution, P.U.F., 1993.

[64]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, Les Žditions de Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle Ždition augmentŽe, 1999. Ē Mille plateaux, Capitalisme et schizophrŽnie Č, Les Žditions de Minuit, collection Ē Critique ČČ, 1980.

[65]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, Les Žditions de Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle Ždition augmentŽe, 1999, p. 265.

[66]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, op. cit, p. 28.

[67]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, op. cit, pp. 49-50.

[68]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, op. cit, p. 261.

[69]Gilbert  Simondon, Ē Du monde dÕexistence des objets techniques Č, Aubier, 1969, pp. 25-49.

[70]Mireille Buydens, Pour une approche deleuzienne dÕInternet, in Ē LÕimage : Deleuze, Foucault, Lyotard Č, Vrin, 1997, pp. 56-57.

[71]Le dŽsir, dont Foucault et Deleuze disaient quÕil sÕagissait du seul vrai dŽbat philosophique originaire et contemporain, oppose deux tendances, que je qualifierais de post freudienne [G. Deleuze, DŽsir et plaisir, in Magazine LittŽraire, n” 325, octobre 1994, pp. 59-65 (reprise de correspondances de 1977, entre Deleuze et Foucault)]. Le dŽsir est partialitŽ, multiplicitŽ, cÕest-ˆ-dire, comme lÕaffirme Deleuze et Guattari, Ē seule la catŽgorie de la multiplicitŽ, employŽe comme substantif et dŽpassant le multiple non moins que lÕUn, dŽpassant la relation prŽdicative de lÕUn et du multiple : la production dŽsirante est multiplicitŽ pure, cÕest-ˆ-dire affirmation irrŽductible ˆ lÕunitŽ Č (Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, op. cit., p. 50.) Pour Foucault, ˆ lÕinverse, le dŽsir originaire est diluŽ dans la transformation historique de lÕhomme qui conna”t ce dŽsir, ses effets, et les contr™le, dans un cadre instituŽ o le contr™le du dŽsir est un contr™le politique. Violence et dŽsir sont consubstantiels dans la pensŽe foucaldienne. Le dŽsir est le moteur du soi, et reprŽsente ˆ cet effet une multiplicitŽ de soi, qui rend lÕunitŽ improbable. Deleuze propose un dŽpassement du dŽsir hŽgŽlien, selon un procŽdŽ qui me semble tout spinozien, que Foucault nÕacceptera jamais fondamentalement.

[72]Ulrick Beck, Ē La sociŽtŽ du risque. Sur la voie dÕune autre modernitŽ Č, Flammarion, coll. Ē Champs Č, trad. L. Bernardi, PrŽface de B. Latour, 2001.

[73]Alain Badiou, Ē Le sicle Č, Seuil, 2005.

[74]Terry Gilliam, avec Ē Brazil Č et Ē LÕarmŽe des 12 singes Č dŽveloppe lÕidŽe dÕun monde individualisŽ et solitaire, o lÕUrstaat est totalitaire au nom de lÕirresponsabilitŽ fabriquŽe des individus. Dans Ē Brazil Č (1985), la seule possibilitŽ de la lutte est dans lÕimaginaire et le rve du Ē hŽros Č, dont on apprend, dans un dŽsenchantement fracassant, ˆ la fin de lÕhistoire, quÕil est prisonnier de lui-mme, torturŽ, manipulŽ, avec pour seule libertŽ, ces rves oniriques de libŽrateurs lŽgendaires, campŽs dans une armure dorŽe, symbolisŽe et sanctifiŽe tel un saint ailŽ, mais rŽduit ˆ rien dans son supplice, si ce nÕest ˆ lÕattente de la mort. Dans Ē LÕarmŽe des 12 singes Č (1995), lÕex Monty Python, reprenant le film tŽnŽbreux de Chris Marker, Ē La jetŽe Č (1964), propose un cinŽma tout aussi noir et sans espoir, dont on sent immŽdiatement lÕinfluence dŽterminante de Philip K. Dick. LÕintrigue ne se constitue pas dans le pige du soi, mais se dŽveloppe dans une histoire rompue, brisŽe par les manipulations dÕune sociŽtŽ futuriste dŽcimŽe par la maladie, qui manipule le temps pour inverser lÕhistoire. Les alŽas du voyage dans le temps font que Bruce Willis se retrouve confrontŽ ˆ notre sociŽtŽ contemporaine, et est projetŽ de lÕunivers dŽcimŽ de la terre contr™lŽe par une caste, reprŽsentant lÕultime contraction de lÕUrstaat, vers les h™pitaux psychiatriques de la fin du XXe sicle. RŽvŽlant ˆ Brad Pitt, un dangereux maniaque, lÕobjet de son voyage, il croit lancer le processus historique quÕil est sensŽ combattre. En marge des Ē Douze singes Č, groupe Žcologiste crŽŽ par Brad Pitt qui nÕont pour seul projet que de libŽrer les animaux dans New York, le hasard frappe sous les traits dÕun personnage rŽcurent qui condamne la plante, tout au moins en apparence. LÕhistoire nÕest plus stoppŽe, elle est produite par les manipulateurs du temps. Le vieux mythe du contr™le du temps, que Welles avait inventŽ, est ainsi rŽcupŽrŽ pour confronter lÕUrstaat futuriste, o le contr™le de lÕindividu est total, ˆ lÕUrstaat prŽsent, o le contr™le est lŽgitime dans une sociŽtŽ psychiatrique, mais o lÕaliŽnŽ nÕest pas celui que lÕon croit. Pour reprendre la formule de Philippe Corcuff, Ē peut-tre ne sommes-nous, dÕun point de vue sociologique, que le produit historique de strates Ē dÕapparences Č liŽes ˆ nos diverses socialisations Č (Philippe Corcuff, Ē La sociŽtŽ de verre. Pour une Žthique de la fragilitŽ Č, Armand Colin, 2002, p. 43.).

[75]Regardez la longue histoire du XIXe sicle, et vous constaterez, que le prŽtendu ƒtat Ē libŽral Č pourchassez dŽjˆ les ouvriers lancŽs sur le trimard, rejetŽs de la sociŽtŽ Žconomique, traquŽs par la sociŽtŽ politique. Pour illustrer ce propos, il faut voir et revoir le film de Bertrand Tavernier, Ē Le juge et lÕassassin Č (1974), ou le juge (Philippe Noiret), petit bourgeois des campagnes, se sert dÕun assassin (Michel Galabru), anarchiste mystique dŽment, pour sa promotion personnelle, soutenue par une presse et une sociŽtŽ avide de sensationnel, de sang et de peur, dont lÕobjet collectif est dՐtre inquiŽtŽ puis rassurŽ par lÕordre socio Žtatique qui les oppresse ; une monstration de la lutte des classes radicales.

