Philosophie politique
Notions lmentaires de la
philosophie politique du temps prsent et propositions de rflexions sur le
pouvoir et la philosophie de lÕhistoire
Cours de Licence de droit
Dominique Sistach
La philosophie politique, bien que discipline acadmique,
est une rencontre assez curieuse, quoique invitable, de la chose pense et des
formes du pouvoir. La notion de pouvoir est comprendre dans son sens le plus
commun et le plus gnral, qui dpasse ainsi les seules questions de
lÕautorit, de la comptence, des stratgies, des institutions, mais qui
intgre galement le dsir, la jouissance, lÕavoir[1].
La philosophie est cette pratique rcurrente et
universelle, qui consiste penser lÕaction, prendre recul, et par lÕexercice
de la pense, du langage et de lÕcrit, discerner les comportements, les
actes et les mots, lÕorigine, les moyens et toutes fins, jusquÕ discerner
lÕinvisible, ce qui nÕapparat pas lÕĻil mais lÕesprit. En ce sens toute
philosophie est critique. La politique rvle une mme rcurrence historique,
puisque dans toutes civilisations connaissant le dveloppement du pouvoir, soit
actuellement, plus de neuf communauts sur dix, la politique est apparue la
masse occidentocentriste comme le qualificatif, et le dnominatif commun des structures de
commandement de domination collective, puis de domination institue de lÕhomme
sur lÕhomme (la politique occidentale, et par voie de consquence le principe
de la norme imprative, impose lÕpistm dominante de la science politique
contemporaine ; la politique se rvlant plus justement sa marge
anthropologique comme un lieu de partage invers du politique : Ē Dans
les socits tat, la parole est le droit du pouvoir, dans les socits sans tat, au
contraire, la parole est le devoir du pouvoir. Č[2]).
La philosophie et la politique ont ainsi ce point commun
que de consister dans ce dtachement de lÕintellect sur lÕaction humaine, et
tout particulirement, cette rflexion sur lÕordre du pouvoir. LÕune et lÕautre sont
spars, rendus autonomes, mais ainsi forcment lis, tenus lÕune lÕautre,
par un systme logique et stratgique qui permet de rendre leurs rapports
homognes.
La philosophie politique est ainsi avant tout une
construction dialectique extrmement importante[3].
La philosophie produit textuellement la politique, alors que la politique
conditionne, soumet la philosophie. Par ailleurs, la et le politique se
lgitiment par la prsence rassurante du philosophe, et plus de la
philosophie,
alors que la philosophie dfait et reconstruit le et la politique.
La philosophie impose une rflexion critique qui permet la
constitution dÕune recherche globale sur le sens humain, et notamment par la
soumission de ce sens aux relations dÕaltrit et dÕhostilit communes, des
relations sociales et des relations de pouvoir. La politique est une rflexion
situationnelle de lÕtat des relations de pouvoir, un moment donn, et un
endroit donn. La premire est un instrument dÕintellectualisation critique de
lÕaction de lÕhomme, la seconde est un instrument dÕintellectualisation positif
de lÕaction de commandement, dans et hors de lÕtat, du cadre organique de la
socit, et de lÕtablissement statutaire des relations sociales.
La premire est une extriorisation rflexive (la pense
interne sÕextravertie, sort du penseur par le langage o lÕcrit, en ce sens la
philosophie, est une humanit), la seconde est une fixit rflexive (le
pouvoir, et son organisation, en dpassant le cadre originel de la violence, de
lÕaltrit et des rtes, se fige dans un territoire-tat, -la cit-, un domaine
Šune discipline-, dans des rgles Šle droit-, et dans des pratiques, -une
culture et des habitus-). La premire signifie la libre communication, la seconde
lÕenferment conceptuel et pratique, la science et le droit, pour retrouver les pistms
dominantes dfinies par Lyotard et par Latour[4].
Ces deux termes entretiennent des rapports complexes,
puisquÕils confluent sur lÕensemble de leurs dterminants, tout en refluant sur
leur principal axe, au point de reprsenter un vritable antagonisme, une
vritable asymtrie, un vrai conflit. Philosophie et politique sont ainsi en
assemblance et simultanment en dissemblance. La philosophie peut ainsi dcrire
la politique, autant quÕelle peut la changer (Platon, Aristote, Cicron chez
les classiques, Spinoza, Fergusson, Hegel, Kant, Marx chez les modernes, et
jÕaime penser que les principes centraux de Levinas, de Morin, de Serres et
surtout de Derrida aient une quelconque influence sur la politique
contemporaine future).
Nous le constatons, philosophie et politique sont deux
cadres de qualification de lÕhumain pensant (cf. Pascal), soit qui lui permet de
se penser comme tel, selon un protocole dÕidentification de lui dans lÕordre du
cosmos (Descartes face sa glace en est une reprsentation prototypique).
LÕhomme conscient est ainsi conscient de ses besoins dÕorganiser ses contingences.
Philosophie et politique se compltent galement, puisque
le cadre dÕinterprtation et de rflexion philosophique permet de penser le politique (les questions relevant
de la communaut, de son organisation, de la dvolution du pouvoir politique et
conomique institu) et la politique (les questions relevant de la stratgie pour
sÕaccaparer les pouvoirs et pour lÕorganiser).
Il convient de relever quÕil existe une pense Ē occidentale Č
commune, mais non hirarchise historiquement, qui sÕest dveloppe autour
dÕune recherche de dfinition et dÕorganisation du concept politique. Le terme,
son objet et son usage sont grec et romain[5].
Bien entendu, cette origine du terme ne doit pas nous faire croire, comme le
lieu commun lÕimpose, ou certains factieux lÕaffirment, que cette origine
pourrait sÕassocier par une quelconque hrdit continue. La seule hrdit est
philosophique, cÕest celle dÕides transmises par crit, puisque nous ne Ē descendons Č
des grecs et des romains que de par leurs ides crites, et reproduites jusquÕ
nous (que savons nous dÕAristote ou dÕHraclite, si ce nÕest, ce que le temps
nous a laiss lire de leurs crits en fragments[6]).
Notre hrdit politique dbute en effet plus que probablement aux barbares,
qui ont permis lÕeffondrement de lÕEmpire romain. Cette historicit trouble
que montre si bien lÕhistoire du droit, toujours fonde, lgitime, retrouve
de lÕhistoire du droit romain, tout en prenant cas, de prsenter comme
dissmin, sans cohrence, lÕhistoire des droits coutumiers, de la division
sociologique et institutionnelle, territoriale et politique du droit des
barbares.
LÕoccident se constitue politiquement sur la base dÕun
texte qui Ē sÕhistorise Č et dÕune histoire qui se textualise. Ė la
Renaissance, la transformation du monde est une transformation de notre regard
sur lÕhistoire, le moment de la dcouverte des textes anciens, le moment o
lÕhistoire du politique sÕutilise lÕinverse, pour que le politique produise
lÕhistoire, et confondent tous les temps (au sens o ils sÕassimilent, sÕunifient, et
galement, au sens, o ils sÕopposent, se distinguent, se sparent). Renatre
ainsi[7],
comme lÕnonce Norbert lias, Ē notre propre vision familire, notre
propre image de lÕhomme ne sont apparues quÕassez tardivement dans lÕhistoire
de lÕhumanit, dÕabord lentement et pour une brve priode dans des cercles
restreints des socits de lÕAntiquit, puis de nouveau partir de la priode
que lÕon a appele la Renaissance (fin XIVe Š dbut XVIIe
s.), dans les socits occidentales. Č[8] Le changement opr dans les
langages dominants, dans la mutation des pistms, le montrent : de la mathesis (algbre) en taxinomia (histoire naturelle et grammaire)[9],
le langage logique, la norme devenaient des langages dÕintgration de la
connaissance et des langages de prsentation de la connaissance, un savoir et
une parole. Ou pour prendre les mots dÕHermann Broch, Ē Aussi bruyante que
fut cette poque, un premier souffle de silence tait pass sur le monde :
muette est la langue mathmatique de la science moderne, muette lÕexprience
mystique de Dieu laquelle renvoie le protestantisme. Ainsi sÕtait veille
la langue muette de lÕimmdiatet, qui ne fait que montrer et ignore la
dduction dialectique, ainsi la langue de Dieu avaient commenc de se retirer
devant la langue des choses Č[10].
Ė sa naissance, lÕhistoire est, et se raconte comme une
histoire connue[11], aboutie[12],
mais qui sÕachve, qui sÕinterrompt, presque dans un temps ultime o le temps
est en suspens, et repart. Ce pas dÕhsitation de lÕhistoire, nÕest que la
gestation dÕun monde qui se construit, dÕun texte du monde qui sÕchafaude,
mais qui se ruine, rong par les proprits mme de ce qui faisait la puissance
antique (la guerre, lÕesclavage, leur connaissance)[13].
Cette histoire reconnue comme tant le premier temps dÕune des civilisations
majeures de notre temps connu, est pourtant une trange histoire (soit comme une histoire
qui sÕloigne, le mot originaire est sÕestranger, sÕloigner, soit comme une
histoire qui revient, inaugurant la relation dialectique premire de
lÕhistoire).
La rflexion de lÕhomme sur lui, lÕamne se
reconsidrer. Sa
rflexion historique est ainsi une mise en boucle, un retour sur soi, une
rvolution, qui fait quÕil ne peut trouver dÕautres structures que celle des
cycles, que dans la reproduction, que dans le simulacre, que dans la ressemblance et que dans la rptition, pour retrouver l encore les
horizons de Foucault et de Deleuze.
LÕeffondrement de lÕantiquit est une rupture
vnementielle, mais cÕest galement une rupture initiatrice de lÕhistoire
venir, une blessure ineffaable. Cette rupture plonge les territoires et les
peuples dans le chaos de la guerre, de la dsunion de toutes les forces
constitues par les cits et par les Empires. Le rve, la folie rationnelle de
lÕEmpire romain, sÕeffondre de lÕintrieur et de lÕextrieur (logique qui hante
Hegel), par une dmultiplication de crises entrelacs : crises du
politique (du territoire et des conflits internes et externes), crise sociale,
crise conomique, crise juridique, crise historique, crise technologique, crise
esthtique, la crise est romaine par essence, elle est, comme lÕindique sa
double tymologie latino-grecque, rupture du temps venir, tout comme elle est
transition, mutation, redcoupage du temps prsent. LÕanalogie est alors
vidente, lÕhistoire en vie sÕest dveloppe par analogie au corps, et sa
dure de vie, quantifie par le vivant et limite par la mort. La fin de lÕhistoire nÕest pas un concept moderne, au
sens o certains lÕentendent[14],
cÕest une trace mythologique, un souvenir perdu de lÕantiquit.
La crise de lÕinstitution premire de lÕoccident
mythologique est ainsi un effroi et une dsorganisation. LÕeffroi consiste dans
la dcouverte de la puissance, quÕils camouflent juridiquement dans lÕordre du
politique, du dbat et des conflits. Cette puissance consiste justement la
capacit de pouvoir rompre, de pouvoir dcider, de la vie comme de la mort, de
lÕhistoire comme du temps.
Ce graal est ainsi fait. Sa prise de conscience historique
a amen immdiatement la confusion, la dsagrgation de la construction
romaine, la dcadence[15], la fin de leur temps, un temps
dsormais en ruine (la dcadence, du latin decadentia, est un terme dconstruit par ces
analogies puisque lÕorigine il signifie ce qui tombe dÕun btiment ; ce
sens premier ayant t abandonn pour illustrer des situations figuratives. Le
terme de dcadence est alors utilis pour la dchance du corps et de lÕesprit,
pour tre par suite, rutilis partir de la fin de lÕantiquit par les potes
de la dcadence romaine, comme lÕnonciation esthtique de la fin). Ce temps en
ruine ne fut pas celui des romains, mais il est le mot et lÕiconologie de notre
croyance en un dbut de la fin.
Cette mise en perspective montre comment ce temps premier
mute au contact de notre mmoire historique du langage, ce temps de gestation
comme tant construit sur une rupture, qui nÕest pas sans rappeler le premier
stade de lÕenfance, par la dcouverte de la sexualit, se retour soi, son
origine premire, revient en occident lÕpoque moderne comme lÕangoisse de
cette disparition[16].
Immdiatement, ce nÕest pas une image quÕil faut
trouver ; cÕest un son, une vibration, une sorte de transe de
lÕhistoire blanche
(Ē Comme le fer rougi blanc on peut dire que tout ce qui est excessif
est blanc Č[17]). Force est de constater, que
nous reproduisons les schmes de lÕhistoire antique comme un rfrent
civilisateur de lÕhomme, pour lui-mme, mais aussi, et souvent simultanment,
comme un rfrent de la dchance, de la fin, de lÕerreur, comme une nouvelle
Babylone. LÕhistoire politique reproduit cette alternance, ce besoin, que lÕacclration du temps
prsent ramne quelques mois, dans des exigences de consommation et de
destruction du politique particulirement singulires lÕanalyse ; le polemos lÕemportant dfinitivement sur la
polis.
La difficult de lÕanalyse rside ainsi aborder notre
thmatique selon une conception historique nuance, quant au rapport que nous
entretenons avec une origine commune occidentale, qui est proprement parl,
un des mythes contemporains les plus enracins en Europe (lÕUnion Europenne
achve ce processus mythologique en lÕinstitutionnalisant, mme si selon un
temps rcent, cÕest le reflet de lÕAmrique qui a constitu la premire
rfrence contemporaine de lÕUnion. Le temps de rfrence historique est alors
dterritorialis et raccourci).
Le XXe sicle ayant t une des dures
de lÕhistoire humaine o lÕacclration du temps des hommes sÕtant accrue
son optimum[18], lÕhomme
historique (lÕhomme qui
sÕidentifie sa propre histoire, et de multiples histoires collectives et
rfrentielles, cf., la mythologie,
la famille, les religions la nation, les groupes et les genres dÕappartenance,
les identits, les histoires inventes et reproduites, le roman, le cinma[19],
etc.)[20],
ne peut dÕailleurs plus croire cette interrogation anthropologique, que dans
le cadre dÕune idologie politique et historique partisane (lÕorigine
historique commune euro-franaise qui dclare que les valeurs occidentales
Ē descendent Č de la philosophie grecque et du droit romain). Pour
lÕessentiel, lÕhomme contemporain fonde la politique sur les faits produits par
le commandement institu, ceci inscrit comme une fatalit incommensurable de
lÕhistoire des hommes modernes. Son histoire mythologique constitue une trace,
un spectre pour reprendre la
typologie de Jacques Derrida[21],
une hypothtique et lointaine origine qui revient dans le mystre et le repli
des mots du temps prsent[22],
dans ces autres fantmes qui sÕaccumulent galement[23], qui ne lui sert que trs peu, pour comprendre une
poque sur-dynamise, o lÕordre politique est mondial, conomique, tatique,
structurel, sociologique, biologique, thique et historique, et se nominalise
dans lÕordre du concret comme nous le montre si justement Alain Badiou[24].
Aussi souvent, notre philosophie politique sera claire par la philosophie de
lÕhistoire benjamienne, qui permet de comprendre et de montrer la
discontinuit, lÕoubli, la rsurrection, lÕusage slectif de lÕhistoire comme
la reproduction dÕune conscience thorique et politique nouvelle[25].
La philosophie politique est ainsi une discipline centrale
pour tayer une description de lÕordre contemporain du pouvoir, pour le
comprendre littralement, et pour lÕinfluencer, au sens le plus classique de la
philosophie grecque. Bien entendu, notre domaine dÕtude malgr tout ceci de
particulier quÕil est interfr par des disciplines concurrentes (sciences
sociales et sciences humaines), quÕil est neutralis par lÕautorit de ceux qui
dnigrent le savoir et la pense, pour mieux contrler et imposer leurs thmes
de prdilection (lÕpoque contemporaine est centrale en matire de lutte
politique sur le savoir et contre le savoir. Les trois pistms de Foucault
sÕentrelaant dans un mouvement en torsade, pour reprendre une image lacanienne),
quÕil est fragilis par sa reprsentation affaiblie depuis la fin du second
conflit mondial (la philosophie sÕest chou avec Dieu Auschwitz comme
Hiroshima), quÕil est remis en cause, au point que beaucoup rcuseront leurs
appartenances ce champ disciplinaire (cf. Hannah Arendt, Michel Foucault,
Pierre Bourdieu, etc.).
La philosophie politique prsente semble ainsi fige.
Passant dÕun ct littraire, avec lÕapparition dÕun grand nombre dÕessais
cette dimension, ou certains philosophes sÕessayant ce genre, ce type de
pense philosophique est malgr tout demeur dans son champ propre (Tony Ngri
et Michael Hardt). La philosophie politique est ainsi comme toute pense, du
dedans, comme du dehors. Elle est ainsi au moins le fait de deux champs
dominants : le champ des ides, des philosophes et du dbat, ainsi que le
champ du pouvoir, champ du complexe, du cach et de lÕapparence, sans vritable
philosophie, si ce nÕest celle de possder, dÕaccaparer, de maintenir,
dÕorganiser et dÕtre possd par le pouvoir.
Il faut ainsi sÕavoir entretenir (comme on entretient un
feu) une dialectique entre la connaissance des deux champs, puisque leur
rencontre, leur entrecroisement mme, produit un troisime champ du savoir
politique, dont nous verrons quÕil sÕagit pour lÕessentiel dÕun espace
dogmatique, dÕune reprsentation, dÕun thtre, dÕune illusion. Ce tlescopage
ou cette mise en sinuosit des champs du discours et de lÕaction, obscurcit
lÕobservation du politique, fixant toujours plus lÕordre institu. Le politique
sÕest ainsi, fort de ce troisime champ dialectique, dbarrasse de la
philosophie et des philosophes, en introduisant la relativit et le doute
propre aux dbats dÕides, dans la politique relle, et en ramenant de la
fixit, des certitudes dans le statu quo permanent du discours et des dbats, dans un cadre
que lÕon veut tre la dmocratie. Cette inversion fait que la politique sÕeffrite
et se prennise en lÕtat de ses ruines, alors que les ides politiques se durcissent et sÕtiolent,
ruines par leurs mconnaissances, de leurs rapports de savoir la multitude. La
philosophie contemporaine dcime, tant par manque de philosophe, que par
dfaut de support communicationnel nouveau, ne trouve pas son espace et ses
interlocuteurs. Au XXe sicle, seule la philosophie conue de son
extrieur va dvelopper de nouveaux champs discursifs, que notre temps du XXIe
sicle ne connat pas encore, mais qui ne pourront sommeiller trop longtemps.
Pour mener bien ce propos, la dmonstration sera
essentiellement didactique. Il sÕagira de prsenter quelques auteurs dterminants,
et ainsi les thmes les plus rcurrents de leurs Ļuvres, pour sÕappuyer sur
leurs Ļuvres comme Robert Merton sÕappuyait sur des paules de gants[26]. Le propos consistera ainsi, tel
que Gilles Deleuze nous lÕa appris, utiliser un auteur tout en le trahissant, utiliser ses concepts sans
adhrer toute sa doctrine, pour fuir lÕemprise de lÕhistoire de la philosophie.
Cette dmarche nous permettra lÕissu de dvelopper une thmatique propre,
pour mettre en exergue les auteurs et les usages ncessaires lÕinterprtation
du politique contemporain.
I/ La philosophie politique contemporaine : temps,
histoire, tre, avoir, langage et complexit.
La philosophie politique de Martin Heidegger est bien entendu trouble par la
personnalit et lÕengagement personnel de lÕauteur. A lÕorigine, la
publication de lÕouvrage Ē ętre et temps Č en 1927[27], Heidegger se propose de parler
de lÕtre, de lÕtre-l, le dasein, de lÕtre-dans-le-monde. Son propos est une recherche ontologique, soit de parler
de lÕtre, avec une volont de mettre en commun le destin de tous les tres.
Souvent ramene une seule lecture existentialiste (nous nÕavons pu lire que
le premier livre concernant lÕhomme), Ē ętre et temps Č est amput de
son essence, soit le fait que lÕhomme existe parce quÕil est plong dans le
temps, seule ralit du monde. Le temps heideggrien, nÕest pas le temps
mcanique de lÕhorloge, ni le temps psychologique qui passe et chappe
lÕhomme, ni le temps tablit par les lois de la physique. Le temps est ouverture.
Ouverture vers ce qui nÕexiste par encore, vers lÕindtermin et donc vers la
libert. LÕhomme en tant que locataire du temps qui lui est imparti, est
potentiellement un tre ouvert, abandonn lui-mme, ouvert aux possibles,
aptes sÕaccomplir. Heidegger dispose ainsi le malentendu humain, car la
destine des hommes ne peut conduire quÕ la disparition de lÕespoir, achevant
ainsi le principe ontologique de la chrtient : ni paradis, ni terre
promise ne peuvent sÕoffrir lÕhomme dans le pige de son propre temps, de sa
propre histoire. Principe central de la pense de Heidegger, lÕtre ne peut se
plonger que dans le nant, puisque le destin humain nÕaboutit rien, au vide.
LÕouverture au monde nous confronte au nant sous les formes concrtes quÕil
prend dans lÕexistence : lÕangoisse est une confrontation la mort,
lÕennui est une confrontation au vide, la peur est une confrontation au danger.
Voil, selon Heidegger, le fondement de la peur de la libert, qui fait que
lÕhomme contemporain se rfugie dans son quotidien, comme dans lui-mme. La Ē dictature
du on Č fait
office et entrane une Ē vie inauthentique Č. Sartre dans Ē LÕtre et le
nant Č, assimile lÕĻuvre de Heidegger, une ode existentielle la
libert de la condition humaine, alors que Bourdieu y voit les fondements dÕune
ontologie politique nouvelle, une rvolution conservatrice qui renversera
lÕAllemagne, ou encore, Theodor Adorno qui ironisera sur cette pense vide,
sur cette Ē fable de lÕtre arrach lÕtant Č.
La pense de Heidegger semble toutefois sÕgarer dans le
systme hglien, dans ce formidable instrument de dfinition de lÕinstant, de
dfinition de lÕhistoire, qui permet simultanment dÕcrire le futur ;
dÕutiliser ce systme comme matrice de lÕconomie politique globale. En ce
sens, la pense hglienne est simultanment une philosophie de lÕhistoire et
une philosophie politique. CÕest cette perfection systmique et philosophique
qui illumine Heidegger (Tarde dit justement, sans imaginer lÕĻuvre
heideggrienne : Ē Le systme hglien peut-tre considr comme
le dernier mot de la philosophie de lÕtre. Č[28]), qui ne lui permet pas de
dpasser la question et la thorie de lÕtre qui focalise la pense occidentale
depuis Aristote[29].
La philosophie, et pas exclusivement la philosophie
politique, sÕest intgre dans un mode interrogatif et rsolutoire autour de
lÕhomme. Hors comme lÕimpose Marx ou comme le formalise Tarde, la question de
lÕtre nÕest quÕun lment de la philosophie. Hors, Ē Il nÕest rien (É)
de plus clair que les deux ides de gain et de perte, dÕacquisition et de dpouillement, qui en
tiennent lieu dans ce que jÕappellerais la philosophie de lÕAvoir, pour donner
un nom ce qui nÕexiste pas encore. Č[30] Avec Tarde, la philosophie de
lÕAvoir est un phnomne historique et cognitif lÕorigine de la production
sociale : Ē QuÕest-ce que la socit ? On pourrait la dfinir
notre point de vue : la possession rciproque, sous des formes
extrmement varies, de tous par chacun. (É) Toute la philosophie sÕest fonde
jusquÕici sur le verbe ętre, dont la dfinition semblait la pierre philosophale
dcouvrir. On peut affirmer que, si elle et t fonde sur la verbe Avoir, bien des dbats
striles, bien des pitinements de lÕesprit sur place auraient t vits. Š De
ce principe, je
suis, impossible de dduire, malgr toute la subtilit du monde, nulle autre
existence que la mienne ; de l, la ngation de la ralit extrieure.
Mais dÕabord ce postulat ; Ē jÕai Č comme fait fondamental, lÕeu et lÕayant sont donns la fois
comme insparables Č[31]. Tarde par cette proposition
dforme lÕextrme ralit la proposition hobbesienne de la guerre de tous
contre tous. La
possession rciproque de tous par chacun devient la norme gnrale du politique, dans une socit
dÕhomme alin cette possession, dans une socit politique contemporaine possde. JÕai, jÕeu, et lÕayant dtermine lÕavoir, ce que je nÕai plus, ce que jÕai et lÕautre. La formulation de Tarde dmontre
le processus de lÕavoir, de ce que nous qualifierions de nos jours de la dtermination
de soi par sa possession, par ce qui possde, par ce que jÕai au sens le plus
large, puis par ces deux propositions possibles, dÕavoir et de ne plus avoir,
pour sÕouvrir sur lÕautre champ du possible, lÕautre, le tiers, celui qui a des
droits, lÕayant-droit (les droits subjectifs sont ainsi fondamentalement des droits
dÕavoir). En terme logique, nous avons l un systme logique, fait de deux
propositions possibles, dÕune tautologie et dÕune contradiction. Ce systme
purement wittgensteinien est un cadre philosophique et scientifique qui me
semble rexaminer, pour que la philosophie de lÕavoir permette de comprendre
cet homme qui nÕest plus, mais qui a, de cet homme Ē spectralis Č
par sa possession. La pense de Tarde est ainsi simultanment un contrepoint
la pense heideggrienne et un contrepoint la pense marxiste, puisquÕelle
dplace lÕontologie de lÕtre vers lÕavoir, tout en re-signifiant la
perspective de la possession hors dÕune dimension ontologique, dans lÕhumain[32].
La philosophie politique de Ludwig Wittgenstein, parce quÕelle introduit une
pense critique du rationnel prtabli, parce quÕelle permet de reconsidrer la
conception fige de lÕhglianisme, dtermine la philologie nouvelle du XXme
sicle. Pour reprendre les mots de Ludwig Wittgenstein, Ē toutes les propositions
de la logique disent la mme chose, savoir rien.Č[33]. Elles ne sont pas dnues de
sens (unsinnig)
mais simplement dnues de contenu (sinnlos). Pour reprendre la pense
centrale de Ludwig Wittgenstein, il faut raffirmer que les faits sont les
lments d'un espace logique, c'est--dire du systme qui dtermine a priori toutes leurs relations logiques
possibles. En se rfrant une pense plantaire relle, la pense systmique
permet de tenir compte de lÕinteraction du tout et des parties. Il est
scientifiquement incorrect de dcouper des segments isols et de raisonner en
fonction de lignes prtablies, comme autant de prsupposs que lÕon pose
dogmatiquement. La pense complexe consiste alors relever lÕincohrence du
monde universalis dans un cosmos connu comme un dsordre humain. La raison
humaine ne consiste pas faire entrer un carr dans un cercle, mais relever
la cohrence de lÕincohrence[34].
Wittgenstein aprs avoir totalement assimil la
philosophie au langage, cette dernire devenant lÕimage du monde
(Ē Tractatus logico-philosophicus Č (1921) (analogie avec Saussure et
Weber), produit avec son second ouvrage (Ē Investigations
philosophiques Č[35]
- 1929 -), une Ļuvre pragmatique, pour identifier les jeux du langage. Derrire
ce descriptif o la dcision politique est trait galit de lÕhumour et de
ses formulations, Wittgenstein dcrit la complexit nouvelle de la philosophie,
pige dans les jeux du langage (Ē la philosophie est la lutte contre
lÕensorcellement de notre entendement par les moyens du langage Č). La philosophie ne doit pas
construire des thories mais proposer des descriptions de rgles de jeu du
langage, pour sortir de cette impasse. La fin de la philosophie est un achvement
des procdures du langage philosophique. Wittgenstein aura ainsi une influence
considrable sur les scientifiques anglo-saxons, tel que John L. Austin, ou
plus indirectement sur Pierre Bourdieu. A la mme poque, Ernst Cassirer
dveloppe en trois tomes, une philosophie des formes symboliques, par lesquels
lÕhomme comprend le monde : le langage, la pense mythique et la
connaissance[36].
Aprs le tarissement philosophique inluctable que
produit la philosophie premire de Wittgenstein, lÕun des axes centraux de la
philosophie demeure galement ce qui rappelle ou recouvre de lÕapproche par la
psych. Le cogito
cartsien, la conscience, cette conscience de soi, comme une apprhension
extrieure, et qui permet de dcrire son intrieur par reflet, est un moment
cl de la perception de lÕhomme, ou serais-je dj tent de dire, quÕil sÕagit
dÕune parole fondatrice de la civilisation. lias dveloppe dans lÕouvrage, Ē La
socit des individus Č[37], une gnalogie historique de la
conscience de soi, de ce que lÕon qualifierait aujourdÕhui dÕintimit[38],
par contrepoint la conception classique et controverse de lÕintriorit,
quÕil fait dbuter lÕaxiome cartsien. Selon lias, cÕest ce stade
linguistique de la dcouverte de soi, que dbute historiquement le Ē processus
de civilisation occidental Č[39]
Ainsi ce que nÕachve pas, ce que nÕpuise pas
Wittgenstein, mme, dans le second temps de son Ļuvre, cÕest la question
thorique, probablement centrale du rapport dialectique de lÕhomme tout, y
compris lui-mme. Pierre Legendre lÕnonce trs clairement : Ē le
langage est matrice, relation, synthse, mais aussi tension, entre la
matrialit du monde et le royaume, su et insu, de lÕimage. (É) Si le langage
est mdiation, cela comporte que lÕinstauration de la signification rsulte
dÕune dialectique entre lÕobjet entre lÕobjet matriel et lÕimage, dialectique
qui aboutit sceller le rapport la chose en lÕenfermant sous un nom. Autant
dire que par la dsignation lÕobjet se trouve identifi par et un nom. De ce point de
vue, le statut du signe linguistique relve dÕune problmatique de
lÕidentification, allant jusquÕ lÕillusion que le mot puisse tre compris
comme reflet de la chose. Immense affaire, qui alimente lÕinterrogation
philosophique sur la relation inaugure par le langage entre lÕhomme et la
nature Č[40]
La Renaissance fut ainsi un moment de ddoublement,
non par simple invention, par simple dcouverte de soi, mais parce que le
langage devient la possibilit de lÕexpression de soi, comme force dÕexpression
sur la nature et contre les autres. Histoire sur soi, et pour soi, mais un soi
contre la nature, un soi contre soi dans lÕespace du reflet, dans ce
narcissisme, qui nous montre telle que lÕon est, mais lÕenvers, en
ngatif, tel que nous ne voulons, potentiellement, tre ou ne pas tre ; la dialectique oublie est
celle de lÕespace, de lÕenvers comme de lÕendroit, de moi vers soi, et de ce
soi invers, vers moi, dans le cadre de cette mcanique de soi-mme, de son corps peine vue
comme son inverse (la mutation de lÕespace se lit ainsi dans la comprhension
de lÕespace reproduit. Comme Panofsky nous lÕa appris, lÕincrustation de
miniature dans les textes, le fait que le texte ne se suffise plus lui, mais
ncessite des enluminures, des mises en perspectives, introduit une
prfiguration de lÕart pictural comme mise en profondeur du texte, comme
instauration de Ē boites dÕespace Č, la logique de la perspective
pour le travail pictural disparaissant, en retour, un autre espace se crant,
un Ē espace-agrgat Č[41]) : la nature en tant quÕespace,
et donc en tant que logique, est aspire par ce modle dÕinversion qui dualise
lÕespace dans son reflet, dans son inverse.
Le regard de lÕhomme en trois dimensions sÕefface
derrire lÕimage dÕune logique deux dimensions. Le monde est encore plat. Seule la dialectique du rapport
soi, du rapport au monde, permet de retrouver une architecture en trois
temps, dans une simulation des trois dimensions de lÕespace. Le concept
sauvegarde lÕĻil dform par le temps binaire. La dialectique nÕest quÕune
mmoire conceptuelle de ce que lÕon voit, mais que lÕon ne peut exprimer comme
visible, comme dmontrable par un texte, par enfermement du savoir. Le monde
demeure identique parce que ferm sur son inverse, verrouill sur soi, verrouill
contre lÕautre, ferm par le texte, ferm par la rgle.
La raison cartsienne dtermine lÕespace par la
force du langage se rflchir soi mme, se comparer lÕautre, sÕloigner
de lÕautre, dans un espace codifi par sa prsence. Cette nouvelle coupure
fondatrice impose lÕhomme non plus comme citoyen, un sujet, un statut de
reconnaissance par lÕtat, socit par excellence grco-romaine, mais comme
homme, comme centralit systmique, comme diffrence de lÕautre. LÕhistoire de lÕoccident rompt
alors avec lÕhistoire antique, lÕhomme devient tel quÕil se conoit, son espace
ne le produit plus, cÕest lui qui le fonde, qui le voit, qui le dcrit.
Renaissance terrible, obscur secret de lÕhomme qui se
reproduit lui-mme comme une connaissance, par reconnaissance, par autoreproduction du sujet
par et comme lui-mme, pour que lÕautre ne soit plus quÕune mconnaissance (le Ē rapport de
mconnaissance o le m- dsignerait non pas lÕabsence de connaissance, mais la
connaissance performe par la mprise, la msinterprtation, et donc oblige
sans cesse de se dstructurer et restructurer, de se parfaire lÕinfini.
Č[42] La mconnaissance de lÕautre
reprsente ainsi la dconstruction de soi comme un autre et non pas une
dialectique de soi vers lÕautre).
La philosophie politique de Walter Benjamin est une rflexion de lÕaction
politique. Elle consiste fixer le matrialisme historique comme une riposte
au danger du politique, la menace des fascismes, ou comme une alternative au
triomphalisme bourgeois, qui consiste toujours reproduire le pouvoir en une
transmission hrditaire de biens capitalistiques et culturels, qui ne revtent
les uns ou les autres que les caractristiques de la barbarie par lÕisolement
et le refus de lÕautre.
Cette philosophie, matrielle mais potique, a une
dimension dynamisante, lgiaque, active individuellement et ractive
intimement. La philosophie de Benjamin, et notamment sa philosophie de
lÕhistoire, est ainsi une tentative contemporaine russie de dfinition du sens
dterminer, et de la mthodologie appliquer pour faire ce peu (comme le
dispose Benjamin lÕencontre du droit, une telle approche tant alors possible
pour nÕimporte quel chose ou concept, Ē si lÕtalon que fournit le
droit positif pour dterminer la lgitimit de la violence ne peut sÕanalyser
que selon sa signification, le domaine de son application ne peut tre critiqu
que selon sa valeur. Pour cette critique il faut alors trouver un point de vue
extrieur la philosophie du droit positif, mais tout aussi extrieur celle
du droit naturel. On verra dans quelle mesure seule une considration du droit
fonde sur la philosophie de lÕhistoire peut fournir un tel point de
vue. Č[43] Une philosophie de lÕhistoire de
Benjamin alors plus que justement montre par Derrida comme une Ē mise
en perspective archo-tleologique, voire archo-eschatologique qui dchiffre
lÕhistoire du droit comme une dcadence depuis lÕorigine. LÕanalogie avec des
schmas schmittiens ou heideggriens nÕa pas tre souligne. (É) Il sÕagit
toujours dÕesprit et de rvolution. Č[44]).
Aprs Benjamin, on sait que Hegel, ce hros, est en fait un fin stratge qui
dissimule sa peur. Ce stratagme, cÕest la dialectique, lÕexplication du monde comme une
boucle, qui fait que Ē Abstraitement considre, la rationalit
consiste, de manire gnrale, en lÕunit de compntration de lÕuniversalit
et de la singularit. Č[45]
La rflexivit originaire, celle
du mythe de narcisse, ou la rflexivit cartsienne ne pose que les conditions
positives de lÕnonciation du monde, que comme un autre soi-mme. La
dialectique est plus complexe, car elle nÕest ni positive, ni duale : elle
est un mouvement de lÕesprit qui est entran par une causalit logique. En
introduisant la dialectique, nous rentrons dans une conceptualisation du monde,
o lÕhomme disparat derrire la logique, la puissance du raisonnement. CÕest
en ce sens o la dialectique est une rvolution du langage et de la pense, qui
sÕnonce comme puissance. Cette force du concept et de la logique, comme
mouvement de la pense, pose ainsi le conflit entre le positivisme dual de la
rflexion, comme cl de lÕordonnancement du monde, et de la dialectique, comme
autre cl possible, comme un systme ternaire en quilibre.
Bien entendu, le conflit nÕest
quÕune concurrence habile. Notre tude montre comment les logiques positives
rflexives se combinent et sÕentrelacent, pour reprendre la clbre image
lacanienne, avec les logiques conceptuelles dialectiques. Je serais tenter de
dire de prime abord que cet entrelacement est tiss en apparence du maillage
juridique institu par la conceptualisation, produit de la dialectique
hglienne. Mais y regarder de plus prs, jusquÕau moindre capillaire, voire
jusquÕ la frontire, l o le dehors est visible, on constate que lÕentrelacement
est complexe au point dÕapparatre comme des infinits possibles de rflexion.
A partir de l lÕhomme, et nous le
savons, surtout depuis la dcouverte de son langage comme une puissance, le
ddoublement du monde ne pouvait quÕengendrer la conceptualisation dÕun monde
dialectique, conceptuel, engendr par la pense, et le produit de trois
divisions, en trois temps[46],
un monde que Borges voit comme une dialectique de production de la vie de
lÕhomme par le langage et le temps : Ē Le temps est la substance dont
je suis fait. Le temps est une rivire qui mÕentrane avec elle, mais je suis
la rivire ; cÕest le tigre qui me dtruit, mais je suis le tigre, cÕest
un feu qui me consume, mais je suis le feu. Č[47]
CÕest l aussi o ce situe la
limite avec le champ freudien, central sur lÕensemble de ces questions, mais
qui reste dans son champ thorique de la construction de lÕintime, et de sa
dconstruction au contact du rel, comme une pathologie lÕhistoire dÕun homme,
pour nÕintgrer que trs rarement la question du global, du collectif, de la multitude
humaine[48].
Benjamin nÕest jamais aussi central, que par son style
romantique, que parce que sa philosophie politique se colore dÕun messianisme,
ultimes oripeaux dÕun marxisme maltrait. Le romantisme de Benjamin, notamment
dans le Ē Drame baroque allemand Č, laisse penser un indfectible
lien entre penses politiques et dramaturgie de lÕhistoire, de lÕHistoire, de son histoire[49] (LÕhistoire nÕest pas une suite
dÕvnements, cÕest une catastrophe Ē qui sans cesse amoncelle ruines
sur ruines Č
et qui est balaye par une Ē tempte que lÕon appelle le progrs Č. IX, p. 434). Cette combinaison,
cet entrelacement, montre une philosophie de lÕhistoire faite dÕaffects (le
courage), de chair (la souffrance), de penses (la critique). A ce titre, et
au-del mme du destin de Benjamin, son romantisme politique est devenu une frontire de la souffrance et du courage.
Sa critique et ses visions demeurent un modle politique et philosophique, dÕun
homme perclus par un XIXme sicle en abme, et sublim par un XXme
sicle en rupture[50].
Le caractre de lÕimage historique est ainsi fulgurant et
sÕoppose une image intemporelle que lÕhistoricisme cherche donner de la
vrit historique. Benjamin voque les mfaits dÕune confusion entre progrs
technique et progrs de lÕhumanit (confusion dont se rendent aussi coupables,
selon, la social-dmocratie allemande et une grande partie de la pense
marxiste). Et il oppose la reprsentation dÕun temps linaire, homogne et vide
la constellation entre un pass brusquement citable et un prsent qui se sent
vis par lui (Benjamin dit : Ē Le chroniqueur, qui rapporte les
vnements sans distinguer entre les grands et les petits, fait droit cette
vrit : que rien de ce qui eut jamais lieu nÕest perdu pour lÕhistoire.
Certes, ce nÕest quÕ lÕhumanit rdime quÕchoit pleinement son pass.
CÕest--dire que pour elle seule son pass est devenu intgralement citable.
Chacun des instants quÕelle a vcus devient une Ē citation lÕordre du
jour Č - et ce jour est justement celui du jugement dernier Č, (III, p. 429).
La philosophie politique dÕAntonio Gramsci pose essentiellement le rapport
de lÕhomme lÕhistoire et comparativement Benjamin, rompt avec la tradition
romantique de la politique (il est en ce sens un philosophe du XXme
sicle). Ē La nature de lÕhomme est lÕensemble des rapports sociaux qui
dterminent une conscience historique dfinie : cette conscience sociale
peut indiquer ce qui est " nature" ou "contre-nature".
En outre, lÕensemble des rapports sociaux est contradictoire tout moment,
sans cesse en volution, si bien que la "nature"de lÕhomme nÕest pas
homogne pour tous les hommes et tous les temps Č[51]. LÕhistoricisation de la ralit
humaine confre un sens prcis lÕobservation premire de Gramsci, savoir
que lÕhomme est une cration historique, expression du rapport entre la volont
humaine, intgre dans la superstructure, et la structure conomique. Cette
particularit de lÕĻuvre de Gramsci permet de dpasser le naturalisme humain et
de dpasser la participation humaine comme une intuition et rel de lÕexistence
sociale de Marx, et mme par anticipation et usage de lÕobservateur du temps
prsent, sert dpasser le libralisme, dont on constate la gnalogie des
ides (naturaliste, capitaliste et tatiste).
LÕhomme historique est lÕhomme historiquement dtermin et
insr dans le complexe des autres hommes[52].
Ē LÕhomme est sa propre histoire, son autocration comme humanit, et
dans lÕhumanit Č[53], et contre lÕhumanit, serait-on
tent de dire, la vue des volutions vnementielles et symboliques de
lÕhistoire des formes de domination. Dans chaque individu, les lments
objectifs, purement individuels, sÕorganisent en un bloc historique et selon un rapport actif avec
des lments objectifs de masse, au Ē rapport le plus ample embrassant
le genre humain Č[54]. Gramsci dtermine ainsi une
dialectique politique entendue comme une gigantomachie du lien politique. Au-del du pouvoir, et de ces
questions fondamentales, au-del de la lgitimit, et des rponses essentielles
que lÕon connat, Gramsci dcrit lÕindustrieuse machine politique,
lÕindfinissable lien constituant et simultanment conceptuel de la politique
et du politique. Il pntre ainsi le secret, bien gard jusque l par Kant,
dÕune histoire thiquement nietzschenne : Ē On peut dire que la
nature humaine, cÕest lÕhistoire(et en ce sens que cÕest lÕesprit, moyennant
lÕquivalence : histoire=esprit, si prcisment nous donnons histoire la
signification de devenir) dans une concordia discors qui ne part pas de
lÕunit, mais qui porte en elle les raisons dÕune unit possible ; ds
lors, la nature humaine ne peut tre retrouve en aucun homme en particulier,
mais dans toute lÕhistoire du genre humain (É) tandis que dans chaque individu
se trouvent les caractres mis en relief par les contradictions avec les
autres Č[55].
CÕest selon ses engagements et ses dterminants que
Gramsci dlimite lÕaction critique, pralable toute forme de pdagogie (thme
central de son action rvolutionnaire contre la pauprisation du capital) :
Ē Une philosophie de la praxis ne peut commencer que par une attitude
polmique et critique pour dpasser le mode antrieur et le mode actuel de
pense (celui du monde culturel environnant). Elle entreprend la critique du
Ē sens commun Č (aprs fait appel cette dernire pour montrer que
tous sont des philosophes), car il ne sÕagit pas dÕintroduire une science dans
la vie actuelle de tous, mais plutt de renouveler, de rendre plus
Ē critique Č la vie prsente ; la critique galement de la
philosophie des intellectuels qui a instaur une histoire de la philosophie
telle que lÕindividu particulirement dou apparaissait comme la pointe avance
des lites cultives, et ces dernires, lÕmergence du bon sens populaire Č[56].
La philosophie politique dÕHannah Arendt[57] correspond une analyse ngative
de la modernit. LÕactivit humaine selon la philosophie peut tre pense
partir de trois catgories : le travail, lÕaction et lÕĻuvre. Le travail
rpond nos besoins biologiques et marque notre dpendance lÕgard des
ncessits naturelles. LÕĻuvre est la fabrication dÕobjets utilitaires ou
artistiques, lÕhomme crant un monde artificiel fait dÕobjets. Mais seule
lÕaction, pense comme agir politique, met en rapport directement les hommes.
Telle que lÕnonce Arendt, dans Ē La condition de lÕhomme moderne Č
(1958), lÕpoque moderne se caractrise par une prdominance du travail au
dtriment de lÕĻuvre et de lÕaction. La vie humaine se rduit de plus en plus
de ce fait la consommation et au travail tandis la politique devient
bureaucratique et gestionnaire. Hannah Arendt, par son apprhension critique du
fascisme, dans Ē Les origines du totalitarisme Č (1951) introduira
une pense politique critique novatrice mais simultanment conservatrice. Le totalitarisme est une
nouvelle catgorie politique, dcoulant dÕune logique capitaliste dÕtat, tant
dans le cas du nazisme que du stalinisme. En second, elle dcrit lÕemprise de
lÕantismitisme comme le second pivot vital aux tats totalitaires, tant pour
des raisons conomiques (accaparer leur richesse) que pour des facteurs
symboliques de la biologie du corps social correspondant aux ncessits
historiques de dpasser le fonctionnement colonial, et donc territorial, des
tats-nations europens.
Chez Arendt, lÕhomme nÕest rien (tant celui qui est
pourchass et tu que celui qui pourchasse et tue), il est devenu superflu,
dans le cadre socital du totalitarisme dÕtat, vritable modle de
lÕutilitarisme politique extrme. Sa philosophie politique devient ainsi sous
lÕemprise de son temps, et de ses angoisses, une philosophie critique de
lÕordre politique et social constitu (Ē Hobbes est en effet le seul
grand philosophe que la bourgeoisie puisse revendiquer juste titre comme exclusivement
sien, mme si la classe bourgeoise a mis longtemps reconnatre ses
principes Č),
tout comme une philosophie de la barbarie ordinaire, comme le montrera si
justement dans son commentaire fameux du Procs Eichmann. CÕest notamment dans ce texte o
il montre le mieux son impuissance politique, et ainsi son ternel retour au
conservatisme, la question du tri subjectif de lÕhistoire par le sachant.
Arendt sÕchoue,
au double sens du terme, sur le brise-lame de lÕthique. Femme du XXme
sicle et peut tre mme du XXIme sicle, elle ne peut renouer avec
lÕhritage kantien, avec cet hritage par trop occidental peut-tre, qui fait
que lÕon ne peut prserver un espoir construire un homme structur par sa
conscience de la justice. Arendt est alors par trop singulire, trop
cosmopolite, trop contre-pied de tous, pour vouloir saisir cet espoir qui nÕa
de sens que pour une philosophie sdentaire et fige. Elle se rfugie alors
dans lÕhistoire pour justifier de son analyse, en faisant preuve dÕune rigueur
quasi marxiste de son objet de dmonstration.
La philosophie politique de Jrgen Habermas sÕinscrit dans le cadre de la
poursuite du travail dbut dans lÕentre-deux guerres, par lÕcole de Francfort
(Horkheimer, Adorno, Marcuse, etc.). Habermas impose avant tout la prsentation
de thses post marxistes, tentant de radapter le discours de Marx selon
lÕvolution des modes de contraintes. Dans Ē LÕespace public Č (1962)[58],
il montre comment au XVIIIme sicle sÕest constitu un espace de
discussion rationnelle, indpendant des pouvoirs, grce au dveloppement des
changes marchands, la monte des pouvoirs du Parlement et lÕmergence
dÕune presse libre. Cet espace public se pervertit au XXme sicle
sous la condition centrale de la culture de masse et de la confusion entre
sphre publique et sphre priv, qui devint ainsi le paradigme central entre
communication et politique. En 1981, dans la Ē Thorie de lÕagir
communicationnel Č[59],
il montre que la raison a galement une fonction communicationnelle qui sÕancre
spontanment dans le langage et le discours, mme dans ses formes les plus
quotidiennes. CÕest ce qui impose selon lÕauteur, de pouvoir trouver un
consensus sur des normes thiques ou politiques en dbattant de manire
argumente.
Plus rcemment, Habermas a rompu avec cette tradition
critique pour retrouver le sens premier des Lumires, et probablement pour
tenter dÕidentifier un rapport nouveau la dmocratie (pour rester dans le
sens polmique gramscien, on pourrait galement affirmer ou prtendre
quÕHabermas a renoncer intellectuellement et stratgiquement pour sa propre
carrire, pour sa propre image Š le dbat avec Derrida, o il a t, me
semble-t-il, totalement dfait, montre que sa dmarche kantienne est compltement
fige, matrialise, rendue lÕtat solide, pour ne laisser place quÕ un
propos de la structure politique sur la structure juridique).
Habermas a ainsi rorient son propos depuis quelques
annes, dans le sens kantien de reconstitution dÕune thique comme projet
politique immanent, et dveloppent cet objet par la structuration du droit (Le pacte fondateur kantien relve, non pas lÕavoir, mais
lÕordre normatif de ce que chacun doit avoir[60]).
Le Ē lien constitutif entre droit et politique Č nÕest pas rompu parce quÕil est constitutif[61]. LÕtat de droit, ce Ē systme
de droit au pluriel Č[62], est toujours lÕtat du droit.
Autrement dit, la philosophie politique, juridique et thique dÕHabermas est
fondamentalement une philosophie de lÕavoir et de la possession, compense,
soulage par la recherche dÕune transcendance thique. Habermas produit cet
effet, une pense unique, en ce sens, o elle se ralise par un tirement entre
une pense critique, fondamentalement marxiste, et une pense universaliste,
totalement kantienne. Il achve sa pense politique par un compromis, que je
pense personnel et relativement artificiel, entre les lments structurels
dÕapproche du politique, la critique comme mthode, lÕuniversalisme, le
cosmopolitisme, comme thique.
Habermas est ainsi kantien par dfaut (ce qui
est dÕautant plus douloureux pour lÕesprit kantien), probablement pour viter
lÕcueil idologique et politique de la thorie schmittienne de la
Constitution, qui est fondamentalement de droit public[63],
pour ne pas reproduire la dialectique hglienne, qui fait que le contrat
social est une transposition du droit priv, pour retrouver toujours et encore
lÕhospitalit de lÕthique kantienne, pour ne pas dbattre des fondements
juridiques de la politique institue par la rgle de droit.