[76]G. Agamben, Ē ƒtat dÕexception, Homo Sacer II, 1 Č, Le Seuil, 2003.

[77]M. Foucault, Ē La naissance de la biopolitique Č, Ē Cours au Collge de France. 1978/1979 Č, coll. Hautes ƒtudes, Seuil/Gallimard, 2004, p. 323.

[78]M. Foucault, Ē La naissance de la biopolitique Č, op.cit., p. 323.

[79]Le principe hŽgŽlien de Burgerliche Gesellschaft ne peut se traduire que par lÕexpression sociŽtŽ bourgeoise. Voir sur cette question, J. Agnoli, Ueberlegungen zum burgerlichen staat, Klaus Wagenbach, Berlin, 1975, p. 60-111. Voir Žgalement, Antonio NŽgri et Michael Hardt, Multitudes. Guerres et dŽmocraties ˆ lՉge de lÕEmpire, La DŽcouverte, 2004, p. 299.

[80]M. Foucault, Ē La naissance de la biopolitique Č, op.cit., p. 327.

[81]Michel Foucault, Ē La naissance de la biopolitique Č, op.cit.,  p. 327.

[82]Marcel Mauss, Ē Sociologie et anthropologie Č, PUF, Ē Quadrige Č, 2001.

[83]Jacques Derrida, Ē Force de la loi Č, GalilŽe, 1994.

[84]Jacques Derrida, Ē Spectre de Marx Č, GalilŽe, 1993.

[85]Bruno Latour, Ē La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil dՃtat Č, op. cit., p. 181.

[86]Jacques Derrida, Ē Force de la loi. Le fondement mystique de lÕautoritŽ Č, op. cit., p. 14-15. Ce qui fait souffrir le plus, cÕest forcŽment que la dŽconstruction nÕoffre aucun points de repres chronologiques, historiques notamment, pour rassurer le lecteur, pour que celui-ci, ne puisse par son incomprŽhension fournir un refus catŽgorique ˆ ce qui lui semble complexe et dŽsordonnŽ. Or cette complexitŽ de la dŽconstruction, lՎtude de ces dissŽminations du langage, nÕest que le reflet de ce quÕelle dŽcrit. Ce qui fait souffrir ce nÕest pas la dŽconstruction qui lÕimpose, cÕest ce qui est dŽconstruit qui est lÕorigine le plus souvent de la souffrance. Pour soulager votre souffrance, vous pouvez lire, coordonnŽ par Charles Ramond, Ē Derrida : la dŽconstruction Č, PUF, Ē DŽbats philosophiques Č, 2005.

[87]J. Derrida, Ē PsychŽ, Inventions de lÕautre Č, GalilŽe, 1987, pp. 26-27.

[88]Les arts et les formes dÕexpression esthŽtiques sont aujourdÕhui dŽconstruits. LÕimage que nous avons de lÕAntiquitŽ, pour la majoritŽ dÕentre nous, relve de la production imaginaire des pŽplums dÕHollywood et de Cinecitta, ou du regard savant sur les objets inertes de lÕarchŽologie, soit de deux riens qui font un savoir mythologique. LÕimage que donne le cinŽma de lÕAntiquitŽ est dŽjˆ une vision des ruines, de la fin dŽcalŽe historiquement, puisque les dŽcors de Rome sont dŽjˆ en ruine (Cf. La chute de lÕempire romain. Par Anthony Man, 1961).

La musique contemporaine occidentale, elle, nÕest pas dŽconstruite historiquement, comme une mŽsinterprŽtation de lÕhistoire, mais techniquement, comme une interprŽtation des savoirs, puisquÕelle se compose pour grande partie par Žchantillonnage, par lÕusage de banque de donnŽes, par usage de lÕinformation esthŽtique ; mais aussi, par dŽconstruction du rythme du corps, et par construction de voix humaines (les mŽlodies, les ritournelles, etc.) et des voix machiniques qui peuvent tre Žgalement des rythmes. (Richard D. James, Aphex Twin, WarpCD43, 1996. Aphex Twin, notamment dans le titre Ē Isopropaponal Č [The Aphex Twin - ŅclassicsÓ, 1992, rŽŽd. R&S records, 1995], montre une telle facette : la musique est un mouvement du corps qui parle ; la machine rythmique est le mouvement complexe des quatre membres, du batteur en fait, qui se dŽcompose selon des assemblages corporels trs complexes ˆ interprŽter pour les danseurs ; alors que la ritournelle est la voix, ou bien que le rythme lÕemporte et devient lui-mme une voix mŽcanique, simpliste, qui faonne pour partie lÕesthŽtisme du mouvement musical minimaliste ; il ne reste souvent que la structure minimale de deux voix, une voix machinique et simpliste, et une mŽlodie obsessionnelle, qui rappelle une histoire). CÕest en ce sens o lÕon dŽcouvre la musique, ce code et ce conducteur de codes, comme Žtant elle-mme une instance performative, une grammaire possible du monde, constructible et dŽconstructible.

Le cinŽaste mexicain Alejandro Gonzalez Innarattu (Ē 21 grammes Č, 2003) montre une esquisse parfaite de ceci en traitant la question de la mort, comme de la disparition dÕune part de soi (lÕidŽe de dŽpart est que chaque tre perdrait vingt et un gramme lors du passage de la vie ˆ la mort). Pour pouvoir ainsi parler de la mort, il dŽconstruit la vie des protagonistes, par effet du montage (dans le complexe montage de la crŽation cinŽmatographique, le monteur est dieu car il ordonne la composition de lÕimage. Dans le film Ē Final cut Č (2004), un futur proche voit une nouvelle fonction sociale dominŽe : par un procŽdŽ technologique, on peut tŽlŽcharger toute la mŽmoire sensorielle dÕune personne, pour quՈ sa mort, des monteurs puissent rŽorganiser, idŽaliser lÕhistoire, dÕun riche dŽfunt. Ce luxe de reconstruction des images de la vie met le monteur en situation de choix. Fonction sociale, fonction dÕhistoriens ramenŽs ˆ chaque histoire humaine, fonctions thŽologique qui rend le monteur, seul, divin, intouchable, car garant de lÕordre qui se perpŽtue par ses histoires rŽinscrites, rŽŽcrites). La structuration du film fait ainsi perdre le sens de la linŽaritŽ des histoires individuelles, dont le point intime dispara”t sous lÕĻil de la camŽra, sous lÕĻil du spectateur, multiple dans la multitude. Les histoires ne sont pas dŽconstruites, mŽlangŽes, pour amener la confusion des vies qui sÕentrecroisent. Elles sont dŽconstruites par le regard de celui qui les observe, non plus simplement celui du rŽalisateur et du monteur, mais bien celui qui regarde lÕĻuvre, dans la multitude occidentale. La dŽconstruction est ainsi une forme dÕaltŽritŽ, de celui qui permet le regard vers celui qui veut bien regarder. Elle permet de laisser cette forme dÕinachvement et de complexitŽ de la vie et de sa perception. Elle permet de ne pas donner une structure prŽalable ˆ ce que lÕon dŽsigne, et laisse la possibilitŽ de trouver dans le texte de lÕhistoire, toutes les traces, toutes les rŽponses qui y sont inscrites dans leur forme. Ē 21 grammes Č se replie en son centre, le dŽbut et la fin du film sont identiques, et perpŽtue le mme moment de la mort du narrateur ; autrement dit Innarattu, filme la mort, saisit la mort, comme un pli hors de lÕespace et du temps de la vie humaine. Le rŽalisateur mexicain avait dŽjˆ utilisŽ cette dŽmarche cinŽmatographique pour traiter la question du destin (cf., Ē Amours chiennes Č, 2000).

[89]J. Derrida, Ē Force de la loi. Le fondement mystique de lÕautoritŽ Č, op. cit., p. 104.

[90]B. Latour, Ē Nous nÕavons jamais ŽtŽ moderne. Essai dÕanthropologie symŽtrique Č, La dŽcouverte (1991), 1997.

[91]Sokal

[92]A. NŽgri et M. Hardt, Ē Empire Č, Exils, essais, 2001 (traduit de lÕamŽricain par Denis-Armand Canal).

[93]A. NŽgri et M. Hardt, Ē Multitude. Guerre et dŽmocratie ˆ lՉge de lÕempire Č, La DŽcouverte, 2004, p. 9.

[94]A. NŽgri et M. Hardt, Ē Multitude. Guerre et dŽmocratie ˆ lՉge de lÕempire Č, op. cit., p. 9 et 10.

[95]Cf. Philippe Corcuff se trompe quand il affirme que Ē des films qui incarnent la positivitŽ (voire font lÕapologie) des tendances Ē post-modernes Č ˆ lՎparpillement et ˆ la dilution des significations. (É) Le film de David Lynch, Ē Mulholland Drive (2001), en constitue une expression typique, proche dans le domaine cinŽmatographique des excentricitŽs pŽtillantes (comme du champagne) mais intellectuellement peu rigoureuses dÕun Jean Baudrillard dans le champ intellectuel Č. LÕĻuvre de Lynch et de Baudrillard ne peut tre globalement dŽfini ainsi. Ce qui choque Corcuff, soi cette complaisance postmoderne, ne peut tre critiquŽ ainsi, sur la seule base de leur complaisance ˆ traiter de la question postmoderne. Leur cynisme peut tre beaucoup plus un sujet de mailles ˆ partir. Cependant les grandes lignes de leurs Ļuvres nous ont beaucoup plus appris sur la postmodernitŽ que la majoritŽ des ouvrages savants portants sur cette question. Cf. P. Corcuff, Ē La sociŽtŽ de verre. Pour une Žthique de la fragilitŽ Č, Armand Colin, 2002, p. 22.

[96]J. Baudrillard, Ē L'illusion de la fin ou la grve des ŽvŽnements Č, GalilŽe, 1992, pp. 132 et 146.

[97]W. Benjamin, Sur le concept dÕhistoire, in Ē Ecrits franais Č, Folio, p. 335. Sur ce fait, il faut rappeler lÕenrichissement quÕapporte Pierre Boulle dans La plante des singes, dont la version cinŽmatographique ne fera quÕaccentuer la rŽflexion. La plante des singes pose toutes les propositions politiques, de lÕorganisation sociale ˆ lÕorganisation de la citŽ simiesque, mais surtout, de lÕhomme moderne, Charlton Heston en lÕoccurrence, qui brise cette harmonie politique, sociale, organique, raciale, thŽologique. Car si le singe dŽfie lÕhomme, cÕest parce quÕil le sait mauvais, comme lÕauteur du mal original. Nous aurons compris que Pierre Boulle aura, comme beaucoup de romanciers, donnŽ par son livre une interprŽtation biblique. Cependant, son texte reste majeur, car il Žnonce parfaitement le principe que lÕhomme agit sur lÕhistoire. Il lÕa dŽcline, lÕexpose, et il arrive mme ˆ la ma”triser, au point de la remonter jusquՈ sa rŽvolution complte. CÕest dans cette boucle, o lÕespace est courbe que le temps est prŽsentŽ comme un vide, comme un temps suspendu que lÕon contr™le, par la violence, pour le pouvoir, car vivre avec les autres, cÕest toujours tre tentŽ de les administrer, non comme une pulsion, une volontŽ, une construction, mais parce que la mŽdiation, la simple relation impose une conversion des diffŽrences, en une hiŽrarchie de valeurs, puis dans une fonctionnalitŽ et une organisation de ces rapports.

[98]L. Althusser, ĒMachiavel et nous, in Ē ƒcrits philosophiques et politiques Č, vol. 2, Ždition Franois Matheron, Stock/IMEC, 1995, p. 62.

[99]J. Baudrillard, Ē Oublier Foucault Č, Žd. GalilŽe, 1977.

[100]J. Baudrillard, Ē L'illusion de la fin ou la grve des ŽvŽnements Č, GalilŽe, 1992, p. 118.