La philosophie politique de Gilles Deleuze et Flix
Guattari est une
des formes des plus acheves de la pense politique contemporaine. Dans
Ē LÕanti-oedipe Č et Ē Milles
plateaux Č[64], les
auteurs imposent une thorie globale de lÕhomme et de son dsir, produit de
lÕconomie politique (ĒFlux dcods, qui dira le nom de ce nouveau dsir ? Flux de proprits qui
se vendent, flux dÕargent qui coule, flux de production qui se prparent dans
lÕombre, flux de travailleurs qui se dterritorialisent : il faudra la
rencontre de tous ces flux dcods, leur conjonction, leur raction les uns sur
les autres, la contingence de cette rencontre, de cette conjonction, de cette
raction qui se produisent une fois, pour que le capitalisme naisse, et que
lÕancien rgime meure cette fois du dehors, en mme temps que nat la vie
nouvelle et que le dsir reoit son nouveau nom. Il nÕy a dÕhistoire universelle
que de la contingence Č[65]). En rinterprtant Nietzsche,
Deleuze et Guattari dpasse le prsuppos qui dterminerait lÕhomme de nature (Homo
natura), en
affirmant lÕtat dÕhistoricit des hommes (Homo historica)[66].
LÕhomme, dans le cadre de sa dpendance lÕensemble systmatis du monde
produit, devient une machine, une machine dsirante. Ē La machine dsirante
nÕest pas une mtaphore ; elle est ce qui coupe et est coupe suivant ces
trois modes. Le premier mode renvoie la synthse connective, et mobilise la
libido comme nergie de prlvement. Le second, la synthse disjonctive, et
mobiliser le Numen comme nergie de dtachement. La troisime, la synthse
conjonctive, la Voluptas comme nergie rsiduelle. CÕest sous ces trois aspects
que le procs de la production dsirante est simultanment production de
production, production dÕenregistrement, production de consommation. Prlever,
dtacher Ē rester Č cÕest produire, et cÕest effectuer les oprations
du dsir Č[67]. Le conditionnement de lÕhomme
son environnement productif et destructif le perd, le noie dans ses
fonctionnalits. LÕtat devient ainsi lÕinstitution providentielle qui compense
la perte dÕidentit et de libert. LÕtat Ē ne prend son existence
immanente concrte que dans les formes ultrieures qui le font revenir sous
dÕautres figures et dans dÕautres conditions. Commun horizon de ce qui vient
avant et de ce qui vient aprs, il conditionne lÕhistoire universelle quÕ
condition dÕtre, non pas en dehors, mais toujours ct, le monstre froid qui
reprsente la manire dont lÕhistoire est dans la Ē tte Č, dans le
Ē cerveau Č, lÕUrstaat Č[68]. LÕtat se concrtise, se rifie,
perd de son artificialit, en mme temps quÕil se subordonne aux forces
dominantes. Il connat la mme volution que les objets techniques qui se
mutent dÕunit abstraite ou systme intellectuel, en rapport subordonn[69].
Tous les mondes dcrits en rhizomes, en plateaux, en
machines sont une thorie du rel dont le chanon manquant nous apparat enfin
dans la machine globale qui produit lÕhomme au travers de son vide. Les
machines dsirantes constitues en abstraction sont les traits dÕunion des
territoires, des rseaux et des sphres. Ē Il y a une dimension de la
modernit qui a besoin de la philosophie deleuzienne comme hermneutique. CÕest
la dimension de lÕinnombrable, des mgapoles grouillantes, des flux de
marchandises, des hommes qui tournoient entre les rayons des supermarchs et
sur les nĻuds autoroutiers : lÕimpression ineffable dÕune ville la nuit,
avec ses myriades de points lumineux qui ondulent, virevoltent, sÕallongent
dans la trane des phares, et les vibrations de lÕobscurit, magma agit de quantas
insaisissables. Multiplicit incarne, plis de vies, nodosits labiles
dÕnergie et de matire Č[70].
Le dsir devient dans la pense de Deleuze et Guattari un
point de rencontre avec Foucault, un point de jonction thorique, historique et
philosophique, un des multiples soubresauts de lÕaprs freudisme[71].
La question sur lÕhomme et de lÕhomme, tre pensant qui se conoit lui-mme
comme une chose, un corps externe lui-mme, sa voix en fait, rside plus
dans la volont (Bergson), plus que dans le renoncement (Hegel), plus que dans
la lutte (Marx), mais consiste dans le fonctionnement du dsir tre soi-mme,
se runifier comme un corps et un langage commun, se dfinir comme soi(-)mme (les parenthses entourant
ce trait dÕunion signifie en premier lieu le sens de la locution complte, mais
peuvent galement tre conus comme un soi puis comme un mme). Cette reprsentation du
soi soi, cette image du singulier et du comparable modifie lÕimplication dans
la politique. Les mutations et le contrle du dsir font ainsi lÕobjet mme des
engagements politiques depuis le XIXme sicle. La question de la
participation dmocratique ne relve pas dÕune problmatique structurelle et
juridique (cf.
la question du statut des droits politiques). Cela passe galement par les flux
lmentaires de la vie et de la passion humaine (la libert politique
transcende par le dsir de se constituer politiquement ensemble Šcf. la question juridique centrale du
pouvoir constituant-), par opposition aux ralits politiques du temps prsent,
qui dterminent la mise en responsabilit comme espace et limite de la libert
politique (Comme lÕa dmontr magistralement le sociologue allemand Ulrich
Beck, nous passons dÕune socit industrielle, dont lÕenjeu majeur consistait
dans la rpartition de la plus-value, une socit des risques, qui dtermine une plus value
nouvelle, et simultanment, la valeur politique individue de chacun par
rapport sa propre responsabilit, sa propre faute[72].
La socit des risques est ainsi une socit dÕautocontrle, une autre version de la mutation
de lÕalination impose par le capital, en systme individuel de sujtion ce
limiter soi-mme par la sanction juridique que lÕon encourt si lÕon dpasse les
limites imposes par la loi. Le droit prend alors des formes de dtermination
de lÕthique, comme le montre lÕvolution du droit des liberts publiques, et
notamment les procds juridiques concernant lÕusage de son corps, de la ligne
de frontire entre le bien et le mal. Le juge, ce gouverneur qui commande au
droit comme la politique, tranche le dbat en transformant lÕthique en
questions et en solutions dÕhistoricit, le raisonnement sur et pour le futur,
en la dplaant toujours plus dans un rapport au savoir, et notamment au savoir
mdical, en la modifiant presque, en la soumettant au rapport complexe avec la
morale, pour trancher des questions qui chappent leurs entendements thiques
Šcf. les
questions relevant de la sexualit et du corps, qui nÕon connu que des
volutions rcentes en droit, et nÕont trouv que des solutions toujours limites
par une conception dgoutte de cette monstruosit humaine et sociale, le
corps en jouissance, le corps modifi, le corps mut).
Les penses deleuzienne et foucaldienne sÕentrecroisent
ainsi en sÕaccordant sur plusieurs constats :
Le dsir politique et le pouvoir constituant en ne se
rencontrant pas, en tant rprim, ont fini par cder leur sparation
sditieuse, pour justifier dans leur cart, de la rpression du dsir politique
dÕassemblance, soit de sÕassocier pour se diffrencier. En second lieu, le
contrle et la production du dsir par lÕconomie politique globale sont un
fait historique constant de lÕaprs Seconde guerre mondiale, trouvant son
origine au XIXme sicle, et son archologie la plus profonde et la
plus incidente au XVIIme sicle. En troisime lieu, cette
dialectique du dsir aboutit une proposition politique ; celle de
rentrer dans une autre histoire des relations intimes, sociales et politiques,
de ne pas succomber au pouvoir et lÕavoir, de plus accepter le pouvoir comme
une autre forme de possession. Le pouvoir doit demeurer aussi fondamentalement
un dsir rcuser, refouler. Une folie qui impose le combat, la lutte,
lÕengagement et le renoncement. Les empereurs romains philosophes ou Guevara
sont les figures de la dialectique du dsir politique refoul par le refus de possder le pouvoir. Le combat pour le
pouvoir, le refus du pouvoir forment ainsi la dialectique historique de lÕhomme
politique idal.
La philosophie politique de Michel Foucault ne peut tre analyse selon la
simple perception de la fin de lÕhomme et de lÕhumanisme (peut-tre, sÕagit-il
dÕun Ē in-humanisme formalis Č, pour reprendre la formule dÕAlain Badiou, qui en
confrontant Foucault et Sartre, produit cet trange assemblage[73]).
Foucault est avant tout un philosophe du pouvoir, de lÕtat, de la contrainte,
de la domination et de la soumission, qui opte quasi systmatiquement par des
lectures historiques, dont lÕeffet nÕest sans le rapprocher dÕune forme de philosophie
de lÕhistoire Benjamienne (Foucault entretient avec Benjamin la mme mesure de
marginalit, et ce notamment, dans le rapport lÕanalyse, dans les choix des
thmes, comme dans les points de vue. Foucault, la diffrence de Benjamin,
sÕappuie sur une dmarche positive, au deux sens du terme, ouverte et raliste,
alors que le philosophe allemand appuie ses textes dÕun regard romantique et
dsenchante. LÕĒ in-humanisme Č de Foucault est alors probablement une
msinterprtation, o alors il faudrait prtendre que sÕaccorder avec le rel
sans fausse bonne humeur ou triste figure serait une possibilit de contester
votre foi en lÕhomme).
Foucault nous dit que lÕtat, puissance publique,
reformul juridiquement et administrativement sous lÕeffet des rvolutions
politiques amricaines et franaises, sÕest mut, tout au long du XIXe
sicle, en raction une pluralit dÕeffets. Effets du capitalisme, de
lÕhistoire de la production, de lÕhistoire de la reproduction sociale, de
lÕenfermement puis de la lutte des classes ; Effets des conflits, des
guerres Ē inter-nationales Č, des guerres de masses, des guerres
mondiales, des guerres totales, selon la formule anticipatrice du nazisme de Carl
Schmitt ; Effets des dveloppements technologiques et de leurs redploiements
industriels et/ou militaires ; Effets des contrles de masses oprs par
lÕtat et lÕappareil productif[74],
sur les corps, ainsi que ceux engendrs par lÕappareil de contrainte et les
mdias de masse[75], sur le contrle des consciences
et des savoirs (cf. Wilhem Reich).
Dans Ē Les mots et les choses Č (1966), Foucault
soutient que lÕhistoire du savoir dans la pense europenne sÕest rompue la
renaissance. Il distingue trois poques, et trois pistms distinctes :
jusquÕ la fin du XVIe sicle, la comprhension du monde relve
dÕune ressemblance et dÕune interprtation. Au XVIIe sicle, une
reprsentation et un ordre du langage rompent cette tradition du savoir et de
sa comprhension. Au XIXe sicle, lÕintroduction de lÕhistoire
matrielle introduit pour la premire fois lÕhomme dans sa dimension la plus
nette. Cela pos, Foucault portera son attention sur les formes de production
de la domination. Production de la folie, de la prison, de lÕenferment, la
dimension foucaldienne devient une rflexion sur lÕorganisation centrale de la
production de la politique moderne, de ses stratgies et de son histoire.
Cette approche dÕune gnalogie du savoir permet
Foucault de dresser une critique de lÕappareil de domination, non simplement
sur les thses de Marx et/ou de Freud, mais sur une critique de la thorie
juridique de la souverainet, ainsi que sur lÕtablissement dÕune description
du rel, et notamment sur les conditions gnrales des transformations du
pouvoir institu, en un biopouvoir. Foucault montre que le passage lÕpoque
moderne de lÕtat en une forme territoriale, lÕamne sÕimposer comme instance
de contrle sur la vie nue (cf. Giorgio Agamben[76]).
Cette transformation de lÕassise de lÕautorit et de la lgitimit gouverner
les corps et les consciences, retrouve les axes poss par Merleau-Ponty et par Kantorowicz
sur le pouvoir et le corps conu comme un territoire gouverner. Foucault
nonce pour partie une thorie nouvelle de la domination, et de ses moyens de
contraintes sur le langage et le corps, sur le savoir (le moyen) et sur
lÕaffect (la matire).
LÕordre biopolitique contemporain sÕaffirme ainsi par le
principe du libralisme qui ne mute pas que lÕorganisation socio-politique et
socio-conomique, mais qui transforme lÕensemble de lÕconomie politique.
Michel Foucault dans ces diffrentes leons sur la
naissance de la biopolitique, met en pendant cette dcouverte avec la gense du
libralisme europen, allemand notamment, puis amricain. La trace invisible de
la biopolitique est ainsi inhrente la marque visible des cadres de
rationalit politique lÕintrieur duquel ils sont apparus, Ē savoir
le ŅlibralismeÓ, puisque cÕest par rapport lui quÕils ont pris lÕallure dÕun
dfi Č[77].
Michel Foucault utilise la mthode nominaliste en
histoire, mise au point par Paul Veyne propos des universaux
historiques : Ē jÕai essay dÕanalyser le ŅlibralismeÓ, non pas
comme une thorie ni comme une idologie, encore moins, bien entendu, comme une
manire pour la ŅsocitÓ de Ņse reprsenterÓ ; mais comme une pratique,
cÕest--dire comme une Ņmanire de faireÓ oriente vers des objectifs et se
rgulant par une rflexion continue. Le libralisme est analyser comme
principe et mthode de rationalisation de lÕexercice du gouvernement Š rationalisation
qui obit, et l est sa spcificit, la rgle interne de lÕconomie
maximale Č[78]. En ce sens, le libralisme est
une rupture majeure de la conduite des affaires publiques originaires. Il rompt
avec le gouvernement pour et par le secret, il rompt avec la raison dÕtat, qui
ne se poursuit, de la fin du XIXe sicle jusquÕ nos jours, que
comme une marque qui sÕamenuise, qui devient une trace sÕentrelaant aux
conditions et aux effets du libralisme contemporain. LÕtat de police imposait
une socit disciplinaire de contrle territorial et de contrle des corps qui
prendront tout leur sens au XIXe sicle, mais qui sera reconfigur
par les principes de la gouvernance limite du libralisme.
A la question centrale, pourquoi faut-il gouverner ?,
Michel Foucault dfinit la complexit de ce passage historique de redfinition
de la gouvernementabilit, dÕun gouvernement de lÕintrieur de lÕtat, pour
lÕtat, vers un exercice de la puissance vers lÕextrieur, vers la
Ē socit Č, ce mirage invent dans les luttes de pouvoirs en
Grande-Bretagne, notamment par lÕcossais Adam Fergusson, puis par Hegel, dont
on sait, ds le dpart, quÕil affirmait les prrogatives, non pas de la socit
civile mais de la socit bourgeoise[79].
Cette translation de la manire de gouverner est une des phases de mutation de
la fonctionnalit tatique de gouvernement qui se met en place au moment des
rvolutions des tats-nations, des tats organes, des tats de contrle
territoriaux et biologiques. La puissance du libralisme est dÕimposer le
principe de limitation de gouvernement, selon le principe que lÕon gouverne
toujours trop. Nouvelle lgitimit de lÕtat, qui sÕannonce lui-mme dans une
limite de son action, pour mieux justifier la puissance de ses actions
Ē limites Č, et lÕefficacit de ses contrles invisibles.
A lÕanalyse entrecroise du libralisme conomique et du
libralisme politique, Michel Foucault affirme que ni le march ni les systmes
juridiques ne sont en soi parti prenante au libralisme. Il sÕagit plutt dÕun
art nouveau de gouvernement, dÕune mthode dÕanalyse critique du gouvernement
sur lui-mme, dÕun outil conceptuel extrmement avanc, o la critique, la
ngation, pour retrouver des termes hgliens, permet de dvelopper tant le
champ de lgitimit que le champ dÕaction. Ē Ce plan dÕanalyse
possible Č[80] montre la translation entre
lÕhistoire dÕune raison dÕtat qui dlimite lÕexercice du gouvernement, vers
une histoire de la Ē raison gouvernementale Č qui ne se limite plus,
qui sÕouvre totalement, tant comme exercice de gouvernement de lÕtat sur
lui-mme (un gouvernement organique de lÕadministration et un gouvernement des
flux juridiques et conomiques), que comme exercice du gouvernement sur les
hommes (un gouvernement politique de classe Šle contrle des mots- et un
gouvernement biopolitique Šle contrle des corps-).
Michel Foucault, en optant pour lÕtude de
lÕordolibralisme allemand et du nolibralisme amricain dÕaprs guerre,
dtermine le libralisme contemporain Ē comme une critique de
lÕirrationalit propre lÕexcs de gouvernement, et comme un retour une
technologie de gouvernement frugal, comme aurait dit Franklin. Č[81]
La philosophie politique de Jacques Derrida est base centralement sur une
approche philosophique unique notre temps, celle de lÕhospitalit, de
lÕamiti, de lÕaccueil, qui rompt partiellement avec lÕunivers de Marcel Mauss
et son principe du don et du contre-don[82],
mais introduit galement une pense politique fixant le rapport dÕune justice
incalculable et dÕun droit fait de calcul. Derrida montre comment les
mcanismes performatifs de la loi (au sens o le mot fait exister la chose)
comblent cet cart en imposant par la violence du dire lÕautorit de la rgle.
Une force aveugle de la loi produit ses effets de vrit[83].
Critiquant le marxisme, il fait une analyse vidente de la pense de Marx, en
posant la question du messianisme et du romantisme politique, mais aussi les
formes de persistance spectrale, le spectre de la rvolution nÕtant que la
mise en forme de la rponse la hantise du capital[84].
La philosophie politique de Derrida est absolue puisquÕil croit et affirme, et
dmontre, que tant que la matire politique, le droit, la nation, lÕtat, le
territoire perdure, lÕhospitalit se limite, lÕontologie de lÕhomme se limite
son environnement.
La philosophie derridienne vaux galement pour son
approche, et ainsi essentiellement pour lÕinvention magistrale du principe de dconstruction, qui sÕexprimente largement sur
la question du droit. Cette dernire est une philosophie du mouvement et de
lÕhsitation, du dfaire et du d-dire, qui permet de suivre Ē la trajectoire hsitante dont nous
pensons quÕelle caractrise le mouvement juridique. Č [85]). Mme si je sais, que Ē La
souffrance de la dconstruction, celle dont elle souffre ou celle dont
souffrent ceux quÕelle fait souffrir, cÕest peut-tre lÕabsence de rgle, de
norme et de critre assur pour distinguer de faon non quivoque entre le
droit et la justice. Il y va donc bien de ces concepts (normatifs ou non) de
norme, de rgle ou de critre. Il sÕagit de juger de ce qui permet de juger, de
ce dont sÕautorise le jugement. Č[86] Pour tenter de donner une
dfinition, jÕemprunterais un autre texte de Derrida : Ē La
dconstruction ne sÕest jamais prsente comme quelque chose possible. (É) Elle
ne perd rien sÕavouer impossible (É). Le danger pour une tche de
dconstruction, ce serait plutt la possibilit, et de devenir un ensemble disponible de
procdures rgles, de pratiques mthodiques, de chemins accessibles. LÕintrt
de la dconstruction, de sa force et de son dsir, si elle en a, sÕest une
certaine exprience de lÕimpossible : cÕest--dire (É) de lÕautre, exprience de
lÕautre comme invention de lÕimpossible, en dÕautres termes comme la seule
invention possible. Č[87] Voil pourquoi la dconstruction
est une approche des ruines. CÕest une thorie des ruines, parce quÕelle dmonte notre
pass, mais en y intgrant notre regard du pass. Elle est le moyen de montrer
notre histoire, tout en y intgrant notre conception de lÕhistoire. De ce fait,
elle est elle-mme, en ruine, constructible et dconstructible, elle permet
alors dÕobserver la lgitimit inscrite dans la partie secrte du texte. Elle nÕest pas
critiquable en soi, tellement elle apporte la connaissance du texte du
monde ; mais, cÕest un outil, une faon de penser qui trouve sa limite,
dans sa propre expression. La dconstruction est une action tautologie et
contradictoire. Une forme logique extrme qui mise sous forme esthtique devient un outil
conceptuel extrme[88] :
je pense que le texte (soit celui qui vous est prsent) doit garder sa force relle, en
tant que texte, non seulement pour ne pas le surcoder uniquement pour amliorer
sa lisibilit (ou alors, cÕest un encouragement dcouvrir les textes par
leurs structures), mais aussi pour pouvoir montrer sa construction, sa forme en
ruine, comme ce quÕil est sens nous montrer. Cette forme du texte, que je
prononce comme esthtique, constitue le reflet, lÕimage de lÕunivers dcrit. La dconstruction, marque par
la fondation de la rupture historique, de la fin de lÕenfance, nÕest que son reflet. Ē Texte
et signature sont des spectres. (É) Le texte nÕchappe pas la loi quÕil
nonce. Il se ruine et se contamine, il devient le spectre de lui-mme. Č[89]
A ce titre, la dconstruction du politique impose une
relecture spectrale de lÕĻuvre de Hobbes et de Hegel, pour comprendre comment
leurs textes sÕintgrent dans lÕhistoire de lÕtat et du droit, non simplement
comme des facteurs intgrs de cette histoire, mais comme lment dterminant
de cette histoire, comme facteur productif de cette histoire. Ou de saisir
encore par le mme biais, que la conceptualisation marxiste de lÕhistoire de
lÕtat a abouti aux mmes effets que ceux rechercher par les libraux par la
stratgie de lÕautolimitation du gouvernement.
Cette lecture que certains juristes trouveront par trop
audacieuse, par trop littraire, me semble pourtant tre le pr requis
ncessaire lÕinterprtation du texte juridique et de lÕhistoire politique ;
lÕesthtique rajoutant lÕimperfection ncessaire ce qui est nonc comme
imparfait. On ne peut connatre du texte, quand le dcomposant jusquÕ son
origine, comme jusquÕ sa fin. On ne peut utiliser son gard une mthodologie
dont lÕobjet consiste dans une histoire qui ne relverait pas de lÕcriture, de
sa structure, comme de son sens.
La philosophie politique dÕAntonio Ngri et Michael
Hardt correspond
un raisonnement assez simple (quoique quÕil sÕagisse de montrer et de
dmontrer le monde qui nous entoure), puisquÕil sÕagit de comprendre et
dÕidentifier lÕordre du monde, par lÕtude des rgimes dÕexploitation et de
contrle des tats capitalistes occidentaux. LÕoriginalit de leurs propos trs
en vogue, notamment aux Etats-Unis, consiste dans leur approche raliste, complte
et surtout dmonstrative. Ngri et Hardt puisent ainsi dans lÕhritage de la philosophie
franaise de lÕaprs guerre que nous venons dÕtudier pour partie. LÕusage
quÕils font de Deleuze, de Guattari, de Foucault et de leurs ascendants
gnalogiques montre et dmontre lÕexistence dÕune philosophie politique
post-moderne, soit comme nous lÕa appris Lyotard une pense qui intgre la
finitude de la lgitimit, du savoir, de la pratique, et ainsi des ruptures qui
font le postmodernisme, dans une histoire des faits par ailleurs, qui nÕen
finit plus de porter son historicit, puisque comme lÕaffirme Bruno Latour,
nous nÕavons jamais t moderne[90]. Le cĻur de la rvolution
conservatrice contemporaine sÕinscrit dans ce jeu dialectique, qui permet
dÕtre postmoderne au nom de la modernit (la police comme un spectre de la
postmodernit), qui fonde la modernit (lÕhistoire du temps prsent) par
lÕusage de la postmodernit (les craintes de notre temps, tel que la
mondialisation, apparaissent l encore comme des spectres, des inexistences menaantes), qui dnonce la postmodernit au
nom des lois de la modernit (la polmique politique tant galement
scientifique, certains ont pris comme axe dÕattaque de contester la lgitimit
scientifique de la philosophie[91]).
Ngri et Hardt tentent ainsi de circonscrire les
problmatiques contemporaines de la redfinition du champ de lÕconomie
politique. En traitant des questions propres aux mutations actuelles, comme la
globalisation, la dconstruction de lÕtat-nation, le contrle bio-politique
des individus, le dominion amricain, etc., Toni Ngri et Mich¾l Hardt exposent
les conditions de ralisation et dÕexistence de lÕĒ Empire Č[92],
en empruntant Foucault et Deleuze notamment.
La mondialisation se constitue
sous lÕeffet historique conjugu de lÕabolition des rgimes coloniaux et de la
fin de lÕobstruction stratgique sovitique au dveloppement du capitalisme.
Juridiquement, Ē Le passage lÕEmpire sort du crpuscule de la
souverainet moderne Č (p. 17). Ce champ moderne de paradigmes tend montrer la
nature de lÕEmpire. Il est fluide et nÕutilise plus lÕemprise du sol pour
contrler les populations. La fluidit de lÕchange dterritorialise lÕindividu
et accentue sa perte de repre identitaire. La rfrence territoriale du
pouvoir de lÕconomie-politique est donc superftatoire. Le pouvoir de
terrifier (cf.
le jus terendi des
romains) disparat et entrane avec lui les beaux restes de lÕtat-nation. Le
contrle sÕoprerait par le biais des rseaux identitaire et surtout, par le
fait de la dislocation de ces mmes identits.