[101]Je retrouverais lˆ encore les mots si justes dÕHermann Broch pour inverser et rŽorienter les propositions de Baudrillard : Ē RŽduite ˆ sa factualitŽ la plus ŽlŽmentaire, une Žpoque nÕest rien dÕautre quÕun segment spatio-temporel de lÕunivers historique, dŽlimitŽ par deux dates. Elle contient des millions et des millions dÕexistences humaines, pour la plupart anonymes ; des myriades et des myriades dÕactions, de motivations et de forces humaines, pour la plupart anonymes. Ce conglomŽrat Š on ne peut mme pas parler de Ē somme Č - aussi insaisissable que lՎternitŽ elle mme, ce trs anonyme Ē monde quotidien Č, cÕest ce que reprŽsente lՎpoque au premier abord. Comment un tel conglomŽrat peut-il pŽnŽtrer dans la conscience de lÕhomme ? Comment peut-on en prendre une Ē vue dÕensemble Č ? lՎpoque est traversŽ par le flux de ce qui advient, le flux de lÕhistoire vivant de lÕhistoire vŽcue, de lÕhistoire concrte Šun flux tout aussi anonyme quÕelle, et ne se soucie ni dÕun dŽbut ni dÕune fin, ni dÕun Ē style Č, ni de quoi qu ce soit qui caractŽrise lՎpoque ; ce nÕest qÕun flux dÕ Ē efficiences Č concrtes qui sÕimposent principalement ˆ lÕhomme par la nŽcessitŽ physique, parfois psychologique et plus rarement conceptuelle, et lÕamnent ˆ agir de telle ou telle manire. Si grande et puissante que soit lՎpoque, elle ne sÕexprime pour ceux qui la vient que dans un petit pŽrimtre dÕ Ē efficience Č, et malgrŽ la presse et la radio, elle demeure largement, vue de Ē lÕintŽrieur Č, dans un Žtat d"ÕopacitŽ organique" Č, op. cit. pp. 115 et 116.

[102]J. Baudrillard, Ē Pour une Žconomie politique des signes Č, Points, coll. Ē Essais Č, 1987.

[103]Zygmunt Bauman, Ē LÕamour liquide Č, Essai, Le Rouergue/Chambom.

[104]A. Touraine, Ē Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde dÕaujourdÕhui Č, Fayard, 2005, p. 337.

[105]J. Baudrillard, Ē la sociŽtŽ de consommation Č, Livre de poche, 1996 ; Ē Pour une critique de lՎconomie politique du signe Č, NRF, Les essais, Gallimard, 1972 ; Ē Le systme des objets Č, Tel, Gallimard, 1978. Samuel Bowles et Herbert Gintis, Ē La dŽmocratie post-libŽrale Č, La dŽcouverte, 1987.

[106]Cf. ƒtienne Laurent, Ē Le paupŽrisme et les associations de prŽvoyance Č, 1865.

[107]J. Butler, Ē Gender trouble : Feminism and the subversion of identity Č, Routlege, 1990 ; Ē Trouble dans le genre. Pour un fŽminisme de la subversion Č, La dŽcouverte, 2005 (avec une prŽface dՃric Fassin).

[108]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, Žd. Amsterdam, 2004, p. 90.

[109]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 70-71.

[110]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 60.

[111]J. Butler, Ē La vie psychique du pouvoir. LÕassujettissement en thŽories Č, Žd. LŽo Scheer, Ē Non & Non Č, 2002.

[112]Deleuze dit justement quÕĒ il faudrait confronter la pensŽe de Foucault et la sociologie des ŅstratŽgiesÓ de Pierre Bourdieu : en quel sens celle-ci constitue une micro-sociologie. Peut-tre aussi faudrait rapporter les deux ˆ la micro-sociologie de Tarde. LÕobjet de celle-ci, cՎtait les rapports diffus, infinitŽsimaux, ni les grands ensembles ni les grands hommes, mais les petites idŽes des petits hommes, un parafe de fonctionnaire, une nouvelle coutume locale, une dŽviation linguistique, une torsion visuelle qui se propage. CÕest liŽ ˆ ce que Foucault appelle un ŅcorpusÓ Č. Cf., G. Deleuze, Foucault, Žd. de Minuit, coll. Ē critique Č, 1986, p. 81.

[113]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 92-93.

[114]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 247.

[115]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 221.

[116]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 127.

[117]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 148.

[118]J. Butler, Ē Le pouvoir des mots, politique du performatif Č, op. cit., pp. 25 et 196.

[119]Alain Badiou affirme, ˆ juste titre, que cette rŽaction, correspond ˆ un moment historique de type de la restauration que connut la France du dŽbut du XIXme sicle, comme un contre coup ˆ la grande rŽvolution. Cf. Ē Le sicle Č, Seuil, 2005.

[120]Jordi Vidal, Ē RŽsistance au chaos Č, Allia, 2002.

[121]Russell Kirk prŽsente ainsi les six thses du conservatisme. Cf., Russell Kirk, Ē The Conservative Mind Č, 1953. CitŽ par Nicolas Kessler, Ē Le conservatisme amŽricain Č, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je? 1998.

[122]Le dŽbat rŽcent sur les nouveaux rŽactionnaires a eu ceci dÕintŽressant, quÕil constituait un non dŽbat. LÕessentiel nՎtant pas tant de savoir sÕil existe une pensŽe et une pression visant le retour en arrire face au chaos du monde (voir Jean-Pierre Pernaud officiait dans Ē son Č journal de 13 heures en est une preuve Ždifiante), mais plut™t de dŽcouvrir que ce dŽbat entre sachant, purement dogmatique, avait pour vocation de ne pas dŽvoiler lՎtat gŽnŽralisŽ du conservatisme social, politique et Žconomique de notre pays. Cf. Daniel Lindenberg, Le rappel ˆ lÕordre. Enqutes sur les nouveaux rŽactionnaires, Le Seuil, Ē La RŽpublique des idŽes Č, 2002.

[123]La stratŽgie du pourrissement libŽral est une tactique fondamentalement militaire. La conqute de lÕIrak en 2003 en aura ŽtŽ une fois de plus une preuve flagrante. ConquŽrir militairement des zones que lÕon occupe sans les rŽgir, permet non seulement de dŽmontrer que les troupes amŽricano-anglaises Ē nÕoccupent Č pas le territoire, mais surtout, permet la dŽgradation de la situation locale, pour rŽactiver le processus rŽpressif ˆ tout instant, et pour justifier aux regards de lÕopinion mondiale de lÕincompŽtence des peuples ˆ se gouverner.

[124]Il semble que la thŽorie du sujet du droit, devenu gŽnŽralitŽ performŽ par notre statut juridique dÕassujettissement, soit en train de muter en thŽorie et pratique juridique du sujet de risques.

[125]LÕanalogie faite au sport et ˆ ses stratŽgies nÕest pas fortuite. Le sport est devenu en effet un lieu de connaissance, un rŽvŽlateur puissant de lՎconomie politique globale des mondes civilisŽs. LՎconomie globale du sport occidental devient alors un rŽfŽrent du marchŽ contemporain. Ce type Žconomique libŽralisŽ, ouvert par la dŽrŽgulation juridique de lÕUnion europŽenne par lÕarrt Ē Bosman Č , est surtout original et reprŽsentatif des nouveaux formats du systme marchand. La performance sportive est ainsi imposŽe socialement par sa surmŽdiatisation. LÕusage marchand du sport par les tŽlŽvisions met en exergue la relation indissociable, consubstantielle de la promotion des marchŽs par les mŽdias de masse, par la puissance de lÕimage, par le r™le affectif, sŽducteur et sensationnel des ŽvŽnements sportifs. Le sport devient marchŽ car la communication totale (gŽnŽrale et universalisŽe) constitue aussi bien lÕoffre que la demande, constitue aussi bien la durŽe que lÕespace de promotion, de spectacle et de vente. Les grands ŽvŽnements universalisŽs tels que les Jeux Olympiques et la Coupe du monde de football deviennent lÕespace marchand nouveau de la reprŽsentation individuelle de nouveaux hŽros individuels, allant jusquՈ la remise en cause des stratŽgies des sports collectifs. Le sportif devient un hŽros, un artiste, un tre prŽdestinŽ physiologiquement, un corps conditionnŽ, produit pour le rendement et lÕefficacitŽ, sublimŽ par le style et le talent. Les drogues ingurgitŽs durant les annŽes tyranniques de guerres psychologiques des blocs opposŽs sont proscrites, car elles nuisent ˆ la reprŽsentation dÕun spectacle faussŽ, dÕun spectacle sÕavŽrant comme fabriquŽ et dŽformŽ par la prise de stupŽfiants (les hŽros du Tour de France deviennent ainsi de simples dŽlinquants toxicomanes que la police et les douanes interpellent, dŽtruisant de fait la mythologie barthienne, pour dŽplacer le mythe vers des sujets propres, vers des tres naturels). La force du marchŽ sportif est ainsi de masquer sa rŽalitŽ, par des transformations mŽdiatisŽs (la destitution de Ben Johnson jette lÕopprobre sur le monde athlŽtique, imposant le trs mŽdiatique Carl Lewis, dont on sait depuis le dŽbut 2003, quÕil avait ŽtŽ suspendu par sa fŽdŽration pour usage de produit interdit quelques temps auparavant). LÕiconographie du sportif est devenu durant les vingt dernires annŽes du XXe sicle une construction ŽlaborŽe dÕun marchŽ inventŽ, non plus pour le sport ou pour le sportif, mais pour le marchŽ, et par voie de consŽquences, pour ceux qui le contr™lent. On y retrouve toutes les caractŽristiques contemporaines du systme de production et de consommation, au travers du prisme mŽtamorphosant de lÕindividu tŽlŽvisuel. La logique de l'audimat, c'est-ˆ-dire de la soumission dŽmagogique aux exigences du plŽbiscite commercial, signifie le marchŽ moderne, le renversement de lՎconomie politique, dominŽe antŽrieurement par la dŽcision politique, et aujourdÕhui habitŽe dans le rŽseau inintelligible du pouvoir total, par la multiplication de la lŽgitimitŽ et de la dŽcision. La production est supprimŽe par le naturalisme, par le talent, par la disparition du travail et de lÕeffort, le sportif portant le masque du don divin. La consommation est sublimŽe puisque lÕimage lÕemporte largement sur le rŽsultat (le cas de la joueuse de tennis Anna Kournikova est un modle prototypique de ce phŽnomne. La joueuse russe se faisant plus conna”tre pour sa plastique avantageuse que pour ses rŽsultats, mŽdiocres par ailleurs. Une recherche Internet vous fera dÕailleurs atterrir directement sur un site o elle dŽvoile ses charmes). Le sport travail, effort et rŽsultat se supprime lui-mme pour sombrer dans le vide de la reprŽsentation. Le football, sport roi par excellence, en est aujourdÕhui la preuve manifeste. Il importe davantage de compter dans ses rangs des ic™nes mercantiles, dont l'image publicitaire pse plus lourd que l'efficacitŽ sur le terrain. David Beckham, la star du milieu de terrain de Manchester United est la nouvelle cible du recrutement du RŽal Madrid pour la saison 2003-2004, Žquipe dŽjˆ constituŽe par les plus grandes vedettes internationales. Santiago Segurola, du quotidien El Pais, dŽtermine ce choix ainsi Ē D'abord, bien sžr, pour ses centres millimŽtrŽs, mais surtout parce qu'avec Ronaldo, c'est le footballeur le plus connu de la plante, le meilleur vecteur possible du Ē merchandising Č, en particulier au sein du marchŽ asiatique montant. Č. Ē Au Real Madrid, on a compris que la gloire sportive doit forcŽment tre accompagnŽe d'un succs Žconomique Č. Depuis que le club madrilne a ŽtanchŽ une dette colossale en vendant, en 2000, ses installations sportives pour 600 millions d'euros, les dirigeants veulent la suprŽmatie mondiale dans le domaine de l'image. Moins riche que Manchester United en valeur absolue, le Real Madrid (293 millions d'euros de budget cette annŽe) veut gagner ce match-lˆ. Les joueurs cdent ainsi au club l'essentiel de leur droit d'image. Ē C'est une politique trs rentable, confirme JosŽ Angel Sanchez, directeur du marketing du Real. Gr‰ce au merchandising (plus du tiers des recettes du Real), les lourds investissements de Figo et Zidane ont dŽjˆ ŽtŽ amortis. Č Quant ˆ Ronaldo, entre septembre et dŽcembre 2002, il a permis de vendre 200 000 maillots portant son nom. Un record. Ē Avec Beckham, comme avec les autres, on fait coup double. Non seulement notre firmament se peuple d'une nouvelle star, mais on enlve une part de sŽduction ˆ un club rival, comme on l'a dŽjˆ fait avec le Bara (Figo), la Juventus (Zidane) et l'Inter (Ronaldo) Č. Accumulation de symboles, dŽploiement du dŽsir, le marchŽ du football, tout comme celui du tennis, se souci peu de la production sportive mais sÕorganise comme un espace de production et dÕincitation ˆ capitaliser tous les dŽsirs des machines humaines standardisŽes par la reproduction de lÕimage. Tous les autres facteurs sportifs, sociaux, Žconomiques ou politiques ne sont que des ŽlŽments pŽriphŽriques du marchŽ des dŽsirs mŽdiatisŽs dans chaque machine dŽsirante, rŽcepteurs des informations.

[126]Jacques Derrida, Ē  Spectres de Marx Č, GalilŽe, 1993.

[127]La nouvelle de Philip K. Dick qui sert de rŽfŽrence au polar glacŽ de Steven Spielberg, Minority report, nous donne une image du futur nŽolibŽral, o la police, instituŽe en entreprise privŽe, ˆ mis au point un systme de prŽcognition des crimes, par le biais de mutants, les prŽcogs, enfants dŽgŽnŽrŽs des seventies, enfants dŽgŽnŽrŽs de lÕhŽro•ne prise par leurs parents, qui visualise ˆ lÕavant les crimes et les font stopper par des forces dÕintervention. Bien sur comme dans la reproduction du mythe de Frankenstein, le monstre engendrŽ, par la monstruositŽ humaine, se retourne contre elle-mme.