LÕhistoire prsente montre que la
monte en puissance de lÕconomie mondialise et la dcroissance potentielle de
la souverainet des tats-nations se ralise par des cadres de mutation
territoriaux et par des formats individuels de dterritorialisation. Le monde
se recompose alors selon les fluctuations de la valeur marchande renouvele et
selon les transformations d'changes et de flux. La gopolitique nouvelle se
fixe par des rgimes complexes et nouveaux de diffrenciation et
dÕhomognisation. CÕest dans ce cadre, probablement de transition, que la
cration de la richesse tend la production biopolitique, Ē cÕest--dire la
production de la vie sociale elle-mme dans laquelle lÕconomie, la politique et
la culture se recoupent de plus en plus et sÕinvestissent mutuellement Č
(17 et 18).
Le mot Empire nÕest pas utilis
comme une mtaphore historique mais comme un concept, soit, il doit tre
compris dans un cadre thorique. En premier lieu, lÕEmpire se caractrise par
son absence de frontire, ce que signifie que Ē le gouvernement de
lÕEmpire nÕa pas de limite Č (19). En second lieu, le concept dÕEmpire se veut
a-historique, comme tant une production ex-nihilo. LÕEmpire se prsente Ē comme
un ordre qui suspend effectivement le cours de lÕhistoire et fixe par l mme
lÕtat prsent des affaires pour lÕternit Č (19) (cf. Walter Benjamin). En troisime
lieu, le pouvoir de lÕEmpire fonctionne sur tous les plans de lÕordre social.
Il ne gre plus les matrialits territoriales et biologiques, il cre le monde
et lÕenvironnement individuel et social. LÕEmpire revt la forme du biopouvoir
puisquÕil tend contrler et engendrer totalement lÕindividu.
Dans la suite donne Empire, Michael Hardt et Antonio
Negri distinguent, par le concept de multitude, une mutation de lÕconomie
politique globale.
La multitude est en premier lieu conomique, et dpasse
ainsi lÕartificialit de la sparation marchande avec le reste des domaines de
la vie sociale. Ē Dans la mesure o la multitude nÕest pas une identit
(comme le peuple) ni une uniformit (comme les masses), ses diffrences
internes doivent dcouvrir le commun qui leur permet de communiquer et dÕagir ensemble Č[93]. Le principe dÕun commun est
ainsi rflexif puisquÕil est le fondement et lÕobjet mme de la production
sociale, et ce notamment par le facteur travail qui est lÕpicentre de la
production biopolitique : Ē nous appelons Ē production
biopolitique Č ce modle dsormais dominant pour souligner le fait quÕil
implique non seulement la production de biens matriels dans un sens
strictement conomique, mais aussi quÕil affecte et contribue produire toute
les facettes de la vie sociale, quÕelles soient conomiques, culturelles ou
politiques. Cette production biopolitique et lÕaccroissement du commun qui en
dcoule sont un des piliers sur
lesquels repose aujourdÕhui la possibilit de la dmocratie Č[94].
En second lieu, la multitude est ainsi par voie dÕosmose
la chose conomique, fondamentalement politique. les diffrents cadres, systmes,
matires, domaines, spars lÕun de lÕautre selon les mcaniques propres de la
souverainet des tats, se confondent lÕun lÕautre, se ressoudent ou
apparaissent dans leurs liaisons originelles, pour laisser place un univers
o le pouvoir, la rsistance, la multitude, la dmocratie, se confonde lÕun
lÕautre. LÕanalyse de Michael Hardt et Antonio Negri laissent alors entrevoir
une rflexion profonde mais malgr tout jamais immanente, au point de
considrer la sparation comme un paradigme central de lÕconomie politique
moderne et postmoderne. Leurs propos fait lÕconomie de cet usage pour se
concentrer sur lÕobjet mme de leur propre action thorique et politique qui
consiste runir.
Le principe de sparation est permanent dans leur analyse critique de lÕempire,
de lÕusage de la guerre, de lÕeffort constant des forces du capital et de
lÕtat vouloir reproduire la puissance de sparation de la souverainet des
tats-nations dans le cadre global de la puissance impriale de lÕconomie
politique occidentale.
La philosophie politique de Jean Baudrillard, malgr sa posture conteste[95], correspond une pense totale
des questions contemporaines du politique ; puisquÕil sÕagit toujours de
la mme chose, dÕhistoire, de langages et de signes, dÕune conomie politique
globale des choses et des textes. Cependant lÕĻuvre de Jean Baudrillard est
mon sens un indicateur, un sombre indicateur. Baudrillard est noir, sans
vritable romantisme, et cÕest l me semble-t-il sa grande force, dans un texte
rellement potique et un cadre totalement rigoureux. Le jeu dialectique entre
la rigueur et la posie, rythme son Ļuvre comme une respiration, que tout
inspire tant quÕil sÕagit de relever lÕironie cruelle du monde ;
Baudrillard est ainsi toujours en dcalage sur tout, car il ne voit pas comme
les autres, il expose toujours ce versant noir de la ralit, pour sÕattacher
souvent une posie de lÕinstant, comme ses photographies le montrent si
justement.
CÕest cela que cache lÕhistoire : Ē Il n'y aura plus de
fin. On entre dans une sorte d'indtermination radicale. Car non seulement, la
finalit transcendante, se perd, mais elle se retourne contre elle-mme elle se
perd en convulsion, elle dtraque mme les causes et le droulement Č ; Ē
L'histoire aussi est alle au bout de ses possibilits. C'est pour cela qu'elle
ne peut que faire volte-face ou se ritrer. Elle n'a pas russi s'chapper
dans le vide. C'est pour cela qu'elle est devenue indterminable, ne laissant
place qu' une immortalit ngative Č[96]. Ē Le temps est
vide Č car
comme lÕaffirme Walter Benjamin la simultanit du pass et du futur engendre
un prsent instantan[97].
Ou encore, tel que lÕnonce Louis Althusser, LÕutopie chez Machiavel et le
manifeste de Marx et Engels affirment le prsent comme Ē vide pour le
futur Č[98].
Baudrillard re-dveloppe l'affirmation de la finitude de
l'espce humaine. Il dtermine l'volution sociale, technique et politique
comme constituant les moyens illusoires d'chapper la mort. Fuite relle et
presque charnelle, elle est galement symbolique et se transcende de telle
manire que l'immortalit virtuelle apparat. LÕultime sparation que
reprsente la mort, laisse penser, que la lutte de lÕoccident contre la mort,
en rallongeant radicalement la dure de vie de ses membres, influe
consquemment sur le cadre dynamique de la construction de lÕtat prsent, de
la socit et de lÕindividu moderne. LÕimmobilisme gnral en France, qui nous
ramne toujours un plus en arrire, me semble tre cette aversion, ce reflux,
ce combat contre la mort. Ce qui amne toujours Baudrillard la rupture sur la
question du sujet, son approche quoiquÕil en pense[99],
est symtrique celle de Foucault, et de sa conception panoptique de la
socit contemporaine : Ē (É) le danger absolu est que dans
l'interactivit rige en systme total de communication, il n'y a plus
d'autre, il n'y a plus que du sujet - et bientt plus que des sujets sans
objets. Rien de pire qu'un sujet sans objet. Aujourd'hui, tous nos ennuis de
civilisation viennent de l : non plus d'un excs d'alination, mais d'une
disparition de l'alination au profit d'une transparence maximale des sujets
les uns aux autres. Č[100]
Dans cette socit transparente, dans cette socit
qui disparat,
tout comme cette histoire disparat[101],
les signes servent de conductions, se dveloppent comme lieu et moyen de
diffusion du pouvoir, comme une conomie politique des signes[102], comme une conomie politique de
lÕinvisible, comme une conomie politique de lÕentre-deux, comme une conomie
des mdiations devenue liquide[103]. Ce que nous montrent lÕensemble
des signes procde dÕun constat qui fait que la socit, institution, chose,
mot, sont arriver au point de leur achvement. La doctrine stratgie du
libralisme nÕy est dÕailleurs que pour peu. Tel que lÕaffirme aujourdÕhui
Alain Touraine, dont on ne peut escompter une quelconque proximit
intellectuelle avec Baudrillard, Ē sur les ruines de la socit
branle et dtruite par la globalisation surgit un conflit central entre, dÕun
ct, des forces non
sociales renforces par la globalisation (mouvements du march, catastrophes
possibles, guerres) et de lÕautre, le sujet, priv du soutien des valeurs sociales qui ont
t dtruites. Le sujet peut mme, le cas chant, tre refoul dans
lÕinconscient par la domination de ces forces matrielles Č[104].
Jean Baudrillard, puis Samuel Bowles et Herbert
Gintis ont largement dmontr que le capitalisme nÕtait pas simplement
producteur de lÕchange des biens et des services, mais quÕil tait galement
la machine produire les personnes[105].
Ainsi, la standardisation de notre environnement dÕobjets, nous conditionne,
nous produit, et nous reproduit en nous-mme et en nos relations comme un systme
dÕobjets. Le sujet de droit et le
sujet politique ont ainsi t supplants par la puissance de lÕconomie
productive et consumriste, puissante fabrique de lÕhomme moderne dsocialis,
dpolitis, puis resocialis, repolitis, reproduit. Le capitalisme historique faisait quÕĒ une
manufacture est une invention pour fabriquer deux articles : du coton et des
pauvres Č[106]. LÕconomie de march contemporain fait, dans un
systme dsormais fond sur la consommation, et non plus sur la production,
quÕun hypermarch est une invention pour vendre de la nourriture et produire
des obses. La machine produire le vide de ceux qui ne pouvaient exister
conomiquement et ainsi politiquement, sÕest commue en une machine produire
les corps, pour mieux conditionner le vide des consciences, juste apte
consommer, juste apte se consommer. Le capitalisme ne dtruit pas quÕau
travers du processus de consommation, les biens, les services et les personnes,
ou encore, il ne dtruit pas par ces phnomnes de concentration et
dÕaccumulation du capital. Le capitalisme consomme les hommes, dans des processus
qui dpassent le systme dÕalination marxiste et freudien.
La philosophie politique de Judith Butler, me semble tre lÕauteure la plus importante de notre
temps, non seulement pour ses dcouvertes majeures sur le genre, et sur les
implications que cela impose sur la construction du sujet et le faonnage
complexe des identits(les gender studies[107]), mais aussi parce quÕelle
poursuit lÕanalyse et les travaux quÕavaient laiss en suspens bon nombre
dÕauteurs, et que le contexte contemporain propre aux conservatismes politiques
et intellectuelles ne permet pas de gnrer en masse. Judith Butler reprsente
une des penses contemporaines les plus fertiles, les plus sduisantes, les
plus radicales ; sa pense constitue ainsi une synthse et une nouveaut constantes.
En premier lieu, elle reprend l o Foucault avait cess
de sÕinterroger : la question du sujet. Le sujet se forme par la
gnalogie par laquelle il sÕest form, et Ē le sujet est (É) est
institu afin dÕassumer la responsabilit de lÕhistoire quÕil dissimule Č [108] Comme le dit Foucault, le pouvoir
est le nom que
lÕon attribue une situation stratgique complexe dans une socit donne.
Comme y rpond Butler, Ē le pouvoir fonctionne par le biais de la
dissimulation : il apparat comme autre chose que lui-mme, il apparat
comme un nom. (É) Le nom porte en lui le mouvement dÕune histoire quÕil
arrte Č[109] Le Ē domaine linguistique
sur lequel le sujet nÕa pas de contrle devient la condition de possibilit de
tout domaine de contrle exerc par le sujet parlant. LÕautonomie dans le
discours, pour autant quÕelle existe, est conditionne par une dpendance
radicale, originelle lÕgard du langage dont lÕhistoricit excde de toutes
parts lÕhistoire du sujet parlant. Et cette structure, cette historicit
excessive et ce qui rend possible la survie linguistique du sujet ainsi que,
potentiellement, sa mort linguistique. Č[110]
On le constate, la dimension que donne Judith Butler
consiste dans la dtermination du rapport entre le sujet et la puissance que
chacun noncer sa capacit. CÕest en ce sens quÕelle dveloppe les thmes de
la performation du
langage, en se rfrant aussi bien la technicit de la linguistique, quÕaux
termes du pouvoir dÕinterpeller et de commander. Elle ne reconstitue pas le
sujet indiffremment aux conditions gnrales du pouvoir, elle essaie et russi
identifier La vie psychique du pouvoir[111], en runissant potentiellement une
synthse quÕappelait de ses vĻux Gilles Deleuze[112].
La performation du langage devient
simultanment une reproduction dÕhistoricit et un rituel
dÕinstitutionnalisation : Ē Si un performatif russi
provisoirement, ce nÕest pas parce quÕun intention gouverne avec succs
lÕaction discursive, mais seulement parce que cette action fait cho des
actions antrieures, et accumule la force de lÕautorit travers la
rptition ou la citation dÕun ensemble de pratiques antrieures qui font
autorit. (É)
Un performatif ne fonctionne donc que dans la mesure o il utilise et masque la fois les conventions
constitutives par lesquelles il est mobilis. En ce sens, aucun terme ni aucun
nonc ne peut avoir une quelconque force performative sans cette historicit
accumule et dissimuleČ[113] Simultanment, Le performatif est un rituel dÕinstitutionnalisation
du social, cela signifie que Le performatif Ē est une lÕune des faons,
puissantes et insidieuses, selon lesquelles, sous lÕeffet dÕappels dÕorigine
diffuse, les sujets acquirent une existence sociale et sont introduits la
socialit par des interpellations puissantes, la fois diffuses et varis. En
ce sens, le performatif social joue un rle crucial non seulement dans la
formation du sujet, mais galement dans la contestation politique et la
reformulation continuelle du sujet. Le performatif nÕest pas simplement une
pratique rituelle : cÕest lÕun des rituels majeurs par lesquels les sujets
sont forms et reformuls. Č [114] La construction du sujet est ainsi
au cĻur du mouvement linguistique, un procd qui permet simultanment
dÕaccumuler et de disposer de la richesse dÕun savoir exprim avec force. La force du langage est aussi
une force humaine, corporelle : Ē LÕacte de discours est un acte
corporel, la force du performatif nÕest jamais entirement sparable de la
force corporelle. Č [115] ; cÕest de ce point de vue,
le principe de centralit de lÕhomme parlant qui fixe lÕhistoire comme la
production de divisions, de distorsions de lÕhistoire, le principe structurant
de la sparation construisant lÕhistoire comme un langage de force, et non
comme un concept dÕusage de lÕhomme lui-mme. CÕest dans ce contexte quÕelle
affirme que Ē LÕtat produit les discours de haine. Č [116]. Elle analyse la violence verbale
dirige contre les minorits. Elle montre les limites, et les dangers de
confier lÕtat le soin de dterminer le droit du dicible et de lÕindicible. Car
la puissance souveraine de lÕtat nÕest en fait contenue que dans son langage,
que dans la menace quÕil impose (le langage du droit) et par la scurit que
cela impose (le langage de la promesse) en contrepoints dÕun change, dont nous ne comprenons le commerce, mettre en quilibre les
conditions de lÕexercice dmocratique, dont on comprend l encore le sens,
puisque son exercice est cens se produire dans ce lieu de parole quÕest le
parlement (le lieu instituant la parole souveraine). Ē Dire et
manifester lÕaltrit au sein de la norme (lÕaltrit sans laquelle la norme ne
Ē se connatrait pas elle-mme Č), manifeste lÕchec de la norme
rendre effective la porte universelle quÕelle reprsente, ce quÕon pourrait
appeler lÕambivalence prometteuse de la norme. LÕchec de la norme est rvl
travers la contradiction performative ralise par celui qui parle en son
nome, alors mme que ce nom nÕest pas encore dit le dsigner, lui qui sÕinsinue
malgr tout assez dans le nom pour parler Ē en Č lui. Č [117]
Elle prsente me semble-t-il une
thse centrale, selon des modalits de luttes politiques auxquelles je souscris
totalement. Elle nonce une thorie fondamentale du politique dans le langage
et dans la posture du langage : Ē Le Ņcoming outÓ se veut un
exemple contagieux, suppos crer un prcdent et provoquer une srie dÕactes
de structure similaire dans le discours public. Č[118]
La socit chose, la socit mot, lÕinstitution et sa
reprsentation nominative, ne sont plus. Il ne reste quÕun hypertexte
quÕutilise toutes les forces, toutes les individualits pour manifester de leur
unicit, de leur humanit, de leur existence dans une multitude humaine se
quantifiant en milliards croissants, dans un univers de plus en plus fini, dans
un monde de plus en plus obsolte par sa finitude, par sa concrtude. LÕhomme
nÕa plus de terra incognita, si ce nÕest la sienne, celle qui sÕimpose par la
puissance de son langage raconter des histoires (vous comprendrez cette
expression sous tous ses sens, y compris, le sens le plus enfantin). CÕest dans
ce sens galement que ce reconfigure la lutte des classes. Le langage nÕest
plus simplement un procd structural et historique, il est le seul lieu o se
partage les frontires du politique, des hommes entre chaque hommes. Le langage
et la reprsentation dÕun homme sont ainsi sont aussi bien sa dfense, que ses
moyens de riposte. Si chaque homme dvelopp est un mini-tat, comme lÕnonce
Wim Wenders, il a ainsi les voix de son existence, de son identit, de sa
mmoire pour imposer son autorit, qui consacre la souverainet du sujet.
La souverainet du sujet est ainsi simultanment, sa force
pour se prenniser, et aussi, sa faiblesse par le fait des apptits quÕelle
impose sur le trop grand nombre de cas que nous connaissons. CÕest probablement
dans ce sens quÕune philosophie de lÕavoir nous manque le plus, pour pouvoir
riposter toutes les imprcations conservatrices.
II/ La reconstruction contemporaine de la philosophie
politique : rvolution conservatrice
Si la philosophie politique, diffrents moments de
lÕhistoire des socits dveloppes, a influenc lÕordre et le discours
politique, la question lÕpoque contemporaine semble beaucoup plus complexe
cerner, tant les dcalages, entre lÕordre du discours philosophique et les
ralits politiques du moment, sont importants. Notre poque est un moment
privilgi de lÕhistoire des ides politiques, o les critiques et les ides
sÕnoncent, se dveloppent et sÕaffirment dans lÕespace public mondial. La pense
critique contemporaine dveloppe des champs philosophique, scientifique et
politique denses, complets et applicables (Ngri, Hardt, Agamben, Chomsky,
Bourdieu, etc.).
Cette pense critique se heurte, probablement, la plus
grande rvolution conservatrice de lÕaprs second conflit mondial[119]
(la premire rvolution conservatrice du XXe sicle sÕest dveloppe
dans lÕusage et le dtournement de la pense radicale Nietzschenne, combine
et imbrique aux discours idologiques du nationalisme, du racisme, de
lÕexploitation des logiques de classes, de la dpression et de la drive
heideggrienne). Cette seconde rvolution conservatrice du XXe
sicle, comme on lÕobserve empiriquement, au sein du monde universalis
amricano-europen, sÕappuie sur lÕordre de la terreur mortifre heideggrien,
donc post nietzschen, de lÕnonciation de la fin (cf. Fukuyama, Finkelkraut,
Lipovestki, Bavers, etc.). Elle se dveloppe dans des champs de discours
proprement parler ractionnaire (en France, Carrre dÕEncausse, Ferry, Renaut,
Goyard-Fabre, Revel, etc.).
Les deux thses philosophiques et politiques sÕopposent
doublement, puisque la pense critique propose une lecture positive du monde,
pour sÕappuyer sur ces ralits proposes, et construire pour lÕessentiel une
nouvelle relation politique et conomique, alors que la pense conservatrice
sÕappuie sur plusieurs champs et plusieurs dimensions de lÕhistoire et le
contrle du temps et de lÕespace politique, pour reproduire lÕhistoire ou pour
la conserver par immobilisme. Cette pense sÕenracine aujourdÕhui soit dans une
conception dogmatique contemporaine ou historique. La pense contemporaine
conservatrice est inluctablement amricaine et librale (cf. Hayek), mais elle peut tre
totalement ractive la modernit, lÕincontrl, et devenir ferm et
rgressive, pour quÕun contrle politique total reprenne ses droits sur le
chaos social du temps[120].
Arendt et Aron, bien sr, pour une ide dÕun conservatisme pragmatique, mais
aussi, le conservatisme originaire, celui de Burke notamment, qui connat
durant chaque priode de rvolution conservatrice et rpressive des mules,
sont les auteurs les plus centraux sur lÕensemble du dispositif thorique et
philosophique conservateur.
Si le conservatisme naquit en raction la Rvolution
franaise (Joseph de Maistre en est la reprsentation parfaite, dans sa
critique et par son romantisme, dans un cadre qui rapproche toujours les
ractionnaires et les rvolutionnaires), c'est au XXe sicle que les
inquitudes des conservateurs se ralisrent comme de malheureuses prophties.
LÕesprit conservateur se fixait lÕorigine par la croyance en un ordre moral
et transcendant, par le got du pluralisme social, par le sens de la
hirarchie, par l'amour des coutumes et des traditions, par le culte de la
proprit prive, par la mfiance l'encontre des idologies rformistes et
par l'attachement au principe de continuit historique[121],
se transforme et se dforme en temps de crise. Mme le conservatisme soutenu
par Hannah Arendt ne me parat pas recevable. Chez Arendt, le conservatisme n'a
rien voir avec la mfiance viscrale des traditionalistes l'gard du
changement. C'est une inquitude pour ce qui existe, un sentiment aigu pour la
stabilit du monde, un monde qui devrait se soucier de son hritage. Le
conservatisme nÕa alors de sens que face la liquidation totalitaire. Le
cercle se ferme alors. Totalitarisme contre conservatisme. Conservatisme contre
totalitarisme. La formule devint lÕissu du second conflit mondial le cycle
rcurrent de la lenteur burkienne, de lÕimmobilisme et du renforcement des
autorits qui lÕentretiennent jusquÕ lÕabsurde, jusquÕau point mme de crer
totalement lÕincertitude, seul vritable focal, seul point de lgitimit de
lÕaction de gouvernement. Les forces sociales et politiques conservatrices ont
actuellement ceci de commun quÕil ne sÕagit plus de structurer, de rassurer le
prsent et lÕavenir par un continuum dÕides, dÕinstitution et de valeurs. Il
sÕagit de bloquer, de fermer tous prix les acquis individuels et les acquis
de groupe, en imposant dogmatiquement les risques que lÕon encourt modifier
lÕordre existant des choses.
Chaque force politique, incarnant des forces sociales, ne
fait pas le choix de la rforme et/ou de la rvolution (en France, le vide est
alors conservateur puisque ces derniers, par dfaut, ne peuvent emprunter
lÕidologie no-librale quÕun discours appauvri de sens et de faits, puisque
la ralit de lÕconomie politique librale menacerait lÕordre social
conservateur corporatiste et administratif de leur lectorat. Ce vide est
galement de gauche, puisque les socio-dmocrates, pour lÕessentiel, ne peuvent
se heurter quÕ la mme idologie no-librale pour se rgnrer (le jospinisme
est cet gard une figure centrale de la raction conservatrice sociale
librale), et ne trouver quÕune impasse face aux blocages historiques de partis
qui se remmorent leurs origines, pourtant enterres, en France, depuis 1983,
et le virage de la rigueur prn par Jacques Delors).
LÕinterdiction post-moderne mitterrandienne dÕtre
de droite ou de mener une politique conservatrice forcment ractionnaire et out, nÕa pu ramener ces derniers aux affaires que par
lÕenferment et la fragmentation sociaux et politiques du pays, puis par les
manĻuvres scuritaires quasi-barthiennes o la stratgie est dÕeffrayer pour
mieux scuriser[122].
Les pouvoirs conservateurs enfin affranchis de lÕombre tutlaire et
intellectuelle de Mitterrand, jouent des contorsions pseudo humanistes pour
justifier dÕune rpression, renversant la dialectique de lÕex-locataire de
lÕlyse (Sarkozy expulse les trangers en situation irrgulire, sous lÕgide
de la Croix Rouge, mais au mieux, il expulse sur le seul fondement que lÕon
ne peut accueillir toute la misre du monde, ou au pire pour rpondre lÕcho populaire raciste, parce que ces ngres
et ces arabes sont des dlinquants).
Or, nous le savons sans avoir nous appesantir sur ce point, Raymond Aron
qualifiait dj de Ē religion scuritaire Č, ce culte dÕtat qui est un culte de lÕtat, avec
ses ftes civiles, ses crmonies civiques et ses mythes nationaux ou
nationaliste, toujours prdisposs susciter ou justifier le mpris ou la
violence raciste, et qui nÕest pas le fait des seuls tats totalitaires. Le
vide nÕest alors quÕune absence de fondement lÕaction publique. Une autre
faon de concevoir le clientlisme politique face une socit violente,
toujours en qute des mmes exutoires, des mmes boucs missaires, selon des
propos offerts en prime par les socio dmocrates, garantis lectoralement par
la communaut musulmane intgre. Mitterrand, cet homme de droite, pur produit
de la IVe Rpublique, ne pouvait tre le seul quÕ rassembler et
imposer la gauche aux affaires. AujourdÕhui, le processus sÕinverse, la droite
se recouvre des discours issus des forces de gauche, tant pour conqurir le
pouvoir (cf. la fracture
sociale chiraquienne de 1995), que
pour justifier de ces programmes ractionnaires, contre tous ceux dont la bonne
socit veux la tte (trangers, mendiants, pauvres de tous poils, dviants de
toutes catgories, toxicomanes, prostitus). Les barbares sont encore au
pouvoir. Ils ne gouvernent toujours pas pour la chose publique, mais en son
nom, pour garantir des intrts de classes corporatistes, forts de procds politiquement
inconvenants, humainement dshonorants, dont le premier objet est de dsavouer
la diffrence identitaire, en slectionnant les bons franais des mauvais.