[128]Luc Boltanski, éve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, NRF essais, Gallimard, 1999, p. 18.

[129]Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Arthaud, 1985, pp. 66-67.

[130]Bienvenue ˆ Gattaca

[131]Philippe Fremeaux, Ē Le bilan Žconomique des annŽes Mitterrand Č, Alternatives Žconomiques, fŽvrier 1995, pp. 14-22.

[132]Luc Boltanski, éve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, NRF essais, Gallimard, 1999, p. 21.

[133]http://www.census. Gov/hhes/income/histinc/h03.html. Sur cette question, Emmanuel Todd, Ē Aprs lÕEmpire, Essai sur la dŽcomposition du systme amŽricain Č, Gallimard, 2002, p. 89 et s.

[134]Mich¾l Hardt et Toni NŽgri, Ē Empire Č, trad. fran., Paris, 2000. Pour reprendre la formule dÕEmmanuel Todd, Ē ce nÕest sans doute pas un hasard si pour la premire fois, dans un grand pŽplum amŽricain, Gladiator, lÕempire romain fait lÕobjet dÕune Žvocation trs largement favorable dans son principe, mais critique de sa dŽgŽnŽrescence (panem et circenses). Nous sommes bien loin des pŽplums globalement anti-romains comme Quo vadis ?, Spartacus et Ben Hur Č. Cf., Emmanuel Todd, Ē Aprs lÕEmpire, Essai sur la dŽcomposition du systme amŽricain Č, Gallimard, 2002, p. 91.

[135]Jeremy Rifkin, Ē La fin du travail Č, La dŽcouverte, essais, poche, 1997.

[136]Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, Les Žditions de Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle Ždition augmentŽe, 1999, p. 270.

[137] ittorio de Filippis, Ē DŽflation le spectre qui angoisse lÕEurope Č, LibŽration, 15 avril 2003.

[138]Cf. Alan Greenspan directeur de la RŽserve fŽdŽrale amŽricaine (Fed). LibŽration, jeudi 08 mai 2003, Vittorio De Filippis, Les Etats-Unis menacŽs par la dŽflation ?

[139]Ē SÕil est vrai que le capitalisme dans son essence ou mode de production est industriel, il ne fonctionne que comme capitalisme marchand. SÕil est vrai quÕil est dans son essence capital filiatif industriel, il ne fonctionne que par son alliance le capital commercial et financier. DÕune certaine manire, cÕest la banque qui tient tout le systme et lÕinvestissement de dŽsir Č. Gilles Deleuze, FŽlix Guattari, Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrŽnie Č, Les Žditions de Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle Ždition augmentŽe, 1999, p. 272. Pour reprendre les termes de lÕanalyse de Deleuze et Guattari, on peut affirmer que le transfert du monopole monŽtaire de lÕinvestissement, vŽritable centre du capitalisme, de lÕentreprise vers la banque, sÕest aujourdÕhui encore rŽorientŽ, pour aller des institutions bancaires territorialisŽes, vers les places boursires dŽterritorialisŽes.

[140]Karl Marx, Ē Le capital Č, III, La PlŽiade, II, p. 1032.

[141]Philipe SŽgur, Ē Le pouvoir et le temps Č, Albin Michel, coll. Ē Question de Č, n” 103, 1996. Franois Ost, Ē Le temps du droit Č, Žd. O. Jacob, 1999.

[142]Ē LÕorigine du spectacle est la perte de lÕunitŽ du monde, et lÕexpansion gigantesque du spectacle moderne exprime la totalitŽ de cette perte : lÕabstraction de tout travail particulier et lÕabstraction gŽnŽrale de la production dÕensemble se traduisent parfaitement dans le spectacle, dont le mode dՐtre concret est justement lÕabstraction. Dans le spectacle, une partie du monde se reprŽsente devant le monde, et lui est supŽrieure. Le spectacle nÕest que le langage commun de cette sŽparation. Ce qui relie les spectateurs nÕest quÕun rapport irrŽversible au centre mme qui maintien leur isolement. Le spectacle rŽunit le sŽparŽ, mais il le rŽunit en tant que sŽparŽ. Č Guy Debord, Ē La sociŽtŽ du spectacle Č, 1967, Folio 1992, p. 30.

[143]Ē Lost Highway Č (1997) reprŽsente une Ļuvre rare par sa densitŽ et par la multiplicitŽ de ses interprŽtations. David Lynch a su raconter une non histoire et ce pour mieux intŽgrer furtivement son histoire. La sociŽtŽ contemporaine que nous montre Lynch est fidle ˆ la rŽalitŽ. La narration, ˆ lÕinverse, nous plonge dans un ensemble dŽcousu, fractionnŽ, nous montrant la fragilitŽ du temps et de la perception humaine.

La reprŽsentation, lՎmotion et la sensation des protagonistes fixent la relativitŽ et la subjectivitŽ du temps et de lÕhistoire. Le film est habitŽ dÕun monstre froid que lÕon trouve dans chaque interstice laissŽ par lÕespace et le temps dŽconstruits de la narration syncopŽe. Ces fractales ne sont pas que le fait dÕune volontŽ postmoderne du rŽalisateur amŽricain. Ces fractales sont la postmodernitŽ dÕun univers social troublŽ par les crises identitaires de la multitude ; ces fractales sont la postmodernitŽ des intimitŽs interchangeables ; ces fractales sont la postmodernitŽ des histoires superposables comme des matŽrialitŽs ; enfin, ces fractales sont la postmodernitŽ engendrŽ par un Urstaat diabolique, qui prend la forme du destin, de la multiplicitŽ et de la duplicitŽ, pour sÕimposer toujours comme le liquidateur de nos problmes. La fiction, lÕhistoire et la vŽritŽ, voilˆ le sujet qui hante Ē Lost Highway Č, voilˆ le champ de la suggestion de la fiction filmŽe qui rentre dans le champ de lՎpistŽm.