LÕunique choix fait par toutes les forces reprsentes est
celui du pourrissement[123], de lÕattente de la crise, et/ou
de la production de la crise, seule source lgitime de la mutation de lÕordre
existant. CÕest en ce sens moderne o le capitalisme moderne sert de
justification, et produit simultanment les crises essentielles la pratique politique
du gouvernement dÕexception et de crises. La gestion gouvernementale de
lÕimpossible Š la logique de la tolrance zro par exemple, ou du zro
gnralis aux rsultats obtenir, est scander dans le discours des
politiques publiques, gnraliser dans la production du mythe de la
productivit des modles managriaux Š devient lÕarbre qui cache la fort des
problmes que lÕon pourrait rsoudre ou limiter pragmatiquement (cf. les
finances publiques, lÕconomie sociale, le march de lÕemploi, etc.). Cette
gestion de lÕimpossible devient galement le facteur de production lgitime des
modles juridiques en dcoulant, sÕopposant ainsi la multitude. A lÕcho de
la perfection des modles nolibraux du management public, la multitude doit
obtemprer, et se soumettre collectivement et individuellement, un ordre
juridique du droit labor sur le principe de responsabilit, de prcaution,
dÕassujettissement aux risques[124] ;
nouveaux signes du production de relations disciplins, auto disciplin la
multiplicit contraignante dÕune responsabilit juridique gnralise, dÕune
surinformation terrorisante, dÕune ncessit de production asservissante, dÕun
besoin pavlovien de consommation, etc.
Cette ralit du politique sur lÕordre de la multitude,
cette ralit gnralise de la contrainte, dÕune alination gnralise aux classes
possdantes, simplement graduable par le rapport la plus value conomique,
par le rapport la valeur de la connaissance acquise, par le rapport
esthtique de la valeur de son corps, de son image, de son icne, cette ralit
rejaillit, dans son urgence, mais sÕestompe du discours savant, thorique et
philosophique. Le combat contre le conservatisme, ce combat contre le vide de
la pense, est puisant et simultanment strile, semble bloquer une
philosophie politique positive, constructive ; le combat des conservateurs
tant de nous soumettre lÕpreuve de force, de sÕimposer notre critique,
par seule stratgie de lÕimmobilisme, comme une quipe de football jouerait la
montre, en croyant tre lÕabri dÕun retour de lÕadversaire[125].
Ce combat dÕides philosophiques, proprement parler
politique, fait le discours et lÕengagement intellectuel de notre temps. Dans
lÕordre du discours politique, lÕon ne peut tre que mondialiste ou nationaliste,
cosmopolite ou ethnocentriste, que dmocrate participatif ou dmocrate
reprsentatif, etc. La philosophie politique contemporaine offre ainsi une
nouvelle dualit idologique soumettre au pouvoir, aux dbats, la
ralisation dÕun ensemble politique plus harmonieux.
Les fondements de cette dualit politique, et les
interrogations qui en dcoulent, sont conomiques et territoriaux (Quelles
relations politiques au travail, au capital ? ; quelles relations
politiques lÕespace public, aux territoires ?), mais sont galement dans
le champ juridique dterminer pour tablir une nouvelle relation et un
nouveau discours politique entre lÕautorit dvolue et le pouvoir des individus
et des institutions. LÕconomique et lÕespace sont autoproduits dans des formes
dynamiques dÕintrts complexes, hors et dans le droit, pour et contre
lÕintrt de la multitude, pour lÕintrt personnel de la classe dirigeante,
alors que la relation juridique est toujours le fait dÕune dcision, dÕun
dialogue, dÕune synthse, et dÕune prise de dcision imprative, dtermine dans
puis par le champ juridique (cf. Jrgen Habermas).
Le droit, et notamment le droit public, se retrouve tre
alors comme une ossature, une structure lmentaire, qui est le produit de la
dcision politique, elle-mme, quÕelle soit faite dÕun consensus ou dÕun coup
de force, tant engendr par les propositions complexes du pouvoir de lÕconomie
politique. Ce systme de canalisation du pouvoir se droule en trois
phases : problme de gestion publique et conflits dÕintrts privs,
dcision politique de lÕappareil institutionnel apportant les solutions,
juridicisation de la dcision dterminant les comportements suivre pour ne
plus engendrer le problme. Le droit saisit alors autant les problmes dÕintrt
public, que les conflits dÕintrts de la classe de commandement.
Nous le constatons, les transformations de la philosophie
politique ne se mesurent pas exclusivement sur lÕchiquier de lÕidologie et de
ces luttes. Le discours philosophique contemporain peut se transposer galement
sur le champ propre de lÕtat, institution de lÕautorit politique moderne et
contemporaine. Il apparat, hors du discours critique contemporain, que la
philosophie contemporaine soit encore marque par la dualit de lÕorganisation
dialectique et historique de Hegel, et la critique historique de lÕconomie
politique de Marx et de Engels. Point de salut, hors de ces dbats, qui sont
encore aujourdÕhui, la marque du classicisme. Pourtant il semble que le dbat
puisse tre aliment, et renouvel mme en partie.
La pense hglienne, si comme lÕaffirme Derrida, doit
tre souvent remise en question, sur lÕtabli de la pense (Ē je nÕai
de cesse que de mÕexpliquer indfiniment avec Hegel Č), le discours marxiste peut faire
lÕobjet, triste me semble-t-il, dÕune lecture spectrale[126].
La pense de Hegel est une pense pure, dfaite de lÕordre des choses, du
naturalisme notamment, pour imposer la raison et la rationalit. Chez Hegel, le
droit est la libert et lÕtat est la raison. En raisonnant in abstracto, il apparat clairement que Hegel
pose les conditions modernes du pouvoir politique rationnel et raisonn. Alors
mme que Marx et Engels proposent un discours non philosophiques, a proprement
parl matrialiste, qui pose la critique du rel et de tous. Leurs oppositions,
de ce point de vue, me semblent insatisfaisantes. Husserl, dans sa lecture
problmatique de la crise europenne, pose simplement la question de la ralit historique,
ralit objective, de la ralit de lÕinterrogation, ralit subjective.
Husserl reconditionne synthtiquement le dbat prsent de la philosophie de
lÕentre-deux-guerres. Notre savoir, explique-t-il, est un hritage de la pense
grecque dramatis par la science galilenne. Le monde naturel est devenu une mathmatique
applique : Newton ou Einstein, cÕest tout un. Dans la thorie comme dans
la pratique, nous nÕavons plus affaire quÕ des formules abstraites et sans
vie.
LÕtat, en tant quÕinstitution du politique, est rduit
nÕtre hors du champ de la pense et de la rflexion, hors du rel, pour
imposer pourtant une par de la ralit. La politique relle de lÕtat est ainsi
transforme aprs guerre par la comptabilit analytique, les sciences
managriales, la gestion publique comme les exigences dogmatiques de lÕordre
professionnel politique lÕimposaient. LÕide nÕest plus en conflit avec
lÕhistoire matrielle, lÕide est hors de son champ. Ce dcalage est bien
entendu une question de temps et de vitesse. La philosophie est lÕotage de sa
lenteur. Elle impose le recul, la distance, la sortie, lÕexclusion. Elle est
dans lÕhistoire toujours plus rapide, mais dans notre temps hypermoderne, elle
ne peut tre quÕhyperlow (les conditions ontologiques du march imposent une acclration du
temps que nul nÕavez connu auparavant. Plus que lÕoffre et la demande, comme
moteur de la production et de la consommation, de la richesse et de la
pauvret, du capital et du travail, lÕconomie capitaliste de march est une
institution de lÕinstant, voire de lÕavant[127]. LÕconomie libidinale, pour
reprendre la formule de Jean-Franois Lyotard, est ainsi une conomie de la
monstration, de lÕattraction, de la destruction, qui impose lÕinstantanit des
cots de production, et la radicalit destructrice de la consommation).
Le capitalisme sÕest rgnr, alors
quÕau mme moment la situation sociale se dgrade[128],
renforant le principe thorique de lÕhistoire dvelopp par Fernand Braudel.
Le capitalisme drogerait au systme de march, puisque le capitalisme nÕest
quÕun lment singulier de la rgle standard des changes des marchs. Ē Le rapport de forces, la
base du capitalisme, peut sÕesquisser et se retrouver tous les tages de la
vie sociale. Mais enfin, cÕest en haut de la socit que le premier capitalisme
se dploie, affirme sa force, se rvle nos yeux Č[129]. Bien entendu
derrire la rforme de lÕtat, il ne faut voir que le voile communicationnel,
dÕun pouvoir qui cache bien mal sous ces rformes administratives ou fiscales,
lÕeffondrement de la socit, et le renforcement des sphres dÕautonomie des
individus totalisant les capitaux essentiels[130].
Le paradoxe nÕen nÕest donc pas un.
LÕinvestissement industriel et son effet mcanique direct sur lÕemploi
notamment, se sont dprcis au profit de lÕinvestissement financier. Ainsi entre
1983 et 1993, la capitalisation boursire de la place de Paris est passe de
225 2700 milliards de francs pour les actions et de 1000 3900 milliards de
francs pour les obligations[131].
Ce dplacement quantitatif de la valeur et de ses vecteurs nÕest pas le seul facteur
de la transformation du capitalisme contemporain. Les mouvements de fusions
acquisitions des ples multinationaux ont pu se raliser avec lÕagrment
explicite ou implicite des tats occidentaux qui ont permis la drgulation
fiscale, sociale, salariale, permettant pour lÕessentiel la flexibilisation du
travail. Ē CÕest
un modle complet du management de la grande entreprise qui sÕest transform
sous cette pousse pour donner naissance une manire renouvele de faire des
profits Č[132]. Cette
dmultiplication de la valeur, nous le savons, nÕa pourtant pas profit aux
populations laborieuses. å lÕinverse, un
appauvrissement fait jour, notamment pour les populations actives, la
croissance rgulire du nombre des chmeurs et de la prcarit du travail, la
stagnation des revenus du travail sont devenus les standards sociaux, dont il
ne nous apparat mme plus quÕils soient des lments lis lÕvolution
globale de lÕconomie mondiale. å tel point, quÕil ne semble pas inconcevable
dÕaffirmer que le premier vecteur dÕinscurit soit conomique.
Cette volution conomique et cette
rgression sociale ne sont pas neutres. Aux tats-Unis, la part du revenu
national de la fdration est absorbe par les 5 % des tranches sociales
les plus nantis, de 15,5 % en 1980 21,9 % en 2000. La part des
80 % les moins riches est tombe de 56,9 50,6 %[133].
Les chiffres sont loquents, presque formules comme une sentence, donnant au
capitalisme de march, le mme sens que son prdcesseur historique, en
reformulant sa forme et en inversant sa dynamique de production vers la
consommation, mais en demeurant un extraordinaire systme de sgrgation
conomique et sociale, signifiant bien cette histoire impriale ternellement
reformule, Ē combinant
dveloppement dÕune ploutocratie et expansion dÕune plbe Č[134], et ne se
raffirmant que dans sa propre destruction. Destruction du travail, destruction
de la valeur, le capitalisme de production ou de consommation ne se ralise,
dans son manque de pondration et dÕquit sociale, que dans les mcaniques
automatique de concentration des capitaux de toutes natures, et dans les dsirs
immanents de ces acteurs, vritables moteurs de lÕinstitution globale.
La fin du travail, tel que lÕnonce
Jeremy Rifkin, est ainsi la redfinition de la fonction travail dans une
histoire de longue dure, et sa redistribution immdiate sur les territoires
mondiaux[135]. LÕnonc
empirique de Rifkin, nous le connaissions dj de la mtaphore
deleuzienne : Ē le
capital est du travail mort qui, semblable au vampire, ne sÕanime quÕen suant
le travail vivant, et sa vie est dÕautant plus allgre quÕil en pompe
davantage Č[136]. Si l'automatisation a commenc
dtruire les emplois non qualifis, ses effets ne s'arrteront pas l :
tous les secteurs et toutes les catgories de travailleurs seront atteints par
ce bouleversement technologique, la plupart du temps reli par la
dterritorialisation du travail faible cot, concernant aussi bien les
secteurs premiers de lÕconomie que lÕconomie des services. La cration
d'emplois dans les branches nouvelles du quatrime secteur dÕactivit, celles
lies au savoir, ne suffira pas absorber les milliers d'emplois perdus. Les technologies dvoreuses d'emplois nes de la rvolution
de l'information envahissent tous les secteurs d'activit. Si certains emplois
sont crs, ils sont souvent temporaires et mal pays.
Le monde capitaliste est en train de se
polariser dangereusement : d'un ct, une lite de gestionnaires, de chercheurs
et de manipulateurs d'information surqualifis ; de l'autre, une majorit de
travailleurs prcaires, sans perspective d'avenir et d'emploi stable dans un
monde de plus en plus automatis, reprsentant une fois de plus lÕunivers
imprialiste fait dÕune caste, et dÕune sous caste, dÕun proltariat et dÕun
sous proltariat.
La destruction du travail nÕest pas le
seul phnomne du capitalisme contemporain, puisque lÕactualit montre les
difficults identiques sur la valeur, et ainsi de la plus-value. La destruction
des prix et les risques dÕconomie de dflation en sont la preuve. Ce que les
japonais nomme le Ē kakaku
hakai Č (la destruction des prix) est un des phnomnes majeurs de
lÕconomie de crise rcurrente depuis prs de dix ans au Japon. La dflation
est un cercle vicieux dans lequel la baisse des prix engendre une baisse des
revenus, laquelle, son tour, entrane une rduction de la demande, donc de
l'activit, incitant les entreprises concernes rduire nouveau leurs prix
pour tenter de regonfler les ventes. Et la spirale continue. L'explosion des
bulles immobilire et financire a en effet conduit l'archipel nippon dans une
telle situation que les politiques montaire (baisse des taux d'intrt) ou
budgtaire (forte hausse de la dpense publique) restent sans effet. Les
experts parlent mme de Ē trappes liquidits Č : persuads que les prix de
demain seront moins levs que ceux d'aujourd'hui, les mnages japonais
prfrent pargner le surplus d'argent inject dans l'conomie par le
gouvernement. La situation nippone est d'autant plus proccupante que les taux
d'intrt atteignent un niveau proche de zro. Quant aux dpenses publiques, le
dficit frle les 10 %. Ce risque beaucoup le craigne en Allemagne avec le
risque de contamination de tout le continent europen[137],
et on lÕannonce mme aux Etats-Unis, o Ē l'ventualit d'une baisse marque et non dsirable de
l'inflation, bien que faible, l'emporte sur celle d'une reprise de l'inflation Č[138].
Ce phnomne semble se constituer dans
le cadre nuanc de la valeur montaire. La monnaie qui participe la
consommation nÕest pas de mme nature que la monnaie qui constitue lÕchange
financier. La monnaie de consommation est en rapport la production dÕun
travail ou la consommation dÕun bien ou dÕun service. La monnaie financire
reprsente un systme de coefficients diffrentiels de production sur
diffrents termes temporels. Dans le premier cas, la monnaie se rflchit
limitativement par lÕchange, dans le second, elle se rinitie et se
dmultiplie dans la reprsentation boursire entre production et capitalisation[139].
Le dcodage des flux du travail et le surcodage ddoubl des flux de valeur
reprsentent le capitalisme contemporain, un niveau de nihilisme qui
manifeste tant la somme des dsirs dÕaccumulation, que les effets mcaniques de
lÕaccumulation. Ē La
vritable barrire de la production capitaliste, cÕest le capital
lui-mme Č[140]. Ce phnomne
sÕest transpos dans le capitalisme de march, qui fait que la vritable
barrire de la consommation marchande, cÕest le march lui-mme.
La question philosophique de lÕtat laisse percer, malgr
tout, une problmatique gnrale du temps et du pouvoir[141].
Le march contemporain, lÕindividu, agent dsirant producteur et consommateur,
lÕordre social, toutes les mdiations sociales sÕacclrant en se dveloppant
par le biais de la machine communicante, se heurtent et sÕinterpntrent
lÕautorit et aux comptences publiques. La crise de mutation de lÕtat est
ainsi marchande et communicationnelle. Si lÕtat spectacle semble connatre des
mutations de la reprsentation politique[142],
ainsi que de la reprsentation du politique, lÕtat gestionnaire connat de
graves difficults dÕadaptation aux temps productifs et consumristes hyper
rapides. La ralit positive de lÕtat contemporain en fait ainsi une curiosit
historique, dcale avec son temps marchand, seule garant dÕune autorit
partage avec les structures de commandement financier et marchand, seule
autorit partage avec les nouvelles institutions publiques, locales et
internationales. Organiquement et juridiquement, lÕtat est en pices, en
morceaux, en rhizome. Il ne faut plus rechercher une dimension de lÕun et du
multiple, ni de leur dialectique propre, mais sÕintresser la multitude, seule forme structurale de
lÕindividu, de la socit, et de lÕordre quÕil les entretient. LÕhglianisme
peut alors sÕachever. LÕindividu est toujours rfrant, mais pas dans sa
reprsentation oppos et spar de lÕordre, il est lÕordre, multiple, complexe,
singulier, il renvoie rflexivement sa forme par ses discours. Ainsi si la
forme institue du pouvoir se diffuse, se dfait, ce nÕest pas par crise de
lÕunit institutionnelle de lÕordre, cÕest par transfert global de la
multiplicit de lÕhomme dans lÕordre de ses mdiations. LÕhomme complexe
apparat ainsi aussi bien dans la pense freudienne, que dans lÕanalyse des
sciences sociales et humaines. Ē LÕhomme unidimensionnel Č comme nous
lÕa appris Herbert Marcuse nÕest en fait quÕune rplication de la structure
conomique et politique. Il nÕen demeure pas moins, aprs que les invariants
structurels et culturels se soient redploys systmatiquement, chaque personne
demeure unique par sa biologie propre, et par son histoire personnelle. LÕADN
et lÕhistoire de la personne deviennent les variables propres de la personne,
quÕelles soient le fait de la continuit (la biologie hrditaire), ou de la
discontinuit (la philosophie de la rupture soi, sa culture, ses
traditions, son histoire).
La philosophie politique de lÕtat nÕa plus quÕune
dimension pistmique et historique. La philosophie a perdu de sa magie, de sa
capacit de vision. Les mots ont perdu le sacr. Elle nÕest quÕun des lments
du savoir historique (Arendt, Aron, Foucault, RicĻur, etc.), mme si souvent,
elle est encore un achvement du savoir historique (Benjamin). Toute
philosophie est donc historique, comme toute homme est une histoire, et non plus un tre abstrait,
sorti de lÕtat de nature, puis de lÕtat de libert et/ou de domination. En
de de cet vidence matrielle et intellectuelle, il ne reste quÕun rhizome
construit par la philosophie morale (Arendt, RicĻur, Rawls etc.), la
philosophie des sciences, la philosophie esthtique (Adorno, Baudrillard,
Foucault, Bourdieu, etc.), la philosophie mystique et humaniste (RicĻur,
Levinas, etc.) ; la philosophie politique nÕtant plus quÕun des lments
du rhizome dÕides, dans une histoire si rapide, que nous en perdons la mmoire
instantanment.
Il nÕen demeure pas moins, au final, que la politique
nÕinfluence pas en retour la philosophie. Le prince philosophie nÕest plus
(tout comme lÕartiste, le musicien, le peintre, lÕintellectuel, le philosophe
nÕest plus. Non que sa figure ne demeure pas mais plutt que son usage nÕest
pas pensable, pour demeurer crdible dans une socit en mouvement Š la stature
du philosophe mdiatique de BHL ou de Luc Ferry en est la preuve patente -). CÕest
lÕensemble du systme de relations humaines, et donc de relations politiques,
qui est philosophique. La philosophie du don de Mauss, ou la philosophie de
lÕhospitalit de Derrida montre le sens nouveau dÕune philosophie politique de
la relation humaine, qui est bas sur tous les hommes, et non plus sur lÕhomme
mythique, lÕhomme providentiel ou lÕhomme dÕtat.
La philosophie politique est ainsi aujourdÕhui, base sur
le temps et histoire, transcend par le langage, dmultipliant la vrit et ses
possibilits, sparant la Raison et la rationalit, un point o la draison
et lÕinversion sont peut-tre les clefs du systme. Ē Une histoire, comme lÕa dit Foucault, qui ne
serait pas celle de ce quÕil peut y avoir de vrai dans les connaissances ;
mais une analyse des jeux de vrits, des jeux du vrai et du faux travers
lesquels lÕtre se constitue historiquement comme exprience Č (Michel Foucault, Ē Cours
du Collge de France du 6 fvrier 1982 Č). LÕhistoire reconduite la vrit et au sujet,
renforce le propos, le souligne et le surligne, le dpasse et le traverse, le
texte, la dialectique, lÕanalyse se confondent au rel, au pouvoir, au point de
devenir lÕenjeu majeur de toutes les forces de domination[143].
Les thmes du pouvoir que sont lÕtat, la Dmocratie, la Justice
et le Droit sont pris dans un temps de dconstruction de leur champ pour devoir
se dfaire et se refaire. LÕtat est abandonn son sort de catharsis sociale
et conomique, le Lviathan nÕtant plus fait que de ses sparations
mythologiques et relles, au point de se dmultiplier selon des modles
dÕentropie indit en ce domaine. La Dmocratie est otage de lÕordre dogmatique
prexistant du pouvoir de classe, du pouvoir marchand et financier, qui retient
son dveloppement et son achvement par la recherche du mouvement politique
permanent. Le Droit est relatif, tant il se conoit exclusivement comme une
mmoire, et non comme un moyen dÕaccs aux mdiations sociales et politiques.
Enfin, la justice est absente du discours politique, et du discours
philosophique, il ne reste quÕune philosophie politique rare, celle de Ngri,
de Hardt, dÕAgamben, notamment, qui montre lÕunique ontologie politique propre
une socit dveloppe, autrement que par sa force, sa puissance commander
ou produire.
Je suis convaincu que nous nous confrontons aux ralits
dÕun fascisme, qui nÕest pas symbolique ou soft, mais bien restructur sur les
nouveaux formats de nos temps hypermoderne. Le fascisme ne peut tre que dÕtat, pas
exclusivement parce quÕil est ramen lÕtat larvaire de groupuscules hors de
celui-ci, quÕil ne peut tre quÕinconscient et gnralis par le jeux complexe
des subjections, quÕinstrumentalis dans des discours dÕtat, dans des macro et
des micro histoires, qui sont autant dÕchos leurs barbaries. LÕUrstaat deleuzien rapparat, le Morgoth sÕest diffus, sÕest rendu
multiple jusquÕ lÕextrme capillarit, jusquÕ lÕhomme, jusquÕ son fort
intrieur, jusquÕ son discours, jusquÕ lÕensemble du discours universalis
dÕalination et de domination, devenant le plus grand rhizome, le plus grand
lien unissant les hommes (notre temps est heideggrien, et je le regrette
profondment, car il est fait de vide, dÕennui, dÕangoisse dans lÕespace libre
et ouvert laiss par chaque histoire humaine[144]).
Sous la machine industrieuse de lÕexploitation gnrale du monde, recouvert des
mots en suspension que sont la dmocratie et les droits de lÕhomme, se noue
milles histoires qui sont aussi le lien de lÕhistoire : chaque homme est
dsormais porteur du virus structurel de lÕconomie politique mondiale ;
chaque homme est dsormais lÕinfime mais ncessaire rouage de la fabrique
anthropophagique universelle. Je repense souvent au mythe ancien du Catoblpas, de cet animal lgendaire qui
devait se dvorer pour survivre[145]. Cette figuration se transpose
notre temps par les luttes intergnrationnelles. LÕennemi de lÕoccident est
tellement introuvable dans un univers connu, que lÕennemi ne peut plus tre que
soi, que sa descendance. LÕantismitisme relevait dj de cette dmarche, de combattre
lÕidentique et simultanment le diffrent, de celui qui se cache dans la
communaut pour la menacer. La socit de lÕaprs guerre se constitue ainsi sur
les mmes schmes et prsente une folie encore accrue puisque lÕennemi
ncessaire toute mene politique contemporaine devient lÕenfant. De lÕenfant
tyran lÕenfant martyr[146], lÕoccident, orphelin de toute
opposition idologique, isol face un monde oppress et repouss jusquÕ sa
limite, se retourne contre lui-mme, contre son futur, pour se nier jusquÕ
lÕextrme.
Cruelle illusion encore pour un homme, un sujet pensant,
qui passe aussi efficacement ct de lui-mme. LÕarrachement des structures
de commandement conomique, religieux, tatique ne changera pas
fondamentalement la dialectique rechercher, sur le sort rserver ceux qui
auront subi aussi longtemps ce lavage de cerveaux gnralis en Ē Occident Č,
comme en Ē Orient Č. Le fascisme est universel. Il est total parce
que gnral, il est totalitaire parce quÕintime, parce quÕinvisible,
translucide, grable et dirigeable de chacun des promontoires individuels que
sont les hommes du XXIe sicle. Politique de rgulation des
naissances, eugnisme pr et post nazi (notamment aux EUA), slections sociale
et conomique, transformation de la linguistique politique par glissement
opratoire des mots, tels des stratgies dÕun langage nouveau ;
intervention dans le champ de lÕespace public dÕun ordre biologique constituant
et instituant ; dmultiplication de lÕusage politique des mdias[147] ;
influence considrable sur lÕart, lÕarchitecture, les habitus les plus ordinaires, etc., le
fascisme dtruit dans sa symbolique, comme dans la chair enfin putride de ses
bourreaux, nÕa jamais vritablement disparu (Sous le regard critique et
salvateur des artistes, encore publi rcemment sous la plume de lÕcrivain
tchque Patrick Ourednik, Ē Europeana Š Une histoire brve du XXe
sicle Č (Allia, 2004), o lÕauteur par un flot
continu et ininterrompu dÕinformations historiques, restitue la reproduction
archologique du mal, et sa rediffusion rhizomique, en prenant comme rfrence
historique et narrative, lÕextermination de masse de plus de cinq millions de personnes. On pourrait
galement cit le cas dÕun collectif dÕartistes plasticiens new-yorkais
dfrayant la chronique lors dÕune exposition sur lÕĒ holocauste Č, en
2003, qui prsentait une boite de playmobil Ē Auschwitz Č). Le Ē Reich
de mille ans Č
hitlrien saurait-il toujours tre en lice, dans le politique comme dans
lÕtat, dans lÕconomie comme dans la finance, dans la socit comme dans
lÕhomme ?
Pour paraphraser la formule de Fernand Braudel,
tablissant la dialectique essentielle du capitalisme et de lÕtat, Le
fascisme ne triomphe que lorsquÕil sÕidentifie avec lÕtat, lorsquÕil est
lÕtat. Dans le
mouvement global des fascismes du sicle en cours, cette idologie du mouvement
et du masque,
saupoudre sur les hommes comme une fatale naturalit, dont on ne connat les
effets quÕune fois le drame survenu, impose le maintient du commandement
tatique, tout en le relativisant, tout en le ramenant lÕindividualit, pour
faire que la police ne soit plus une institution, mais pour que tout individu
soit une reprsentation policire ; cette police qui Ē devient hallucinante et spectrale parce
quÕelle hante tout. Elle est partout, mme l o elle nÕest pas Č[148] (Ē Ė
l'intrieur d'une telle ontologie, d'un tel royaume de l'ętre, les personnages,
comme nous-mmes, sont dans un demi-sommeil onirique en attendant la voix qui
va les rveiller. (É) Ce que nous ferons alors, pour beaucoup d'entre nous,
c'est de mettre bas les masques que nous avons ports jusqu'ici - les masques
que nous avions pris pour la ralit. Les masques qui, prcisment selon leur
fonction, ont russi tromper tout le monde. Nous avons t comme autant de
Palmer Eldritch, marchant travers les brumes glaciales et le brouillard d'un
crpuscule d'hiver, mais bientt nous mergerons de sous le masque de guerre et
de fer pour rvler notre vrai visage. Č[149]).
CÕest l le grand pch dÕorgueil des amricains, cÕest dj leur faute
originelle (avec bien entendu le fait quÕils ne peuvent avoir aucun contrle
biologique rel sur leur population. Les Etats-Unis sont devenus
dmographiquement un chantillon cosmopolite, dÕ peu prs 4%, de la plante),
car le dmontage de lÕtat, dans sa structure notamment, montre
lÕaffaiblissement global de lÕtat fdral, seul modle pourtant de
lÕinstitution contemporaine.
Bref dictionnaire de termes
savants
- pistmologie : tude critique des sciences,
destine dterminer leur origine logique, leur valeur et leur porte
- paradigme : para -> auprs de ; deigma : indication, modle exemple ;
(mot-type qui est donn comme modle pour une dclinaison ou une conjugaison) ;
terme utilis par Kuhn ds 1962.
paradigme analogique : inspirs du
vitalisme bergsonien
paradigme explicatif ou
classificatoire (Parsons)
paradigme s'appuyant sur des
postulats (Durkheim)
- schme (anticipation formelle
structurante --> rle de l'imagination dans la prvalence de la forme - cf.
Gestalt-) ;
(Faon de ragir susceptible de gnralisation, cf. Piaget, 1936).
- phnomnologie chez les modernes, notamment pour
Husserl, mthode de retour aux choses elles-mmes par des descriptions ;
concept scientifique dtourn par les existentialistes.
- eidtique : eidos -> forme ou archtype (terme
cre par J¾nesch) en 1920 pour qualifier la possibilit de projeter volont
au dehors, des choses imaginaires tels que les souvenirs. Partie de la
phnomnologie transcendantale traitant des problmes des essences (Husserl).
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- Ludwig Wittgenstein Ē Tractatus
logico-philosophicus Č, Tel, bibliothque de philosophie, Gallimard, trad.
Gilles Gaston-Granger, 1993.
[1]Ds la premire phrase, il faut le
prciser, il vous faudra comprendre lÕusage des notes de bas de page, autrement
que comme un systme de rfrences ou un domaine de rajouts, dÕexplications ou
de notions subalternes. La note de bas de page figure dans ce texte, ce
soubassement gnalogique de la pense dmontre et affirme ; non pas
simplement comme un accompagnement didactique, pdagogique ou acadmique, mais
bien comme une matrialit du texte, comme des fondations anthropologique,
originaire, historique, en mouvement, qui dveloppent et fondent ma pense. La
note est ainsi une
trace, une marque pistmologique, puisquÕelle montre les profondeurs du
discours, ses circonvolutions, ses sinuosits, comme un graphique mouvant en
trois dimensions. Elle est aussi un hospice, dans un texte o le propos doit
correspondre un format, une police prcise, parce quÕelle est un espace de libert, un
espace dÕaveu.
[2]Pierre Clastres, Ē La socit
contre lÕtat Č, d. de Minuit, 1974, p. 134.
[3]JÕutiliserai le terme dialectique,
et cÕest l me semble-t-il un prliminaire obligatoire, dans son sens oubli. Au sens des grecs, dÕAristote et
dÕHraclite, au sens o la dialectique nÕest pas simplement la mcanique
conceptuelle qui permet de comprendre le mouvement de la pense, le mouvement
de lÕhistoire, mais est bien ce qui permet de comprendre, la mcanique de la
pense, par la production de sparation et par la production du langage. Ē Pour
que le mouvement soit, il faut la dialectique qui suppose la sparation :
lÕaffirmation, la ngation, la ngation de la ngation, autant de moments
ncessaires la construction dÕun processus et la gnalogie dÕun mouvement.
La sparation se montre aux articulations : entre le premier et le
deuxime temps, entre le deuxime et le troisime, entre les suivants. Pour que
soit lÕUn, le Multiple est ncessaire. Pour lÕavnement du Mme, il faut de
lÕautre. Č Michel
Onfray, piphanies de la sparation, Galile, 2004, p. 65.
Ou alors dans sa version freudo-chrtienne, Ē La
dialectique de la sparation fondatrice du sujet, cÕest--dire le mouvement des
transpositions de lÕoriginaire Š le lieu de lÕabsolu indisponible-, alors quÕ
lÕinaugural du parcours de la vie le sujet nÕest encore, si lÕon peut dire,
quÕen puissance. LÕaccs a lÕinstance de la reprsentation ouvre au dpassement
toujours prcaire, de cette opacit premire, de cette non sparation initiale
Š (É) Le travail subjectif de sparation est un mouvement dÕaller/retour
avec le lieu de lÕblouissement (socialement reprable comme lÕinstance du
Tiers garant des images, le lieu du Totem). Č Pierre Legendre, De la socit
comme un texte. Linaments dÕune anthropologie dogmatique, Fayard, 2001, p. 128.
[4]J.-F. Lyotard, Ē La condition
postmoderne Č, ditions de Minuit, 1977 ; B. Latour, Ē La
fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil dÕtat Č, La Dcouverte, Armillaire, 2002
[5]Cf. Moses I. Finley,
Ē LÕinvention de la politique Č, Cambridge, 1983, Flammarion, 1985.
P. Veyne, Ē LÕEmpire grco-romain Č, Seuil, Ē Des
travaux Č, 2005.
[6]J. Bollack, H. Wismann,
Ē Hraclite ou la sparation Č, Prface la nouvelle dition (1995),
d. de Minuit, Ē Le sens commun Č, 2001.
[7]Ce que les amricains ont rendu
la sociologie, comme exprience individuelle et sociale. Le reborn, ce moment de la vie dÕun homme o
il se trouve un nouveau destin, la plupart du temps aprs avoir rencontr dieu,
retrouv son pouse ou poux, et/ou arrt lÕalcool et les stupfiants.
[8]N. lias, Ē Engagement et
distanciation Š Contribution la sociologie de la connaissance Č, op.
cit., p. 134.
[9]M. Foucault, Les mots et les
choses, op.
cit., p. 86 et s.
[10]H. Broch, Ē Logique dÕun monde
en ruine. Six essais philosophiques Č, d. de lÕclat, Ē philosophie
imaginaire Č, p. 37. De la Renaissance, il nous dit : Ē On
peut dfendre la thse selon laquelle un tel bouleversement ne sÕaccomplit
jamais que lorsque la pense se heurte aux limites de son infinit. Tout
systme de pense et de valeur qui se trouve subordonn une valeur suprme
est un systme dialectique et tente dÕaccder lÕinfini au moyen de
dductions. Cette tentative est constamment renouvele, bien quÕelle ne dispose
que de moyens finis, qui dans lÕinfini peuvent seulement ramener la pense vers
ses antinomies. Č,
op. cit., p.
35.
[11]Notre transformation depuis
lÕorigine hellnique est dans le cycle de la vie biosociale. La prhistoire est
la gense de la vie humaine, ainsi que son dveloppement dans diffrents
espaces et matires, elle se dtermine comme lÕorigine du monde connu des
hommes. Cette prhistoire est aussi le cycle premier de la vie depuis que notre
connaissance permet de lÕtablir, soit comme une pr-histoire nous mme. De ce point de vue, elle est un
moment de gestation, elle incarne le cycle de vie du corps humain en gestation,
le cycle des neufs mois, juste avant son apparition.
[12]Philippe Sgur nous en donne une
belle dmonstration en nous montrant la modernit politique et ainsi juridique
de lÕAntiquit, tout en nous prsentant, par effet de rversibilit, de sa
proposition complte, que lÕinverse vaux ; soit que notre temps est dvor
par des passions que rprouvent lÕentendement et la sagesse (la seule tude de
lÕindex thmatique fixe ce reflet ngatif). P. Sgur, Introduction la
pense politique classique, Ellipses, 2004.
[13]Sur ce paradigme des ruines,
au-del de la dimension nietzschenne et heideggrienne vidente, je me
rfrerais celle dÕHermann Broch, qui nÕest pas que lÕun des
Ē inventeurs du roman Č, mais aussi lÕun des matres penser dÕune
philosophie de lÕhistoire, proche des interrogations benjamiennes, qui
dfinissaient cette approche comme une conception mystique de lÕhistoire qui
sÕaffirme par prdicat comme suivant : Ē Tout systme de valeurs
auquel lÕhomme sÕest soumis, au quelle lÕhumanit sÕest soumise, est la fois
une rflexion thorique qui prtend lÕabsoluit, et un fait empirique, par
consquent Ē historique Č, sujet toutes les insuffisances de
lÕempirique, expos au changement et la disparition. Č
[14]F. Fukuyama, La fin de
lÕhistoire et le dernier homme, trad. D.-A. Canal, Flammarion, 1994.
[15]Sur la dcadence de lÕantiquit
tardive, on a beaucoup glos, rduit, ramener une situation, un cadre
anthropo-sociologique des formules et des images plus hollywoodienne
quÕhistoriquement valides : Peter Brown a su montrer par une formule de
dconstruction trs adapte son tude, que la dcadence tait une
construction postrieure lÕeffondrement, et que ce lÕon nomme dcadence
romaine est une qualification en rapport avec la hantise de la fin quÕimposa
lÕeffondrement de Rome. Cf. P. Brown, Ē Gense de lÕAntiquit tardive Č,
Gallimard, 1983.
[16]Michel Onfray affirme justement que
Ē lÕtymologie le rappelle aux oublieux : la sparation volue
phontiquement vers le sevrage. Les racines travaillent pareillement les
origines. Mettre part, ranger, classer, produire de lÕordre, construire une
diffrence, diviser dans lÕespace, activer un processus chimique qui dissocie
et carter du sein de la mre la bouche avide de lÕenfant pour la premire fois
distinct de celle qui lÕa conu, port Š voil de semblables vnements
ontologiques. La sparation comme sevrage, dÕo lÕimpossible sparation comme
succion. Č M.
Onfray, piphanies de la sparation, Galile, 2004, p. 21.
[17]A. Artaud, Le thtre et son
double, Mtamorphoses (1938), Folio, essais, 1985, p.
14.
[18]D. Sistach, Ē Le XXe
sicle nÕa pas eu lieu Č, www.frontieres.com.
[19]Le cinma, lÕimage mouvement, comme aimez le dire Gilles
Deleuze, est un art total. CÕest un art total qui regroupe, re-synthtise tous
les autres arts. Comme de dit Alain Badiou, cÕest un roman, sans roman, une
musique, sans musique, des peintures et de la photographie, sans peinture et
sans photographe, etc. ; le cinma accomplit la pratique artistique en
accumulant, au sens de lÕaccumulation du capital, toutes les formes dÕexpression,
et simultanment, en les supprimant. Car ce que le septime art totalise dans la pratique, il
le supprime dans sa reprsentation autonome, il lÕefface dans la reprsentation
suranne des autres formes dÕexpression ; le cinma supprime ou rinvente
le musicien (je citerais Howard Shore et Angelo Badalamenti), il supprime et
rinvente le photographe et le peintre (P. T. Anderson), etc.
Cette forme dÕart total nous montre un
accomplissement esthtique rare, parce quÕil est lÕachvement dÕun processus
complexe de lÕhistoire de lÕart contemporain, indissociable de lÕensemble
historique de lÕconomie politique. Le cinma est une accumulation historique
de ce qui (sÕ)est pass, montr, dmontr, dmy(s)tifier puis remy(s)tifier,
pour se dterminer dans notre temps, comme une accumulation de pratiques
artistiques, comme une totalisation esthtique dÕune histoire.
Le cinma occidental nÕest pas que la monstration de
lÕimage, qui revient plus justement lÕinformation tlvise, mais consiste
surtout dans lÕexploration de lÕindicible, de lÕinracontable, dÕune histoire en
mouvement. Si le cinma sert les sciences historiques ou politiques, cÕest pour
pouvoir matrialiser ce qui relve du mythe ou du concept, de lÕindiscernable
histoire dÕun temps prsent ou dÕun temps perdu. Mais galement, le cinma est
introspectif puisque il se donne lui-mme comme terrain son propre terrain (je
pense bien entendu Ē La nuit amricaine Č de Franois
Truffaut) ; ou encore, il fait office de lieu mme de construction, et
ainsi de dconstruction, en devenant un facteur de mmorisation (le cinma est
alors une performation de lÕhistoire des hommes, et la meilleure expression consiste
dans lÕensemble des films amricains faits sur la guerre du Vietnam, qui
constitue une part des signes mmoriss sur lÕhistoire occidentale coloniale et
guerrire [F. F. Coppola a fait, me semble-t-il, une synthse historique des
conflits vietnamiens,
dans la version redux dÕApocalypse now (2003), en dmontrant la dcadence du conflit dans les
diffrentes rencontres que fait le commando qui remonte le fleuve. Leur
rencontre, notamment, avec une colonie franaise oublie montre
structurellement, dans lÕhistoire du film, comme dans lÕhistoire du conflit, ce
quÕ t lÕeffacement des mmoires du conflit indochinois]) ; lÕart du
montage devenant le lieu mme de tous les possibles, de toutes les histoires,
montrables, montables, dmontables, et ainsi toutes les angoisses sur le temps et son
cycle (voir notamment, Lost Highway de D. Lynch, Magnolia de P. M. Anderson et Adaptation de S. Jones). LÕemprise du cinma
mondial dans lÕesthtisation du monde, comme une grammaire nouvelle dont le
sens est lÕorganisation des images dans un mouvement, montre le cinma dans son
optimum, comme un art premier, qui fixe et dfait les histoires qui sont les
ntres, comme un art dconstructible et dconstruit, comme une histoire
dconstructible et dconstruite, comme nos histoires dconstructible et
dconstruite.
[20]Pour tayer notre propos, il faut
relever en ce domaine les convergences des auteurs sur cette question. LÕhomo
historia, se
retrouve fondamentalement chez Ludwig Wittgenstein, quÕ notre poque chez
certains historiens contemporains classique. Cf. Ludwig Wittgenstein,
Ē Tractatus logico-philosophicus Č, Tel, bibliothque de philosophie,
Gallimard, trad. Gilles Gaston-Granger, 1993. Marcel Gauchet, Ē La
condition historique Č, Les essais, Stock, 2003.
[21]Jacques Derrida, Ē Spectres de
Marx Č, Galile, 1993.
[22]De lÕensemble de ces points de vue,
on ne peut omettre de signaler la prsence tutlaire de Philip K. Dick. Dans
Ē Simulacres Č, la machine remonter le temps permet une ngociation
avec les forces de l'axe dans le but de supprimer Hitler ou d'attnuer les
effets de sa folie. Dans Ē Brche dans l'espace Č, un translateur
dtraqu permet le passage dans un univers parallle, mais aussi un voyage dans
le temps. Dans Ē La Vrit avant-dernire Č, le temps s'est arrt
pour toutes les Ē fourmis Č qui travaillent sous terre ; pour elles,
la guerre est-ouest dure encore. Avec Ē å rebrousse temps Č, le temps
se replie et repart brusquement en arrire, provoquant une rgression
gnralise. Mais le point d'orgue est Ē Ubik Č, o les personnages
principaux subissent le rajeunissement ou le vieillissement acclr de leur
environnement, affranchis de toute contrainte logique, mais sous-tendus par
l'ide constante de dsintgration et de mort qui frappe tout et tous dans ce
monde chaotique. La vrit de cette incohrente entropie gnralise apparat
au hros travers un graffiti dans un urinoir : Ē Je suis vivant et
vous tes morts Č.
on peut encore cit Ē Les infinis Č (1953), Ē Reconstitution
historique Č (1954), Ē Souvenir cran Č (1959),
Ē LÕhistoire peut mettre fin toutes les histoires pour lÕanthologie
dÕHarlan Ellison, Ē Dangereuses visions Č (1968), etc. Ē Mais
le temps, en lui-mme, ne se meut pas de notre pass vers notre futur. Son axe
orthogonal le mne travers un cycle rotatoire l'intrieur duquel on
pourrait dire, par exemple, que nous Ē pdalons dans le vide Č, dans
un tat d'hibernation de notre espce tout entire qui dure depuis deux mille
de nos annes linaires. (É) Chacun, en tant qu'individu, parcourt un trop grand
nombre d'annes et peut constater sa propre usure, son propre manque de
renouvellement chaque anne, au contraire de la rcolte de mas, des bulbes de
fleurs, des racines et des arbres. Il fallait bien qu'il y ait une ide du
temps plus conforme que celle d'un temps simplement cyclique, c'est pourquoi,
contrecoeur, l'homme en vint concevoir le temps linaire, le temps
accumulatif, comme Bergson l'a montr. Dans ce modle, le temps va dans un seul
sens et on l'ajoute - ou il s'ajoute - tout, dans le cours de son
coulement Č.
Philip K. Dick, Hommes, androdes et machines, (1976) Extrait de Ē Si ce
monde vous dplat... et autres crits Č, Editions de l'clat.
[23]Stanley Kubrick montre cet tat de
fait dans son Ļuvre, 2001 lÕodysse de lÕespace (1970). Pour permettre une
transition cinmatographique entre lÕorigine de lÕhomme et son envol dans
lÕespace, Kubrick filme lÕos utilis par lÕhomme premier pour imposer son
pouvoir aux groupes, en fracassant la tte dÕun rival, puis qui sÕenvolant en
lÕair, se transforme en navette spatiale. LÕhistoire de lÕhomme concentr dans
lÕimage en mouvement, dÕun os, de ce qui est mort mais de ce qui reste matriellement
de lÕhistoire, dans une histoire de la violence. Sur Kubrick, voir le trait
magistral de Jordi Vidal, Ē Trait du combat moderne. Films et fictions de
Stanley Kubrick Č, Allia, 2005.
[24]Alain Badiou, Ē Le
sicle Č, Seuil, 2005.
[25]Walter Benjamin, Ē Critique de
la violence Č, (1921), in Īuvres I, Folio Essais, 2000, p. 213
[26]R.
Merton, Ē On the Shoulders of Giants : a Shandean Postscript Č,
Harcourt brace, 1965.
[27]Martin Heidegger, Ē ętre et
Temps Č,
Gallimard, 1986.
[28]Gabriel Tarde, Monadologie et
sociologie, Les
empcheurs de penser en rond, 1999, p. 87.
[29]Pierre Aubenque, Le problme de
lÕtre chez Aristote,
PUF, collection Quadrige, 1994, p. 36.
[30]G. Tarde, Monadologie et
sociologie, Les
empcheurs de penser en rond, 1999, p. 87.
[31]G. Tarde, Monadologie et
sociologie, op.
cit., p. 85-86.
[32]Ė ce titre, le trs grand succs
cinmatographique, Ē LÕexorciste Č (1971, W. Friedkin) ne nous rend
pas simplement compte de la fable religieuse de la possession de lÕinnocence
par le mal, mais prsente la possession comme une impossibilit de la thologie
et de la psychanalyse. La possession de Regan dfit les lois tablies de la
connaissance et prend une dimension dÕuniversalit par sa singularit. La
symbolique de la possession devient alors, au cĻur mme des annes de la
modernit une figure reprsentative de cette modernit.
[33]Ludwig Wittgenstein
Ē Tractatus logico-philosophicus Č, NRF, bibliothque de philosophie,
Gallimard, trad. Gilles Gaston-Granger, 1993.
[34]Cf. Edgar Morin, Ē Introduction
la pense complexe Č, ESF, 1990.
[35]Ludwig Wittgenstein
Ē Investigations philosophiques Č, 1961, Gallimard, 1986.
[36]Ernst Cassirer, Ē La philosophie
des formes symboliques Č, dition de minuit, 1986.
[37]Norbert lias, Ē La socit
des individus Č, avant-propos de R. Chartier, Fayard, 1991.
[38]Richard Sennett, Ē Les
tyrannies de lÕintimit Č, Seuil, 1995.
[39]Norbert lias, Ē La socit
des individus Č, op. cit., p. 47.
[40]Pierre Legendre, Ē De la
socit comme un texte. Linaments dÕune anthropologie dogmatique Č, op.
cit., p. 18-19.
[41]Norbert Panofsky, Ē La
perspective comme forme symbolique Č, d. de Minuit, 1975, p. 122.
[42]R. Maggiori, La rencontre dÕautrui, in Philosopher. Tome 1, Fayard, nouvelle d. 2000, p. 86.
[43]Walter Benjamin, Critique de la violence, in Ē Īuvres Č I, Folio Essais, 2000, p. 213.
[44]Jacques Derrida, Ē Force de la
loi. Le fondement mystique de lÕautorit Č, Galile, 1994, p. 112.
[45]G. W. F. Hegel, Ē Principes de
la philosophie du droit Č, op. cit., p. 334.
[46]Reproduction dans lÕhistoire de la
musique dÕun phnomne identique, dans la relation du jazz au rock, du passage
ternaire rythmique, au rythme binaire, dans la simplification consumriste,
lÕapurement productiviste de la musique historique afro-amricaine.
[47]J.L. Borges, Une nouvelle
rfutation du temps,
in Ē Labyrinthes Č,
Gallimard, 1953.
[48]Wilhem Reich, Ē Psychologie de
masse du fascisme Č (1933), Petite Bibliothque Payot, 2001. Eugne
Enriquez, Ē De la horde LÕtat. Essai de psychanalyse du lien
social Č, NRF, Gallimard, 1983.
[49]Ē J'ai ragi contre une
tentation intellectuelle, trs prsente en Amrique, mais aussi en France, qui
travaille effacer les limites entre fiction et vrit en rabattant tout sur
la fiction. D'abord, la fiction - c'est d'ailleurs une ide trs
banale - a un objectif de vrit. Mais je crois aussi - et c'est
moins banal - qu'il y a eu historiquement une comptition entre fiction et
histoire : un combat pour la reprsentation de la ralit entre les
romanciers et les historiens. Balzac dit de lui qu'il est l'historien du XIXe
sicle. Mais Marc Bloch dans Les Rois thaumaturges, ou Lefebvre dans La Grande
Peur, dmystifient des fictions - le pouvoir attribu aux rois de
France et d'Angleterre de gurir les scrofuleux pour le premier ; les
bandes de brigands au service d'un prtendu Ē complot
aristocratique Č pour le second. Et c'est la dmystification de ces
fictions qui permet d'en mesurer justement la signification historique,
l'efficacit symbolique, etc. Dans cette comptition, il y a des apports d'une
discipline l'autre. Les romanciers font des dcouvertes techniques que les
historiens peuvent utiliser comme des dispositifs cognitifs. Je crois que Marc
Bloch apprend de Flaubert l'ide de la narration rebours, qu'il emploie dans
Caractres originaux de l'histoire rurale franaise. Il y a donc un dfi
rciproque, un va-et-vient entre fiction et histoire. Č Cf., Philippe Mangeot, Ē De prs,
de loin Č, article et interview sur et de Carlo Ginzburg,
http//vacarme.eu.org.