La non-histoire, cÕest la boucle, la folie, la parano•a, le meurtre. LÕhistoire, plus simple, est celle dÕun homme qui doute de son amour et surtout, de lÕamour que lui porte sa compagne. La gamberge est telle, que le protagoniste, Bill Pullman, se mute en cours de voyage. Il se dŽgŽnre et se rŽgŽnre tel le vers en papillon, avec pour seul cocon, le ventre nourricier dÕune prison fŽdŽrale. La transformation de Pullman en un petit loufiot, le passage a une autre histoire, laisse ˆ penser ˆ un Žtat de rŽgression, par le vŽcu et les rŽalitŽs dÕun jeune homme que ne peut conna”tre notre hŽraut Ē dŽsamourŽ Č. La conversion sÕopre alors ; comme ces doutes mŽlancoliques dÕun jeune homme, sÕattardant sur son enfance, mais dont le sentiment dÕadulte est dŽjˆ prŽsent (la musique mŽlancolique de Badalamenti est alors dŽterminante). Le minot est absent secouŽ par ce passage en prison, pas encore vraiment convaincu quÕil vient dÕaccueillir une autre histoire, un autre tre. La rŽalitŽ du travail augure ˆ peine une normalitŽ du discours, que le glissement sÕopre ˆ nouveau. LÕambiance pesante et dŽroutante de la menace vidŽo laisse place ˆ lÕunivers enluminŽ des highways, ˆ lÕauto, ˆ la mafia, ˆ sa btise et ˆ sa violence, puis finalement ˆ la bombe ; au retour de la femme qui est en fait la mme. LÕhomme peut fuir celle qui ne lÕaime plus, elle revient toujours dŽfinitivement, non plus comme un souvenir, mais comme un cauchemar qui nÕen finit plus. Lynch nous parle de ce cauchemar, de cette torpeur, de cette blessure. Ē Lost highway Č nÕest plus un film, cÕest une blessure dÕamour mis en image et Ē en histoires Č, qui ne peut se rŽvŽler simplement, sans pudeur. LÕentre-deux mondes sÕentrechoque encore par les sons distordus de notre ami John Zorn, donnant ainsi un vrai sens cinŽmatographique des mondes interlopes de Burroughs. Puis vint la scne, du film bien sžr, mais Žgalement dÕune certaine histoire du cinŽma. LÕapparition gracile sur fond de roucoulement Reedien de Ē lÕautre Č Patricia Arquette, reprŽsente lÕinstant enfin filmŽ de mise en rŽalitŽ du dŽsir et peut-tre mme de lÕamour hŽtŽrosexuŽ. Le pige se referme alors, la bte est de retour. LÕamour est chair, lÕamour est fuite.

Puis tout ˆ coup Žmerge lÕhypothse que tout ceci est un jeu, que Lynch nous mne en bateau, nous transportant, recherchant nos Žmotions, selon des codes savants, pour mieux nous piŽger dans des lectures de plus en plus complexes, de plus en plus intimes. Alors peut-tre quÕil ne sÕagirait que dÕune histoire de femme(s). La poulette sublime ne ferait que naviguer entre trois mondes : Pullman, la mafia et le minot. Les hallucinations ne seraient que les effets polluants et nocifs dÕune histoire trop forte. DÕautant plus que Lynch fait appel ˆ sa perversion naturelle pour nous offrir un strip gothique, vŽritable enluminure baroque sur fond de rock dŽpravŽ. La femme perverse, honnie, peut laisser entrevoir le complot sÕourdir. LÕimage se trouble pourtant, comme si la rŽalitŽ apparaissait dans le trouble, et non plus comme lÕinverse. Le dŽcalage du temps et de lÕespace, le complot contre lÕhomme seul voilˆ des thŽmatiques qui ne peuvent Žchapper ˆ lÕĻuvre totale de Philip K. Dick. Lynch filme simplement comme il peint en (in)sinuant les histoires et les traits et en dŽcalant les images et les scnes fortes. Le trouble passŽ ressurgit la dŽcadence lynchienne accommodŽ ˆ la sauce Ramstein, et stylisŽ dans les arts de la table, ou comment faire une table de salon avec un proxŽnte. LÕimage sÕellipse alors, les jumelles apparaissent. Le gamin nous fait une rŽaction ˆ Pullman ou cÕest peut-tre lÕinverse. La tragŽdie se joue alors en enfer. Le cynisme fŽminin renvoyŽ aux oubliettes de tous les prŽjugŽs fŽministes quÕont les hommes. Lynch dŽgueule tout autant son venin, quÕil nÕen filme sublimement Patricia Arquette. La femme double et perfide qui attire et qui trompe les hommes telle la veuve noire, la gorgone, la sirne, celle qui attire et celle qui rejette. Pullman peut revenir alors pour accomplir la non-histoire. Le diable peut rŽappara”tre sous la forme du destin, ou dÕun tre mutant tout droit sorti de lÕunivers Deleuzien de lÕUrstaat. Car voilˆ, cÕest ˆ lÕh™tel Ē Lost highway Č que la dame officie dans lՎpongeage de maffieux pas frais ; cÕest ˆ qui Žnerve Pullman. ArmŽ par le destin, il saigne le porc, et lui retombe alors dessus toute la merde obsessionnelle de ses fantasmes, de ceux du porc, et probablement de ceux de Lynch. La mort frappe alors, laissant toujours derrire elle comme un murmure, ainsi que la rŽalitŽ sordide dÕune cervelle ŽclatŽe. Pullman peut alors rentrer se dire que Ē Dick Laurent est mort Č.

[144]Ē La ligne rouge Č de Terence Mellick est un film Žcrasant, un mammouth sans fin, une Ļuvre qui Žradique lՉme, qui broie le peu de ciel qui reste au fond de lÕhomme contemporain. Le second long mŽtrage de Terence Mellick nÕest pas un rŽel long mŽtrage de guerre ou sur la guerre. CÕest un texte sur lÕutilitŽ et sur lÕinutilitŽ de nos vies. Ce film nous parle plus quÕil ne nous narre. Il pose le spectateur en centre de gravitŽ de lÕĻuvre en nous susurrant dans lÕoreille, ˆ la manire dÕun Fritz Lang, mais point pour nous horrifier, mais pour nous plonger dans lÕab”me de nous mme. LՎcrivain est un homme qui capture par lՎcrit son dialogue interne. Mellick filme cette ouverture, cette narration, en sautant dÕhomme en homme, au fur et ˆ mesure o ceux-ci sont fauchŽs, broyŽs, coupŽs, dŽtruits. LÕontologie humaine relve de lÕinsignifiance (Mellick en profite pour liquider Hollywood. Le film regroupe lÕessentiel de la classe dÕacteurs amŽricains en vogue. Certains nÕont quÕun r™le de circonstances qui recompose leur statut de stars, dÕautres assume leurs morts rapidement. Aucun ne peut rŽellement sÕimposer, y compris lÕacteur principal, tant le film sÕimpose aux acteurs Šhormis un effrayant Nick Nolte). LՐtre dispara”t aussi lentement que possible, laissant derrire lui une trace si longue, si fine, que les portraits de chacun des personnages non plus dÕimportance. La ligne rouge est une Ļuvre purement HeideggŽrienne, o lՐtre nÕa de chance que dans lÕoubli, le nŽant, lÕangoisse et le silence. Guadalcanal nÕest plus un thŽ‰tre dÕopŽration de la seconde guerre mondiale, cÕest un non-lieu, un faux-fuyant, un trou sans vie. La guerre nÕa plus dÕimportance, les hommes non plus. Notre destin contemporain fait de micro dŽsastres, de luttes pour avoir et vivre dans un confort moderne et dŽprŽciatif, est vain. La vie nÕest rien face ˆ la mort. Nos petites vies ne sont rien face ˆ la mort totale.