[50]Le romantisme est au cĻur de la
problmatique des deux sicles derniers, dans le sens o comme le relve Alain
Badiou dans son dernier opus, le XIXme sicle nÕa t que la mise
en ide, de ce que le XXme a vu se raliser (Alain Badiou,
Ē Le sicle Č, Seuil, 2005). Le romantisme, cet acte de modernit
esthtique et intellectuel du XIXme sicle, est ainsi transpos
tout au long du XXme sicle. A titre de modle, plus encore que
dÕexemple, lÕhistoire du rock est une reprsentation prototypique de
lÕexaltation abme
dÕun romantisme mercantile et/ou nihiliste. La mythologie sex, drugs and
rockÕnÕroll manifeste un des ultimes avatars du romantisme littraire du XIXme
sicle. On peut prtendre que le XXIme sicle devra imprativement
sortir de lÕimpasse romantique, tout en luttant simultanment contre la
tentation de la concrtude (cÕest l ce que reprsente la difficult majeure
des musiques pop et rock de ce dbut de sicle, en ralisant les prophties
littraires sur la musisue de Lester Bangs. Cf. L. Bangs, Ē Psychotic
Reactions et autres carburateurs flingus, Tristram Č 1996 et Ē Ftes
sanglantes et mauvais got ČTristram, 2005).
[51] A. Gramsci, Ē Carnets de
prison Č,
Ē Passato e
presenteČ),
Einaudi, Turin, 1966, p. 200.
[52] A. Gramsci, Ē Carnets de
prison Č, (Ē Il
materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), Einaudi, Turin, 1954, p. 142.
[53]F. Lombardi, Ē La pdagogie
marxiste dÕAntonio Gramsci Č, Pense, Privat, 1971, p. 38.
[54]A. Gramsci, Carnets de prison, (Ē Il materialismo storico e la
filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 35.
[55]A. Gramsci, Carnets de prison, (Ē Il materialismo storico e la
filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 31.
[56]A. Gramsci, Ē Carnets de prison Č,
(Ē Il
materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce Č), op. cit., p. 9.
[57]A lÕinstar des auteurs qui lÕon
prcd jusque l, Hannah Arendt incarne lÕintellectuelle type du XXme
sicle : femme, singulire, radicale, courageuse.
[58]Jrgen Habermas, LÕespace
public. Archologie de la publicit comme dimension constitutive de la socit
bourgeoise, Payot,
nouvelle dition, 2003.
[59]Jrgen Habermas, Ē Thorie de
lÕagir communicationnel Č, Fayard, nouvelle dition, 2001.
[60]Emmanuel Kant, Ē Thorie et pratique Č,
Vrin, 1967, sect. II., p. 29.
[61]Jrgen Habermas, Ē Droit et
dmocratie. Entre
faits et normes Č, Gallimard, 1997, p. 151.
[62]Jrgen Habermas, Ē Droit et
dmocratie. Entre
faits et normes Č, Gallimard, 1997, p. 151.
[63]Carl Schmitt, Thorie de la
Constitution,
P.U.F., 1993.
[64]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, Les ditions de
Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle dition augmente, 1999.
Ē Mille plateaux, Capitalisme et schizophrnie Č, Les ditions de Minuit,
collection Ē Critique ČČ, 1980.
[65]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, Les ditions de
Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle dition augmente, 1999, p. 265.
[66]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, op. cit, p. 28.
[67]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, op. cit, pp. 49-50.
[68]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, op. cit, p. 261.
[69]Gilbert Simondon, Ē Du monde dÕexistence des objets
techniques Č, Aubier, 1969, pp. 25-49.
[70]Mireille Buydens, Pour une
approche deleuzienne dÕInternet, in Ē LÕimage : Deleuze, Foucault, Lyotard Č, Vrin, 1997,
pp. 56-57.
[71]Le dsir, dont Foucault et Deleuze
disaient quÕil sÕagissait du seul vrai dbat philosophique originaire et
contemporain, oppose deux tendances, que je qualifierais de post freudienne [G.
Deleuze, Dsir et plaisir, in Magazine Littraire, n” 325, octobre 1994, pp. 59-65 (reprise de
correspondances de 1977, entre Deleuze et Foucault)]. Le dsir est partialit,
multiplicit, cÕest--dire, comme lÕaffirme Deleuze et Guattari, Ē seule
la catgorie de la multiplicit,
employe comme substantif et dpassant le multiple non moins que lÕUn,
dpassant la relation prdicative de lÕUn et du multiple : la production dsirante est
multiplicit pure, cÕest--dire affirmation irrductible lÕunit Č (Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, op. cit., p. 50.) Pour Foucault,
lÕinverse, le dsir originaire est dilu dans la transformation historique de
lÕhomme qui connat ce dsir, ses effets, et les contrle, dans un cadre
institu o le contrle du dsir est un contrle politique. Violence et dsir
sont consubstantiels dans la pense foucaldienne. Le dsir est le moteur du
soi, et reprsente cet effet une multiplicit de soi, qui rend lÕunit
improbable. Deleuze propose un dpassement du dsir hglien, selon un procd
qui me semble tout spinozien, que Foucault nÕacceptera jamais fondamentalement.
[72]Ulrick Beck, Ē La socit du
risque. Sur la voie dÕune autre modernit Č, Flammarion, coll.
Ē Champs Č, trad. L. Bernardi, Prface de B. Latour, 2001.
[73]Alain Badiou, Ē Le
sicle Č, Seuil, 2005.
[74]Terry Gilliam,
avec Ē Brazil Č et Ē LÕarme des 12 singes Č dveloppe
lÕide dÕun monde individualis et solitaire, o lÕUrstaat est totalitaire au
nom de lÕirresponsabilit fabrique des individus. Dans Ē Brazil Č
(1985), la seule possibilit de la lutte est dans lÕimaginaire et le rve du
Ē hros Č, dont on apprend, dans un dsenchantement fracassant, la
fin de lÕhistoire, quÕil est prisonnier de lui-mme, tortur, manipul, avec
pour seule libert, ces rves oniriques de librateurs lgendaires, camps dans
une armure dore, symbolise et sanctifie tel un saint ail, mais rduit
rien dans son supplice, si ce nÕest lÕattente de la mort. Dans Ē LÕarme
des 12 singes Č (1995), lÕex Monty Python, reprenant le film tnbreux de
Chris Marker, Ē La jete Č (1964), propose un cinma tout aussi noir
et sans espoir, dont on sent immdiatement lÕinfluence dterminante de Philip
K. Dick. LÕintrigue ne se constitue pas dans le pige du soi, mais se dveloppe
dans une histoire rompue, brise par les manipulations dÕune socit futuriste
dcime par la maladie, qui manipule le temps pour inverser lÕhistoire. Les
alas du voyage dans le temps font que Bruce Willis se retrouve confront
notre socit contemporaine, et est projet de lÕunivers dcim de la terre
contrle par une caste, reprsentant lÕultime contraction de lÕUrstaat, vers
les hpitaux psychiatriques de la fin du XXe sicle. Rvlant Brad
Pitt, un dangereux maniaque, lÕobjet de son voyage, il croit lancer le
processus historique quÕil est sens combattre. En marge des Ē Douze singes Č,
groupe cologiste cr par Brad Pitt qui nÕont pour seul projet que de librer
les animaux dans New York, le hasard frappe sous les traits dÕun personnage
rcurent qui condamne la plante, tout au moins en apparence. LÕhistoire nÕest
plus stoppe, elle est produite par les manipulateurs du temps. Le vieux mythe
du contrle du temps, que Welles avait invent, est ainsi rcupr pour
confronter lÕUrstaat futuriste, o le contrle de lÕindividu est total,
lÕUrstaat prsent, o le contrle est lgitime dans une socit psychiatrique,
mais o lÕalin nÕest pas celui que lÕon croit. Pour reprendre la formule de
Philippe Corcuff, Ē peut-tre
ne sommes-nous, dÕun point de vue sociologique, que le produit historique de
strates Ē dÕapparences Č lies nos diverses socialisations Č (Philippe
Corcuff, Ē La socit de verre. Pour une thique de la fragilit Č,
Armand Colin, 2002, p. 43.).
[75]Regardez la longue histoire du XIXe
sicle, et vous constaterez, que le prtendu tat Ē libral Č
pourchassez dj les ouvriers lancs sur le trimard, rejets de la socit
conomique, traqus par la socit politique. Pour illustrer ce propos, il faut
voir et revoir le film de Bertrand Tavernier, Ē Le juge et
lÕassassin Č (1974), ou le juge (Philippe Noiret), petit bourgeois des
campagnes, se sert dÕun assassin (Michel Galabru), anarchiste mystique dment,
pour sa promotion personnelle, soutenue par une presse et une socit avide de
sensationnel, de sang et de peur, dont lÕobjet collectif est dÕtre inquit
puis rassur par lÕordre socio tatique qui les oppresse ; une monstration
de la lutte des classes radicales.
[76]G. Agamben, Ē tat
dÕexception, Homo Sacer II, 1 Č, Le Seuil, 2003.
[77]M. Foucault, Ē La naissance de
la biopolitique Č, Ē Cours au Collge de France. 1978/1979 Č, coll.
Hautes tudes, Seuil/Gallimard, 2004, p. 323.
[78]M. Foucault, Ē La naissance de
la biopolitique Č, op.cit., p. 323.
[79]Le principe hglien de Burgerliche
Gesellschaft ne
peut se traduire que par lÕexpression socit bourgeoise. Voir sur cette
question, J. Agnoli, Ueberlegungen zum burgerlichen staat, Klaus Wagenbach, Berlin, 1975, p.
60-111. Voir galement, Antonio Ngri et Michael Hardt, Multitudes. Guerres
et dmocraties lÕge de lÕEmpire, La Dcouverte, 2004, p. 299.
[80]M. Foucault, Ē La naissance de
la biopolitique Č, op.cit., p. 327.
[81]Michel Foucault, Ē La
naissance de la biopolitique Č, op.cit., p. 327.
[82]Marcel Mauss, Ē Sociologie et
anthropologie Č, PUF, Ē Quadrige Č, 2001.
[83]Jacques Derrida, Ē Force de la
loi Č, Galile, 1994.
[84]Jacques Derrida, Ē Spectre de
Marx Č, Galile, 1993.
[85]Bruno Latour, Ē La fabrique du
droit. Une ethnographie du Conseil dÕtat Č, op. cit., p. 181.
[86]Jacques Derrida, Ē Force de la
loi. Le fondement mystique de lÕautorit Č, op. cit., p. 14-15. Ce qui fait souffrir le
plus, cÕest forcment que la dconstruction nÕoffre aucun points de repres
chronologiques, historiques notamment, pour rassurer le lecteur, pour que
celui-ci, ne puisse par son incomprhension fournir un refus catgorique ce
qui lui semble complexe et dsordonn. Or cette complexit de la
dconstruction, lÕtude de ces dissminations du langage, nÕest que le reflet
de ce quÕelle dcrit. Ce qui fait souffrir ce nÕest pas la dconstruction qui
lÕimpose, cÕest ce qui est dconstruit qui est lÕorigine le plus souvent de la
souffrance. Pour soulager votre souffrance, vous pouvez lire, coordonn par
Charles Ramond, Ē Derrida : la dconstruction Č, PUF,
Ē Dbats philosophiques Č, 2005.
[87]J. Derrida, Ē Psych,
Inventions de lÕautre Č, Galile, 1987, pp. 26-27.
[88]Les arts et les formes dÕexpression
esthtiques sont aujourdÕhui dconstruits. LÕimage que nous avons de
lÕAntiquit, pour la majorit dÕentre nous, relve de la production imaginaire
des pplums dÕHollywood et de Cinecitta, ou du regard savant sur les objets inertes de
lÕarchologie, soit de deux riens qui font un savoir mythologique. LÕimage que donne le cinma de
lÕAntiquit est dj une vision des ruines, de la fin dcale historiquement,
puisque les dcors de Rome sont dj en ruine (Cf. La chute de lÕempire romain. Par Anthony Man, 1961).
La musique contemporaine occidentale, elle, nÕest
pas dconstruite historiquement, comme une msinterprtation de lÕhistoire,
mais techniquement,
comme une interprtation des savoirs, puisquÕelle se compose pour grande partie
par chantillonnage, par lÕusage de banque de donnes, par usage de
lÕinformation esthtique ; mais aussi, par dconstruction du rythme du corps, et par
construction de voix humaines (les mlodies, les ritournelles, etc.) et des
voix machiniques qui peuvent tre galement des rythmes. (Richard D. James, Aphex
Twin, WarpCD43,
1996. Aphex Twin, notamment dans le titre Ē Isopropaponal Č [The Aphex Twin - ŅclassicsÓ,
1992, rd. R&S records, 1995], montre une telle facette : la musique est un
mouvement du corps qui parle ; la machine rythmique est le mouvement complexe des
quatre membres, du batteur en fait, qui se dcompose selon des assemblages
corporels trs complexes interprter pour les danseurs ; alors que la
ritournelle est la voix, ou bien que le rythme lÕemporte et devient lui-mme
une voix mcanique, simpliste, qui faonne pour partie lÕesthtisme du
mouvement musical minimaliste ; il ne reste souvent que la structure
minimale de deux voix,
une voix machinique et simpliste, et une mlodie obsessionnelle, qui rappelle
une histoire).
CÕest en ce sens o lÕon dcouvre la musique, ce code et ce conducteur de
codes, comme tant elle-mme une instance performative, une grammaire possible
du monde, constructible et dconstructible.
Le cinaste mexicain Alejandro Gonzalez Innarattu (Ē 21
grammes Č,
2003) montre une esquisse parfaite de ceci en traitant la question de la mort,
comme de la disparition dÕune part de soi (lÕide de dpart est que chaque tre
perdrait vingt et un gramme lors du passage de la vie la mort). Pour pouvoir
ainsi parler de la mort, il dconstruit la vie des protagonistes, par effet
du montage (dans
le complexe montage de la cration cinmatographique, le monteur est dieu car
il ordonne la composition de lÕimage. Dans le film Ē Final cut Č
(2004), un futur proche voit une nouvelle fonction sociale domine : par
un procd technologique, on peut tlcharger toute la mmoire sensorielle
dÕune personne, pour quÕ sa mort, des monteurs puissent rorganiser, idaliser
lÕhistoire, dÕun riche dfunt. Ce luxe de reconstruction des images de la vie
met le monteur en situation de choix. Fonction sociale, fonction dÕhistoriens
ramens chaque histoire humaine, fonctions thologique qui rend le monteur,
seul, divin, intouchable, car garant de lÕordre qui se perptue par ses
histoires rinscrites, rcrites). La structuration du film fait ainsi perdre
le sens de la linarit des histoires individuelles, dont le point intime
disparat sous lÕĻil de la camra, sous lÕĻil du spectateur, multiple dans
la multitude. Les
histoires ne sont pas dconstruites, mlanges, pour amener la confusion des
vies qui sÕentrecroisent. Elles sont dconstruites par le regard de celui qui
les observe, non plus simplement celui du ralisateur et du monteur, mais bien
celui qui regarde lÕĻuvre, dans la multitude occidentale. La dconstruction est
ainsi une forme dÕaltrit, de celui qui permet le regard vers celui qui veut
bien regarder. Elle permet de laisser cette forme dÕinachvement et de
complexit de la vie et de sa perception. Elle permet de ne pas donner une
structure pralable ce que lÕon dsigne, et laisse la possibilit de trouver
dans le texte de lÕhistoire, toutes les traces, toutes les rponses qui y sont
inscrites dans leur forme. Ē 21 grammes Č se replie en son centre, le dbut
et la fin du film sont identiques, et perptue le mme moment de la mort du
narrateur ; autrement dit Innarattu, filme la mort, saisit la mort, comme
un pli hors de lÕespace et du temps de la vie humaine. Le ralisateur mexicain
avait dj utilis cette dmarche cinmatographique pour traiter la question du
destin (cf., Ē Amours
chiennes Č,
2000).
[89]J. Derrida, Ē Force de la loi.
Le fondement mystique de lÕautorit Č, op. cit., p. 104.
[90]B. Latour, Ē Nous nÕavons
jamais t moderne. Essai dÕanthropologie symtrique Č, La dcouverte
(1991), 1997.
[91]Sokal
[92]A. Ngri et M. Hardt,
Ē Empire Č, Exils, essais, 2001 (traduit de lÕamricain par
Denis-Armand Canal).
[93]A. Ngri et M. Hardt,
Ē Multitude. Guerre et dmocratie lÕge de lÕempire Č, La Dcouverte,
2004, p. 9.
[94]A. Ngri et M. Hardt,
Ē Multitude. Guerre et dmocratie lÕge de lÕempire Č, op. cit., p. 9 et 10.
[95]Cf. Philippe Corcuff se trompe
quand il affirme que Ē des films qui incarnent la positivit (voire
font lÕapologie) des tendances Ē post-modernes Č lÕparpillement et
la dilution des significations. (É) Le film de David Lynch, Ē Mulholland
Drive (2001), en constitue une expression typique, proche dans le domaine
cinmatographique des excentricits ptillantes (comme du champagne) mais
intellectuellement peu rigoureuses dÕun Jean Baudrillard dans le champ
intellectuel Č.
LÕĻuvre de Lynch et de Baudrillard ne peut tre globalement dfini ainsi. Ce
qui choque Corcuff, soi cette complaisance postmoderne, ne peut tre critiqu
ainsi, sur la seule base de leur complaisance traiter de la question
postmoderne. Leur cynisme peut tre beaucoup plus un sujet de mailles partir.
Cependant les grandes lignes de leurs Ļuvres nous ont beaucoup plus appris sur
la postmodernit que la majorit des ouvrages savants portants sur cette
question. Cf.
P. Corcuff, Ē La socit de verre. Pour une thique de la
fragilit Č, Armand Colin, 2002, p. 22.
[96]J. Baudrillard, Ē L'illusion
de la fin ou la grve des vnements Č, Galile, 1992, pp. 132 et 146.
[97]W. Benjamin, Sur le concept
dÕhistoire, in Ē Ecrits franais Č,
Folio, p. 335. Sur ce fait, il faut rappeler lÕenrichissement quÕapporte Pierre
Boulle dans La plante des singes, dont la version cinmatographique ne fera quÕaccentuer
la rflexion. La plante des singes pose toutes les propositions politiques, de
lÕorganisation sociale lÕorganisation de la cit simiesque, mais surtout, de
lÕhomme moderne, Charlton Heston en lÕoccurrence, qui brise cette harmonie
politique, sociale, organique, raciale, thologique. Car si le singe dfie
lÕhomme, cÕest parce quÕil le sait mauvais, comme lÕauteur du mal original.
Nous aurons compris que Pierre Boulle aura, comme beaucoup de romanciers, donn
par son livre une interprtation biblique. Cependant, son texte reste majeur,
car il nonce parfaitement le principe que lÕhomme agit sur lÕhistoire. Il lÕa
dcline, lÕexpose, et il arrive mme la matriser, au point de la remonter
jusquÕ sa rvolution complte. CÕest dans cette boucle, o lÕespace est
courbe que le
temps est prsent comme un vide, comme un temps suspendu que lÕon contrle,
par la violence, pour le pouvoir, car vivre avec les autres, cÕest toujours
tre tent de les administrer, non comme une pulsion, une volont, une
construction, mais parce que la mdiation, la simple relation impose une
conversion des diffrences, en une hirarchie de valeurs, puis dans une
fonctionnalit et une organisation de ces rapports.
[98]L. Althusser, ĒMachiavel et nous, in Ē crits philosophiques
et politiques Č, vol. 2, dition Franois Matheron, Stock/IMEC, 1995, p.
62.
[99]J. Baudrillard, Ē Oublier
Foucault Č, d. Galile, 1977.
[100]J. Baudrillard, Ē L'illusion
de la fin ou la grve des vnements Č, Galile, 1992, p. 118.
[101]Je retrouverais l encore les mots
si justes dÕHermann Broch pour inverser et rorienter les propositions de
Baudrillard : Ē Rduite sa factualit la plus lmentaire, une
poque nÕest rien dÕautre quÕun segment spatio-temporel de lÕunivers
historique, dlimit par deux dates. Elle contient des millions et des millions
dÕexistences humaines, pour la plupart anonymes ; des myriades et des
myriades dÕactions, de motivations et de forces humaines, pour la plupart
anonymes. Ce conglomrat Š on ne peut mme pas parler de Ē somme Č -
aussi insaisissable que lÕternit elle mme, ce trs anonyme Ē monde
quotidien Č, cÕest ce que reprsente lÕpoque au premier abord. Comment un
tel conglomrat peut-il pntrer dans la conscience de lÕhomme ? Comment
peut-on en prendre une Ē vue dÕensemble Č ? lÕpoque est
travers par le flux de ce qui advient, le flux de lÕhistoire vivant de
lÕhistoire vcue, de lÕhistoire concrte Šun flux tout aussi anonyme quÕelle,
et ne se soucie ni dÕun dbut ni dÕune fin, ni dÕun Ē style Č, ni de
quoi qu ce soit qui caractrise lÕpoque ; ce nÕest qÕun flux dÕ Ē efficiences Č
concrtes qui sÕimposent principalement lÕhomme par la ncessit physique,
parfois psychologique et plus rarement conceptuelle, et lÕamnent agir de
telle ou telle manire. Si grande et puissante que soit lÕpoque, elle ne
sÕexprime pour ceux qui la vient que dans un petit primtre
dÕ Ē efficience Č, et malgr la presse et la radio, elle demeure
largement, vue de Ē lÕintrieur Č, dans un tat d"Õopacit
organique" Č, op. cit. pp. 115 et 116.
[102]J. Baudrillard, Ē Pour une
conomie politique des signes Č, Points, coll. Ē Essais Č, 1987.
[103]Zygmunt Bauman, Ē LÕamour
liquide Č, Essai, Le Rouergue/Chambom.
[104]A. Touraine, Ē Un nouveau
paradigme. Pour comprendre le monde dÕaujourdÕhui Č, Fayard, 2005, p. 337.
[105]J. Baudrillard, Ē la
socit de consommation Č, Livre de poche, 1996 ; Ē Pour une
critique de lÕconomie politique du signe Č, NRF, Les essais, Gallimard,
1972 ; Ē Le systme des objets Č, Tel, Gallimard, 1978. Samuel
Bowles et Herbert Gintis, Ē La dmocratie post-librale Č, La
dcouverte, 1987.
[106]Cf. tienne Laurent, Ē Le
pauprisme et les associations de prvoyance Č, 1865.
[107]J.
Butler, Ē Gender trouble : Feminism and the subversion of identity Č,
Routlege, 1990 ; Ē Trouble dans le genre. Pour un fminisme de la subversion Č, La
dcouverte, 2005 (avec une prface dÕric Fassin).
[108]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, d. Amsterdam, 2004, p. 90.
[109]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 70-71.
[110]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 60.
[111]J. Butler, Ē La vie psychique
du pouvoir. LÕassujettissement en thories Č, d. Lo Scheer, Ē Non
& Non Č,
2002.
[112]Deleuze dit justement quÕĒ il
faudrait confronter la pense de Foucault et la sociologie des ŅstratgiesÓ de
Pierre Bourdieu : en quel sens celle-ci constitue une micro-sociologie.
Peut-tre aussi faudrait rapporter les deux la micro-sociologie de Tarde.
LÕobjet de celle-ci, cÕtait les rapports diffus, infinitsimaux, ni les grands
ensembles ni les grands hommes, mais les petites ides des petits hommes, un
parafe de fonctionnaire, une nouvelle coutume locale, une dviation
linguistique, une torsion visuelle qui se propage. CÕest li ce que Foucault
appelle un ŅcorpusÓ Č. Cf.,
G. Deleuze, Foucault, d. de Minuit, coll. Ē critique Č, 1986, p. 81.
[113]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 92-93.
[114]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit, p. 247.
[115]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 221.
[116]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 127.
[117]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit., p. 148.
[118]J. Butler, Ē Le pouvoir des
mots, politique du performatif Č, op. cit., pp. 25 et 196.
[119]Alain Badiou affirme, juste
titre, que cette raction, correspond un moment historique de type de la
restauration que connut la France du dbut du XIXme sicle, comme
un contre coup la grande rvolution. Cf. Ē Le sicle Č, Seuil,
2005.
[120]Jordi Vidal, Ē Rsistance au
chaos Č, Allia, 2002.
[121]Russell Kirk prsente ainsi les six
thses du conservatisme. Cf., Russell Kirk, Ē The Conservative
Mind Č,
1953. Cit par Nicolas Kessler, Ē Le
conservatisme amricain Č,
Paris, P.U.F., coll. Que sais-je? 1998.
[122]Le dbat rcent sur les
nouveaux ractionnaires a eu ceci dÕintressant, quÕil constituait un non
dbat. LÕessentiel nÕtant pas tant de savoir sÕil existe une pense et une
pression visant le retour en arrire face au chaos du monde (voir Jean-Pierre
Pernaud officiait dans Ē son Č journal de 13 heures en est une preuve
difiante), mais plutt de dcouvrir que ce dbat entre sachant, purement
dogmatique, avait pour vocation de ne pas dvoiler lÕtat gnralis du
conservatisme social, politique et conomique de notre pays. Cf. Daniel Lindenberg, Le rappel
lÕordre. Enqutes sur les nouveaux ractionnaires, Le Seuil, Ē La Rpublique
des ides Č, 2002.