[145]Louis Constans, Paradoxes, P.U.P., collection ƒtudes, 2001

[146]LÕenfant est devenu lÕotage symbolique des sociŽtŽs occidentales, en retour, il en sera probablement le bourreau. Il ne sert pas que de couverture idŽologique ˆ lÕaction publique rŽpressive, il se pose le plus souvent lui-mme comme un tyran. Il se voit offrir les moyens dÕune nouvelle domination sociale, par le laissez faire des autoritŽs publiques et parentales aux sentiments coupables (Le Monde, 05.04.03, Lorsque lÕenfant devient tyran). Les enfants sont ainsi dŽresponsabilisŽs, sans Žducation, sous le seul prŽtexte permissif de parents dŽmissionnaires ayant choisi souvent par facilitŽ et impuissance de laissez faire, application stricte du libŽralisme de gouvernement aux gouvernements des individualitŽs. Il occupe lÕespace par des cris et une agitation intempestive, dŽniant et rŽclamant lÕautoritŽ absente, contestant ce pouvoir quÕon lui abandonne et dont il ne sait rien. Autrement dit, la confusion du laissez faire libŽral, des dŽmissions individuelles et collectives, projettent lÕenfant dans une sphre dÕautoritŽ nihiliste, constituant un fascisme rose absolument incontr™lŽ, reprŽsentant un modle politique contemporain (les tableaux du peintre amŽricain Mark Ryden ont ŽtŽ les premiers jalons annonciateurs de ce phŽnomne -info@markryden.com ; Žgalement, le film futuriste japonais BattleRoyal de Kinji Fukasaku montre une sociŽtŽ de violence o les enfants doivent sÕentretuer au cour dÕun jeu tŽlŽvisŽ pour pouvoir retourner au sein de la sociŽtŽ civile). Voir ˆ cet effet une Žtude rŽcente menŽe par des psychiatres franais, La Revue du praticien Š MŽdecine gŽnŽrale (tome XV, n” 532), mars 2001, dŽcrivant un tableau inquiŽtant de cette forme particulire de Ē tyrannie intra-familiale Č; Žgalement, Didier Pleux, Ē De l'enfant roi ˆ l'enfant tyran Č, Editions Odile Jacob, 2002 ; ou pour une interprŽtation fixant cette Žvolution ˆ lÕimpact de la tŽlŽvision sur les enfants, Joshua Meyrowitz, Ē LÕenfant adulte et lÕadulte enfant Č, in Le temps de la rŽflexion, n” 6, 1985, Gallimard, pp. 251 et 277-279..

[147]Comme lÕa relevŽ Pierre Bourdieu, lÕusage de la tŽlŽvision pour rŽgler le sort de la tŽlŽvision devient circulaire et fermŽ (Pierre Bourdieu, Sur la tŽlŽvision. Suivi de lÕemprise du journalisme, Paris, Liber - Raison d'agir, 1996, p. 22.). La tŽlŽvision devient tautologique, circulaire et enfermement. Elle se rŽflŽchit elle-mme, en dŽpassant le narcissisme quÕelle sÕappose et quÕelle impose aux rŽcepteurs. Elle est la structure autonome de lÕaliŽnation invisible quÕelle tisse et quÕelle dŽploie sur chaque rŽcepteur. Elle sÕautoproduit, sÕautodŽfend, et ne peut donc que sÕautodŽtruire par la destruction de la valeur quÕelle gŽnre, autant que par la destruction du sens quÕelle ne peut dŽvelopper que par la perte de sa plus-value (On ne pouvait tre que dÕaccord avec Pierre Bourdieu quand il Žnonait lÕimpossibilitŽ de lutter contre les effets invisibles des structures de la tŽlŽvision, en communiant avec cette dernire. Son propre naufrage dans lՎmission Ē arrt sur image Č, sur la Cinquime, en aura ŽtŽ la triste preuve. Tous discours sur la tŽlŽvision imposent de la rŽcuser et de la boycotter radicalement, tous actes rŽvolutionnaires Žtant contre son usage narcissique, que cela soit face ˆ elle, ou en elle.)

Comme le dŽmontre Guy Durandin, ˆ une Žpoque du tout informatif, la prŽsence de la dŽsinformation pose les conditions de rŽalisation de la dŽmocratie participative. De ce point de vue, lÕauteur tend ˆ dŽmontrer que le partage de lÕinformation ne va pas de soi, car partager la connaissance se serait sÕapprter ˆ partager les richesses. LÕenjeu dŽmocratique ne peut tre alors conu que par une information validŽe et cohŽrente. Cependant, Les sources informatives peuvent dissimuler leurs identitŽs, le mensonge et la dŽsinformation ne pouvant plus tre totalement contestŽs dans Ē lÕordre cohŽrent Č de lՎconomie politique capitaliste. Guy Durandin, Ē LÕinformation, la dŽsinformation et la rŽalitŽ Č, Ē le psychologue Č, P.U.F., 1993.

[148]J. Derrida, Force de la loi. Le fondement mystique de lÕautoritŽ, op. cit. p. 108. Ē La police nÕest pas seulement police, elle est lˆ, figure sans figure dÕun dasein co-extensif au dasein de la p—lis Č. p. 106. Foucault affirme que Ē La police appara”t comme une administration dirigeant lՃtat concurremment avec la justice, lÕarmŽe et les finances. CÕest vrai. En fait, pourtant, elle embrasse tout le reste. Comme lÕexplique Turquet, elle Žtend ses activitŽs ˆ toutes les situations, ˆ tout ce que les hommes font ou entreprennent. Son domaine comprend la justice, la finance et lÕarmŽe. Č M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 127.

[149]Philip K. Dick, Hommes, andro•des et machines, (1976) Extrait de Ē Si ce monde vous dŽpla”t... et autres Žcrits Č, Editions de l'ƒclat.