[123]La stratgie du pourrissement
libral est une tactique fondamentalement militaire. La conqute de lÕIrak en
2003 en aura t une fois de plus une preuve flagrante. Conqurir militairement
des zones que lÕon occupe sans les rgir, permet non seulement de dmontrer que
les troupes amricano-anglaises Ē nÕoccupent Č pas le territoire,
mais surtout, permet la dgradation de la situation locale, pour ractiver le
processus rpressif tout instant, et pour justifier aux regards de lÕopinion
mondiale de lÕincomptence des peuples se gouverner.
[124]Il semble que la thorie du sujet
du droit, devenu gnralit perform par notre statut juridique
dÕassujettissement, soit en train de muter en thorie et pratique juridique du
sujet de risques.
[125]LÕanalogie faite au sport et ses
stratgies nÕest pas fortuite. Le sport est devenu en effet un lieu de connaissance,
un rvlateur puissant de lÕconomie politique globale des mondes civiliss.
LÕconomie globale du sport occidental devient alors un rfrent du march
contemporain. Ce type conomique libralis, ouvert par la drgulation
juridique de lÕUnion europenne par lÕarrt Ē Bosman Č , est surtout
original et reprsentatif des nouveaux formats du systme marchand. La
performance sportive est ainsi impose socialement par sa surmdiatisation.
LÕusage marchand du sport par les tlvisions met en exergue la relation
indissociable, consubstantielle de la promotion des marchs par les mdias de
masse, par la puissance de lÕimage, par le rle affectif, sducteur et
sensationnel des vnements sportifs. Le sport devient march car la
communication totale (gnrale et universalise) constitue aussi bien lÕoffre
que la demande, constitue aussi bien la dure que lÕespace de promotion, de
spectacle et de vente. Les grands vnements universaliss tels que les Jeux
Olympiques et la Coupe du monde de football deviennent lÕespace marchand
nouveau de la reprsentation individuelle de nouveaux hros individuels, allant
jusquÕ la remise en cause des stratgies des sports collectifs. Le sportif
devient un hros, un artiste, un tre prdestin physiologiquement, un corps conditionn,
produit pour le rendement et lÕefficacit, sublim par le style et le talent.
Les drogues ingurgits durant les annes tyranniques de guerres psychologiques
des blocs opposs sont proscrites, car elles nuisent la reprsentation dÕun
spectacle fauss, dÕun spectacle sÕavrant comme fabriqu et dform par la
prise de stupfiants (les hros du Tour de France deviennent ainsi de simples
dlinquants toxicomanes que la police et les douanes interpellent, dtruisant
de fait la mythologie barthienne, pour dplacer le mythe vers des sujets
propres, vers des tres naturels). La force du march sportif est ainsi de
masquer sa ralit, par des transformations mdiatiss (la destitution de Ben
Johnson jette lÕopprobre sur le monde athltique, imposant le trs mdiatique
Carl Lewis, dont on sait depuis le dbut 2003, quÕil avait t suspendu par sa
fdration pour usage de produit interdit quelques temps auparavant).
LÕiconographie du sportif est devenu durant les vingt dernires annes du XXe
sicle une construction labore dÕun march invent, non plus pour le sport ou
pour le sportif, mais pour le march, et par voie de consquences, pour ceux
qui le contrlent. On y retrouve toutes les caractristiques contemporaines du
systme de production et de consommation, au travers du prisme mtamorphosant
de lÕindividu tlvisuel. La
logique de l'audimat, c'est--dire de la soumission dmagogique aux exigences
du plbiscite commercial, signifie le march moderne, le renversement de
lÕconomie politique, domine antrieurement par la dcision politique, et
aujourdÕhui habite dans le rseau inintelligible du pouvoir total, par la
multiplication de la lgitimit et de la dcision. La production
est supprime par le naturalisme, par le talent, par la disparition du travail
et de lÕeffort, le sportif portant le masque du don divin. La consommation est
sublime puisque lÕimage lÕemporte largement sur le rsultat (le cas de la
joueuse de tennis Anna Kournikova est un modle prototypique de ce phnomne.
La joueuse russe se faisant plus connatre pour sa plastique avantageuse que
pour ses rsultats, mdiocres par ailleurs. Une recherche Internet vous fera
dÕailleurs atterrir directement sur un site o elle dvoile ses charmes). Le
sport travail, effort et rsultat se supprime lui-mme pour sombrer dans le
vide de la reprsentation. Le football, sport roi par excellence, en est
aujourdÕhui la preuve manifeste. Il importe davantage de compter dans ses rangs
des icnes mercantiles, dont l'image publicitaire pse plus lourd que l'efficacit
sur le terrain. David
Beckham, la star du milieu de terrain de Manchester United est la nouvelle
cible du recrutement du Ral Madrid pour la saison 2003-2004, quipe dj
constitue par les plus grandes vedettes internationales. Santiago Segurola, du
quotidien El Pais,
dtermine ce choix ainsi Ē D'abord, bien sr, pour ses centres millimtrs,
mais surtout parce qu'avec Ronaldo, c'est le footballeur le plus connu de la
plante, le meilleur vecteur possible du Ē merchandising Č, en
particulier au sein du march asiatique montant. Č. Ē Au Real Madrid,
on a compris que la gloire sportive doit forcment tre accompagne d'un succs
conomique Č.
Depuis que le club madrilne a tanch une dette colossale en vendant, en 2000,
ses installations sportives pour 600 millions d'euros, les dirigeants veulent
la suprmatie mondiale dans le domaine de l'image. Moins riche que Manchester
United en valeur absolue, le Real Madrid (293 millions d'euros de budget cette
anne) veut gagner ce match-l. Les joueurs cdent ainsi au club l'essentiel de
leur droit d'image. Ē C'est une politique trs rentable, confirme Jos Angel Sanchez,
directeur du marketing du Real. Grce au merchandising (plus du tiers des recettes du
Real), les lourds investissements de Figo et Zidane ont dj t
amortis. Č
Quant Ronaldo, entre septembre et dcembre 2002, il a permis de vendre 200
000 maillots portant son nom. Un record. Ē Avec Beckham, comme avec les
autres, on fait coup double. Non seulement notre firmament se peuple d'une
nouvelle star, mais on enlve une part de sduction un club rival, comme on
l'a dj fait avec le Bara (Figo), la Juventus (Zidane) et l'Inter
(Ronaldo) Č. Accumulation
de symboles, dploiement du dsir, le march du football, tout comme celui du
tennis, se souci peu de la production sportive mais sÕorganise comme un espace
de production et dÕincitation capitaliser tous les dsirs des machines
humaines standardises par la reproduction de lÕimage. Tous les autres facteurs
sportifs, sociaux, conomiques ou politiques ne sont que des lments
priphriques du march des dsirs mdiatiss dans chaque machine dsirante,
rcepteurs des informations.
[126]Jacques Derrida, Ē Spectres
de Marx Č, Galile, 1993.
[127]La nouvelle de Philip K. Dick qui
sert de rfrence au polar glac de Steven Spielberg, Minority report, nous donne une image du futur
nolibral, o la police, institue en entreprise prive, mis au point un
systme de prcognition des crimes, par le biais de mutants, les prcogs, enfants dgnrs des seventies, enfants
dgnrs de lÕhrone prise par leurs parents, qui visualise lÕavant les crimes et les font stopper par
des forces dÕintervention. Bien sur comme dans la reproduction du mythe de
Frankenstein, le monstre engendr, par la monstruosit humaine, se retourne
contre elle-mme.
[128]Luc Boltanski, éve Chiapello, Le
nouvel esprit du capitalisme, NRF essais, Gallimard, 1999, p. 18.
[129]Fernand Braudel, La dynamique du
capitalisme,
Arthaud, 1985, pp. 66-67.
[130]Bienvenue Gattaca
[131]Philippe Fremeaux, Ē Le
bilan conomique des annes Mitterrand Č, Alternatives conomiques, fvrier 1995, pp. 14-22.
[132]Luc Boltanski, éve Chiapello, Le
nouvel esprit du capitalisme, NRF essais, Gallimard, 1999, p. 21.
[133]http://www.census.
Gov/hhes/income/histinc/h03.html. Sur cette question, Emmanuel Todd, Ē Aprs
lÕEmpire, Essai sur la dcomposition du systme amricain Č, Gallimard,
2002, p. 89 et s.
[134]Mich¾l Hardt et Toni Ngri, Ē
Empire Č, trad.
fran., Paris, 2000. Pour reprendre la formule dÕEmmanuel Todd, Ē ce
nÕest sans doute pas un hasard si pour la premire fois, dans un grand pplum
amricain, Gladiator, lÕempire romain fait lÕobjet dÕune vocation trs largement
favorable dans son principe, mais critique de sa dgnrescence (panem et
circenses).
Nous sommes bien loin des pplums globalement anti-romains comme Quo
vadis ?,
Spartacus
et Ben Hur Č. Cf., Emmanuel Todd, Ē Aprs
lÕEmpire, Essai sur la dcomposition du systme amricain Č, Gallimard,
2002, p. 91.
[135]Jeremy Rifkin, Ē La fin du
travail Č, La dcouverte, essais, poche, 1997.
[136]Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, Les ditions de
Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle dition augmente, 1999, p.
270.
[137] ittorio de Filippis, Ē Dflation
le spectre qui angoisse lÕEurope Č, Libration, 15 avril 2003.
[138]Cf. Alan Greenspan directeur de la Rserve fdrale amricaine
(Fed). Libration, jeudi 08 mai 2003, Vittorio De
Filippis, Les Etats-Unis menacs par la dflation ?
[139]Ē SÕil est vrai que le
capitalisme dans son essence ou mode de production est industriel, il ne
fonctionne que comme capitalisme marchand. SÕil est vrai quÕil est dans son
essence capital filiatif industriel, il ne fonctionne que par son alliance le
capital commercial et financier. DÕune certaine manire, cÕest la banque qui
tient tout le systme et lÕinvestissement de dsir Č. Gilles Deleuze, Flix Guattari,
Ē LÕanti-Ļdipe, Capitalisme et schizophrnie Č, Les ditions de
Minuit, collection Ē Critique Č, nouvelle dition augmente, 1999, p.
272. Pour reprendre les termes de lÕanalyse de Deleuze et Guattari, on peut
affirmer que le transfert du monopole montaire de lÕinvestissement, vritable
centre du capitalisme, de lÕentreprise vers la banque, sÕest aujourdÕhui encore
rorient, pour aller des institutions bancaires territorialises, vers les
places boursires dterritorialises.
[140]Karl Marx, Ē Le
capital Č, III, La Pliade, II, p. 1032.
[141]Philipe Sgur, Ē Le pouvoir et
le temps Č, Albin Michel, coll. Ē Question de Č, n” 103, 1996.
Franois Ost, Ē Le temps du droit Č, d. O. Jacob, 1999.
[142]Ē LÕorigine du spectacle
est la perte de lÕunit du monde, et lÕexpansion gigantesque du spectacle
moderne exprime la totalit de cette perte : lÕabstraction de tout travail
particulier et lÕabstraction gnrale de la production dÕensemble se traduisent
parfaitement dans le spectacle, dont le mode dÕtre concret est justement lÕabstraction.
Dans le spectacle, une partie du monde se reprsente devant le monde, et lui est
suprieure. Le spectacle nÕest que le langage commun de cette sparation. Ce
qui relie les spectateurs nÕest quÕun rapport irrversible au centre mme qui
maintien leur isolement. Le spectacle runit le spar, mais il le runit en
tant que spar. Č
Guy Debord,
Ē La socit du spectacle Č, 1967, Folio 1992, p. 30.
[143]Ē Lost Highway Č (1997) reprsente une Ļuvre rare
par sa densit et par la multiplicit de ses interprtations. David Lynch a su
raconter une non histoire et ce pour mieux intgrer furtivement son histoire.
La socit contemporaine que nous montre Lynch est fidle la ralit. La
narration, lÕinverse, nous plonge dans un ensemble dcousu, fractionn, nous
montrant la fragilit du temps et de la perception humaine.
La reprsentation, lÕmotion et la sensation des
protagonistes fixent la relativit et la subjectivit du temps et de
lÕhistoire. Le film est habit dÕun monstre froid que lÕon trouve dans chaque
interstice laiss par lÕespace et le temps dconstruits de la narration
syncope. Ces fractales ne sont pas que le fait dÕune volont postmoderne du
ralisateur amricain. Ces fractales sont la postmodernit dÕun univers social
troubl par les crises identitaires de la multitude ; ces fractales sont
la postmodernit des intimits interchangeables ; ces fractales sont la
postmodernit des histoires superposables comme des matrialits ; enfin,
ces fractales sont la postmodernit engendr par un Urstaat diabolique, qui prend la forme du
destin, de la multiplicit et de la duplicit, pour sÕimposer toujours comme le
liquidateur de nos problmes. La fiction, lÕhistoire et la vrit, voil le
sujet qui hante Ē Lost Highway Č, voil le champ de la suggestion de la fiction
filme qui rentre dans le champ de lÕpistm.
La non-histoire, cÕest la boucle, la folie, la
paranoa, le meurtre. LÕhistoire, plus simple, est celle dÕun homme qui
doute de son amour et surtout, de lÕamour que lui porte sa compagne. La gamberge est telle, que le
protagoniste, Bill Pullman, se mute en cours de voyage. Il se dgnre et se
rgnre tel le vers en papillon, avec pour seul cocon, le ventre nourricier
dÕune prison fdrale. La transformation de Pullman en un petit loufiot, le
passage a une autre histoire, laisse penser un tat de rgression, par le
vcu et les ralits dÕun jeune homme que ne peut connatre notre hraut
Ē dsamour Č. La conversion sÕopre alors ; comme ces doutes
mlancoliques dÕun jeune homme, sÕattardant sur son enfance, mais dont le
sentiment dÕadulte est dj prsent (la musique mlancolique de Badalamenti est
alors dterminante). Le minot est absent secou par ce passage en prison, pas
encore vraiment convaincu quÕil vient dÕaccueillir une autre histoire, un autre
tre. La ralit du travail augure peine une normalit du discours, que le
glissement sÕopre nouveau. LÕambiance pesante et droutante de la menace
vido laisse place lÕunivers enlumin des highways, lÕauto, la mafia,
sa btise et sa violence, puis finalement la bombe ; au retour de la
femme qui est en fait la mme. LÕhomme peut fuir celle qui ne lÕaime plus, elle
revient toujours dfinitivement, non plus comme un souvenir, mais comme un
cauchemar qui nÕen finit plus. Lynch nous parle de ce cauchemar, de cette
torpeur, de cette blessure. Ē Lost highway Č nÕest plus un film,
cÕest une blessure dÕamour mis en image et Ē en histoires Č, qui ne
peut se rvler simplement, sans pudeur. LÕentre-deux mondes sÕentrechoque
encore par les sons distordus de notre ami John Zorn, donnant ainsi un vrai
sens cinmatographique des mondes interlopes de Burroughs. Puis vint la scne,
du film bien sr, mais galement dÕune certaine histoire du cinma.
LÕapparition gracile sur fond de roucoulement Reedien de Ē lÕautre Č
Patricia Arquette, reprsente lÕinstant enfin film de mise en ralit du dsir
et peut-tre mme de lÕamour htrosexu. Le pige se referme alors, la bte est
de retour. LÕamour est chair, lÕamour est fuite.
Puis tout coup merge lÕhypothse que tout ceci
est un jeu, que Lynch nous mne en bateau, nous transportant, recherchant nos
motions, selon des codes savants, pour mieux nous piger dans des lectures de
plus en plus complexes, de plus en plus intimes. Alors peut-tre quÕil ne
sÕagirait que dÕune histoire de femme(s). La poulette sublime ne ferait que naviguer entre trois
mondes : Pullman, la mafia et le minot. Les hallucinations ne seraient que
les effets polluants et nocifs dÕune histoire trop forte. DÕautant plus que
Lynch fait appel sa perversion naturelle pour nous offrir un strip gothique, vritable enluminure
baroque sur fond de rock dprav. La femme perverse, honnie, peut laisser
entrevoir le complot sÕourdir. LÕimage se trouble pourtant, comme si la ralit
apparaissait dans le trouble, et non plus comme lÕinverse. Le dcalage du temps
et de lÕespace, le complot contre lÕhomme seul voil des thmatiques qui ne
peuvent chapper lÕĻuvre totale de Philip K. Dick. Lynch filme simplement
comme il peint en (in)sinuant les histoires et les traits et en dcalant les
images et les scnes fortes. Le trouble pass ressurgit la dcadence lynchienne
accommod la sauce Ramstein, et stylis dans les arts de la table, ou comment faire
une table de salon avec un proxnte. LÕimage sÕellipse alors, les jumelles
apparaissent. Le gamin nous fait une raction Pullman ou cÕest peut-tre
lÕinverse. La tragdie se joue alors en enfer. Le cynisme fminin renvoy aux
oubliettes de tous les prjugs fministes quÕont les hommes. Lynch dgueule
tout autant son venin, quÕil nÕen filme sublimement Patricia Arquette. La femme
double et perfide qui attire et qui trompe les hommes telle la veuve noire, la
gorgone, la sirne, celle qui attire et celle qui rejette. Pullman peut revenir
alors pour accomplir la non-histoire. Le diable peut rapparatre sous la forme
du destin, ou dÕun tre mutant tout droit sorti de lÕunivers Deleuzien de lÕUrstaat. Car voil, cÕest lÕhtel Ē Lost
highway Č que la dame officie dans lÕpongeage de maffieux pas
frais ; cÕest qui nerve Pullman. Arm par le destin, il saigne le
porc, et lui retombe alors dessus toute la merde obsessionnelle de ses
fantasmes, de ceux du porc, et probablement de ceux de Lynch. La mort frappe
alors, laissant toujours derrire elle comme un murmure, ainsi que la ralit
sordide dÕune cervelle clate. Pullman peut alors rentrer se dire que Ē Dick
Laurent est mort Č.
[144]Ē La ligne rouge Č de Terence Mellick est un film
crasant, un mammouth sans fin, une Ļuvre qui radique lÕme, qui broie le peu
de ciel qui reste au fond de lÕhomme contemporain. Le second long mtrage de
Terence Mellick nÕest pas un rel long mtrage de guerre ou sur la guerre.
CÕest un texte sur lÕutilit et sur lÕinutilit de nos vies. Ce film nous parle
plus quÕil ne nous narre. Il pose le spectateur en centre de gravit de lÕĻuvre
en nous susurrant dans lÕoreille, la manire dÕun Fritz Lang, mais point pour
nous horrifier, mais pour nous plonger dans lÕabme de nous mme. LÕcrivain
est un homme qui capture par lÕcrit son dialogue interne. Mellick filme cette
ouverture, cette narration, en sautant dÕhomme en homme, au fur et mesure o
ceux-ci sont fauchs, broys, coups, dtruits. LÕontologie humaine relve de
lÕinsignifiance (Mellick en profite pour liquider Hollywood. Le film regroupe
lÕessentiel de la classe dÕacteurs amricains en vogue. Certains nÕont quÕun
rle de circonstances qui recompose leur statut de stars, dÕautres assume leurs
morts rapidement. Aucun ne peut rellement sÕimposer, y compris lÕacteur
principal, tant le film sÕimpose aux acteurs Šhormis un effrayant Nick Nolte).
LÕtre disparat aussi lentement que possible, laissant derrire lui une trace
si longue, si fine, que les portraits de chacun des personnages non plus
dÕimportance. La ligne rouge est une Ļuvre purement Heideggrienne, o lÕtre
nÕa de chance que dans lÕoubli, le nant, lÕangoisse et le silence. Guadalcanal
nÕest plus un thtre dÕopration de la seconde guerre mondiale, cÕest un
non-lieu, un faux-fuyant, un trou sans vie. La guerre nÕa plus dÕimportance,
les hommes non plus. Notre destin contemporain fait de micro dsastres, de
luttes pour avoir et vivre dans un confort moderne et dprciatif, est vain. La
vie nÕest rien face la mort. Nos petites vies ne sont rien face la mort
totale.
[145]Louis Constans, Paradoxes, P.U.P., collection tudes, 2001
[146]LÕenfant est devenu lÕotage
symbolique des socits occidentales, en retour, il en sera probablement le
bourreau. Il ne sert pas que de couverture idologique lÕaction publique
rpressive, il se pose le plus souvent lui-mme comme un tyran. Il se voit
offrir les moyens dÕune nouvelle domination sociale, par le laissez faire des
autorits publiques et parentales aux sentiments coupables (Le Monde, 05.04.03, Lorsque lÕenfant
devient tyran).
Les enfants sont ainsi dresponsabiliss, sans ducation, sous le seul prtexte
permissif de parents dmissionnaires ayant choisi souvent par facilit et
impuissance de laissez faire, application stricte du libralisme de
gouvernement aux gouvernements des individualits. Il occupe lÕespace par des
cris et une agitation intempestive, dniant et rclamant lÕautorit absente,
contestant ce pouvoir quÕon lui abandonne et dont il ne sait rien. Autrement
dit, la confusion du laissez faire libral, des dmissions individuelles et
collectives, projettent lÕenfant dans une sphre dÕautorit nihiliste,
constituant un fascisme rose absolument incontrl, reprsentant un modle
politique contemporain (les tableaux du peintre amricain Mark Ryden ont t
les premiers jalons annonciateurs de ce phnomne -info@markryden.com ; galement, le film
futuriste japonais BattleRoyal de Kinji Fukasaku montre une socit de violence o les
enfants doivent sÕentretuer au cour dÕun jeu tlvis pour pouvoir retourner au
sein de la socit civile). Voir cet effet une tude rcente mene par des
psychiatres franais, La Revue du praticien Š Mdecine gnrale (tome XV, n” 532), mars 2001,
dcrivant un tableau inquitant de cette forme particulire de Ē tyrannie
intra-familiale Č;
galement, Didier Pleux, Ē De l'enfant roi l'enfant tyran Č, Editions Odile Jacob, 2002 ;
ou pour une interprtation fixant cette volution lÕimpact de la tlvision
sur les enfants, Joshua Meyrowitz, Ē LÕenfant adulte et lÕadulte
enfant Č, in Le temps de la rflexion, n” 6, 1985, Gallimard, pp. 251 et 277-279..
[147]Comme lÕa relev Pierre Bourdieu,
lÕusage de la tlvision pour rgler le sort de la tlvision devient
circulaire et ferm (Pierre Bourdieu, Sur la tlvision. Suivi de
lÕemprise du journalisme, Paris, Liber - Raison d'agir, 1996, p. 22.). La
tlvision devient tautologique, circulaire et enfermement. Elle se rflchit
elle-mme, en dpassant le narcissisme quÕelle sÕappose et quÕelle impose aux
rcepteurs. Elle est la structure autonome de lÕalination invisible quÕelle
tisse et quÕelle dploie sur chaque rcepteur. Elle sÕautoproduit,
sÕautodfend, et ne peut donc que sÕautodtruire par la destruction de la
valeur quÕelle gnre, autant que par la destruction du sens quÕelle ne peut
dvelopper que par la perte de sa plus-value (On ne pouvait tre que dÕaccord
avec Pierre Bourdieu quand il nonait lÕimpossibilit de lutter contre les
effets invisibles des structures de la tlvision, en communiant avec cette
dernire. Son propre naufrage dans lÕmission Ē arrt sur image Č,
sur la Cinquime,
en aura t la triste preuve. Tous discours sur la tlvision imposent de la
rcuser et de la boycotter radicalement, tous actes rvolutionnaires tant
contre son usage narcissique, que cela soit face elle, ou en elle.)
Comme le dmontre Guy Durandin, une poque du tout
informatif, la prsence de la dsinformation pose les conditions de ralisation
de la dmocratie participative. De ce point de vue, lÕauteur tend dmontrer
que le partage de lÕinformation ne va pas de soi, car partager la connaissance
se serait sÕapprter partager les richesses. LÕenjeu dmocratique ne peut
tre alors conu que par une information valide et cohrente. Cependant, Les
sources informatives peuvent dissimuler leurs identits, le mensonge et la
dsinformation ne pouvant plus tre totalement contests dans Ē lÕordre
cohrent Č de lÕconomie politique capitaliste. Guy Durandin, Ē LÕinformation,
la dsinformation et la ralit Č, Ē le psychologue Č, P.U.F., 1993.
[148]J. Derrida, Force de la loi. Le
fondement mystique de lÕautorit, op. cit. p. 108. Ē La police nÕest pas seulement police,
elle est l, figure sans figure dÕun dasein co-extensif au dasein de la plis Č. p. 106. Foucault affirme que Ē La
police apparat comme une administration dirigeant lÕtat concurremment avec la
justice, lÕarme et les finances. CÕest vrai. En fait, pourtant, elle embrasse
tout le reste. Comme lÕexplique Turquet, elle tend ses activits toutes les
situations, tout ce que les hommes font ou entreprennent. Son domaine
comprend la justice, la finance et lÕarme. Č M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 127.
[149]Philip K. Dick, Hommes,
androdes et machines,
(1976) Extrait de Ē Si ce monde vous dplat...
et autres crits Č, Editions de l'clat.